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Good Neighbours (2010)
Jacob Tierney

Quartier peu recommandable

Par Jean-François Vandeuren
Le réalisateur canadien Jacob Tierney semble s’être donné pour mission de montrer un tout autre visage de la ville de Montréal que celui que nous avons l’habitude de voir dans la majorité des productions québécoises. Le cinéaste aura d’ailleurs fait une sortie publique en 2010 qui aura fait couler beaucoup d’encre, déclarant que la grande majorité des oeuvres issues de la belle province - autant télévisuelles que cinématographiques - ne faisaient pas suffisamment d’efforts pour représenter d’autres communautés culturelles que celle des blancs francophones. Sans vouloir jeter de nouveau de l’huile sur le feu pour défendre ou contredire les propos tenus par Tierney, ce dernier aura néanmoins su satisfaire, jusqu’à un certain point, ses propres besoins et idéaux avec la comédie politico-adolescente The Trotsky, qui offrait une incursion somme toute amusante au coeur du West Island. L’expérience aura d’ailleurs connu un succès assez substantiel pour permettre à Tierney de récidiver un an plus tard, entouré sensiblement des mêmes têtes d’affiche, avec ce deuxième long métrage intitulé Good Neighbours. Le cinéaste aura visiblement voulu pousser l’audace encore plus loin cette fois-ci en situant une sordide histoire de tueur en série dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce au cours de la période du référendum de 1995. Malheureusement pour le principal intéressé, et surtout pour nous, les spectateurs, l’ampleur de l’échec n’a d’égal ici que la démesure des ambitions qu’impliquait - ou aurait dû impliquer - une telle prémisse. Le réalisateur livre ainsi avec Good Neighbours un film qui, ironiquement, souffre de graves problèmes d’identité, se faufilant tant bien que mal à travers une multitude de genres et d’intrigues à la recherche d’une ligne directrice, voire tout simplement d’une raison d’être.

Good Neighbours s’amorce ainsi alors que le Québec est enseveli sous la neige et que sa population doit composer avec le froid glacial… du mois d’octobre. Nous sommes à quelques jours du référendum. Victor (Jay Baruchel), un jeune professeur venant tout juste de rentrer au pays suite à un long séjour en Chine, s’apprête à emménager dans un immeuble abritant déjà plusieurs spécimens pour le moins particuliers. Il y a tout d’abord Spencer (Scott Speedman), un individu ayant perdu l’usage de ses jambes à la suite d’un accident de voiture qui, à présent, ne semble plus quitter son appartement et prend un malin plaisir à voir ses poissons se dévorer entre eux. Il y a ensuite Louise (Emily Hampshire), une serveuse entretenant une relation des plus affectueuses avec ses deux matous, dont les allers et venus aux alentours du building leur attireront les foudres d’une voisine alcoolique au tempérament on ne peut plus agressif (Anne-Marie Cadieux). Bref, une brochette de personnages tous plus antipathiques les uns que les autres face auxquels la naïveté et la maladresse chronique de Victor seront des plus contrastantes. Tout ce beau monde sera évidemment concerné d’une manière ou d’une autre par les frasques de ce psychopathe agressant et assassinant froidement ses victimes dans les allées sombres du quartier. Une menace qui permettra à Victor de se rapprocher illusoirement de Louise, qui se servira de la compagnie de ce dernier pour se protéger sur le chemin entre son travail et son domicile. Le problème, c’est que les concepts sur lesquels s’appuie Good Neighbours ne débouchent sur aucune piste concrète. Le présent récit aurait d’ailleurs pu se dérouler à n’importe quelle époque tellement il ne ressort absolument rien de pertinent de sa situation temporelle.

Si nous pourrions, certes, nous montrer cléments et passer par-dessus le fait - aussi inconcevable puisse-t-il être - que les élans de Jacob Tierney ne laissent paraître ici aucune trace d’un quelconque discours, ce ne sera malheureusement que pour voir Good Neighbours échouer tout aussi lamentablement à mettre sur pied une intrigue qui tient la route. Ainsi, ce qui semblera au départ vouloir prendre les traits d’un bon vieux « whodunit » ne parviendra en soi jamais à entretenir la moindre parcelle de mystère, la totalité des pièces du puzzle nous étant lâchement fournies avant même la fin du premier acte. Encore là, de telles révélations ne voudront pas forcément dire que le maître de cérémonie aura mal joué ses cartes puisque ce dernier aurait très bien pu se rattraper en utilisant cet environnement fermé et ses personnages tout sauf sympathiques - qui avaient bien un certain potentiel cinématographique - pour mettre en branle une comédie noire tout ce qu’il y a de plus acide. Mais, une fois de plus, l’exercice cède peu à peu sous le poids de ses propres problèmes de consistance, les moindres développements du scénario de Tierney se révélant incongrus, invraisemblables ou d’une stupidité déconcertante. Un manque de rigueur extrême qui atteindra son paroxysme lorsqu’un nouveau meurtre amènera les forces de l’ordre à s’intéresser aux locataires de l’immeuble. Le tout marquera le début d’une mascarade d’un pathétisme particulièrement gênant, laquelle ignorera complètement des éléments mis précédemment à la disposition du spectateur qui auraient dû normalement être pris en considération par les enquêteurs, eux qui n’auront finalement jamais l’opportunité de tenir compte des preuves, de même que du comportement étrange et des affirmations contradictoires des trois suspects.

Cette vision des plus limitées sur le plan scénaristique s’avère en soi à l’image d’une mise en scène édifiée de façon tout aussi peu inspirée et de dialogues manquant cruellement de naturel, Tierney se révélant incapable de proposer la moindre idée qui aurait pu lui permettre de capter l’attention d’un certain public. Il est d’ailleurs assez difficile de simplement concevoir ce que le cinéaste canadien pouvait bien avoir en tête lorsqu’il décida de porter les écrits de l’auteure Chrystine Brouillet à l’écran. Voulait-il en faire un film de genre? Un suspense? Une comédie noire? Si nombre de pistes narratives sembleront vouloir se diriger dans chacune de ces directions, rendant inévitables les parallèles avec le brillant Shallow Grave de Danny Boyle, toutes finissent néanmoins par terminer leur course dans un cul-de-sac. Tierney semblait pourtant avoir une formule gagnante entre les mains avec ces personnages atypiques et condescendants errant au coeur d’un microcosme où la cruauté et la folie semblent se répandre tel un véritable cancer, poussant les uns à commettre des actes d’une rare cruauté et les autres à suivre le pas sans trop savoir ce qui se trame réellement sur les étages du dessous et du dessus. Il faut dire que le cinéaste n’est jamais en mesure de soutirer tout le talent que l’on connaît de ses interprètes. Si Scott Speedman se tire bien d’affaire grâce à son sourire des plus inquiétants, Jay Baruchel ne se contente pour sa part que de répéter mollement ses mimiques habituelles tandis qu’Emily Hampshire campe sans conviction le personnage qui aurait pourtant dû être le plus intéressant des trois. Jacob Tierney rate ainsi complètement la cible avec cette production manquant terriblement de mordant et dont il n’a malheureusement jamais le courage d’assumer pleinement le côté plus obscur.
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Critique publiée le 8 juin 2011.