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Beginners (2010)
Mike Mills

Je suis prêt à essayer

Par Maxime Monast
Beginners est drôle.
Beginners est unique.
Beginners est marginal.
Beginners est charmant.
Beginners est déchirant.
Beginners est sympathique.

Mike Mills, graphiste et vétéran du vidéoclip, nous propose avec sa deuxième forée dans le monde cinématographique un regard sur le deuil. Une thématique, certes, assez générique et facilement exploitable. Ces deux épithètes, péjoratives, expliquent très bien la perception d'un « autre » film sur la mort. Si Beginners est générique, c'est grâce à cette universalité qui entoure le sujet. Tout le monde y fait face : cet instant où l'on réalise que notre famille, nos proches, nos amis disparaissent tranquillement et que nous sommes enfin seuls. Si Beginners est exploitable, c'est parce que tout film s’inscrivant sous la grande bannière du deuil (tels Hachi: a Dog's Tale et Trois couleurs: Bleu) a longtemps été rentable, tant émotionnellement que financièrement. Arrivant dans une ère où le deuil est devenu un sujet plutôt difficile à approcher, Beginners s’en tire par l’entremise de la « vieille » stratégie du genre : il devient un rite de passage qui renforce ses protagonistes. Ici, le deuil n’est pas une fin en soi, car il fait partie d'un quotidien. Mills réussit à transcender la simplicité du sujet et à l’approfondir, à creuser sans s'enterrer vivant avec son oeuvre. Une démarche qui fait de ce film l'un des plus beaux moments de 2010.

Oliver (Ewan McGregor) vient de perdre son père Hal (Christopher Plummer). Il hérite de son chien, de sa maison, de sa vie. Quelques années auparavant, après la mort de sa femme, Hal révèle à son entourage qu'il est homosexuel et qu'il l'a toujours été. Le tout n'est pas un choc, mais plutôt une révélation pour Oliver. En repensant à sa relation avec sa mère et à l'absence de son père, une quête existentielle s'amorce en lui. Dans son état le plus pur, Beginners capte l’esprit de deux générations, de deux mentalités : une dichotomie que plusieurs films manient de façon maladroite tellement ils semblent pris dans une division manichéenne des personnages. Un sujet qui fait ressortir une vraie peur de notre enfance à l'égard de nos parents, un thème récurrent, notamment dans le cinéma québécois contemporain. Mais en dépit de son chien parlant, des photomontages langoureux, de la narration à l'eau de rose et d'une quête quasi pamphlétaire, une certaine cohérence émane du film. Il nous paraît miraculeusement amusant et rafraîchissant entre les mains de Mills.

À travers cette exploration et ce traumatisme, notre personnage principal rencontrera Anna (Mélanie Laurent). Un amour atypique se manifestera entre eux. Amour sans paroles au départ (dû à une laryngite), il perdurera au-delà des longues distances (elle voyage beaucoup pour son boulot). L'histoire n'offre rien de nouveau - un déjà vu réconfortant dans ce cas-ci -, mais triomphe tout de même grâce à plusieurs instants charmants. Ces moments, ils viennent des dialogue d'une simplicité enivrante - ils parviennent parfois à dédramatiser le pire en quelques mots à peine. Contrairement à plusieurs oeuvres similaires, les clichés nous paraissent honnêtes et sincères. Et peu de cinéastes sont capables d'en faire autant. Hirokazu Kore-eda en est un parfait exemple alors que dans Nobody Knows comme dans Still Walking, les sujets et les sentiments les plus candides étaient habilement exprimés et transmis avec une confiance exceptionnelle. Kore-eda y perçait le mélodrame pour trouver l'essence même de ce qui anime ses personnages. Même dans une aventure aussi fabuleuse qu'Air Doll, le maître japonais maintenait sa signature.

Dans cette optique, Mills le rejoint. Il fabule sur les thèmes les plus surutilisés pour générer une approche nous faisant oublier que nous avons déjà été confrontés à ces moments, à cette sensibilité. Même si c'est la millième fois. Rares sont les exemples où un artisan peut si bien retravailler l'imaginaire populaire pour en créer une expérience incomparable. En effet, tous ces sentiments et sa vision du monde doivent se manifester grâce à un fil conducteur. Ici, le réalisateur fait passer le tout par sa mise en scène. Oliver, comme son chef d'orchestre, est un graphiste. Sa profession devient son confessionnal, sans vraiment agir à la manière d'un exutoire. Même si l'expérience alimente temporairement sa lancée créative, le résultat ne prend jamais son envol. On comprend très vite que les personnages dans Beginners, Anna et Oliver notamment, sont pris dans les limbes de l'amour. Même avec insistance et conviction, leur carrière et leur art ne peuvent les libérer. Ils ont leur chemin à faire, seul et ensuite ensemble. Un symptôme de plusieurs couples en devenir. Il faut comprendre que l'autre ne peut pas nécessairement soigner vos propres bobos.

Vue souvent comme une anomalie (Far from Heaven de Todd Haynes) ou comme un combat (Milk de Gus Van Sant), l'homosexualité est souvent utilisée pour générer une réaction face à ce tabou social. Par contre, on arrive peu souvent à la conclusion que l'on choisit d'être homosexuel, que nous n'y sommes pas nécessairement assignés. Beginners présente l'homosexualité de Hal de plusieurs manières: une bataille dans sa jeunesse, une anomalie vue par ses pairs, une épiphanie, un choix de vie et un bonheur révélateur. Avant sa mort, il traverse tous ces stades tandis qu'Oliver accepte très vite que son père soit gai. Ce choix lui parait naturel et normal. Lorsque Hal lui explique le drapeau de la fierté gai, Oliver reste pantois. Un symbole qui a toujours été évident pour lui, mais que Hal vient de (re)découvrir en s'affirmant publiquement.

De toute évidence, cette représentation témoigne de plusieurs mentalités à travers différentes générations. Mais le résultat est bel et bien le même. Oliver cherche lui aussi ce que son père veut expérimenter pour la première fois de sa vie : le vrai amour. Un désir que Hal assouvira enfin avec son premier amant. De ce fait, son fils découvre aussi la possibilité d’aimer pleinement, qui se manifeste à son tour envers Anna. Bref, ils peuvent donc poursuivre leur propre amour sans limites et sans contraintes. Une vraie idylle accomplie en tandem.

Très vite, on comprend que Beginners est un projet beaucoup plus personnel que Thumbsucker, le premier film de Mills (tiré d'un roman de Walter Kirn). Entièrement écrit par Mills, on comprend que le sujet, l'angle et la profondeur ne peuvent provenir que de quelqu'un qui a vécu ce genre d'aventures. Comme le veut la norme, on écrit souvent sur les choses que l'on connaît. La fiction ne fait ensuite que tapisser les petits trous dans les murs du projet. Ce procédé, une manière de nous faire vivre une histoire « réaliste », repose à son tour sur nos propres expériences, nous spectateurs. De ce miroir qui se présente devant nous, nous sommes le meilleur public. Très naïvement, nous avons aimé, nous avons perdu, nous avons, simplement, vécu. Et Mills nous le rappelle.
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Critique publiée le 24 juin 2011.