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Win Win (2011)
Thomas McCarthy

Situation précaire

Par Maxime Monast
Malgré ma volonté d’avoir un esprit ouvert, il y a beaucoup de choses que je déteste. Je me suis toujours dit que nous n’étions pas nécessairement faits pour aimer chaque aspect de cette vie. Du simple être humain à une création artistique, plusieurs facettes de notre existence peuvent générer un certain mépris. Par exemple, je n’aime pas particulièrement la lutte. Ces contacts corporels violents ne m’ont jamais plu. Évidemment, je déteste aussi les adolescents. Leurs corps sont anormalement difformes et leurs émotions trop voltigeuses. Finalement, j’ai toujours eu peur - et ne les aime donc pas - des maisons pour personnes âgées. C’est une question de goût, je suppose. Mais malgré tous ces problèmes, j’ai adoré Win Win, le nouveau long métrage de Thomas McCarthy. Un film tournant essentiellement autour de ce sport, de ces individus et de cet emplacement. Bizarre.

Après seulement trois opus, McCarthy affiche déjà une feuille de route impressionnante comme réalisateur. The Station Agent et The Visitor lui ont permis de se tailler une place unique dans le paysage cinématographique actuel. Oui, il s’est fait connaître - et peut maintenant prétendre être devenu une figure récurrente - au prestigieux festival Sundance. Ce rassemblement associé aux films indépendants américains nous offre souvent des oeuvres plus marginales et atypiques. Par contre, depuis plusieurs années, nous avons droit à des films à succès ayant été créés sans l’aide des grands studios. À titre d’exemples, le dernier opus d’Antoine Fuqua, Brooklyn’s Finest, et The Son of No One de Dito Montiel, deux films accessibles dans lesquels figurent des acteurs rentables, ont su trouver leurs distributeurs au festival en question. Ce sont loin d’être des ovnis du cinéma américain. D’une certaine manière, Sundance est devenu un marché aux puces. Parfois, on achète les déchets des autres. Mais, tôt ou tard, on trouve la perle rare. Win Win, est l’une de ces découvertes devant être célébrée.

À l'intérieur de cet univers clos, McCarthy amène une vision à la fois rafraîchissante et prévisible. Une sorte d'accessibilité que l'on retrouve dans peu de récits. Mais quel est ce fil conducteur qui traverse l'ensemble de son oeuvre? Sans trop s’attarder sur le phénomène du « charme du petit film indépendant au coeur d’or » (Little Miss Sunshine, The Kids Are All Right), il est plus plausible que l’auteur ait su façonner une histoire qui se calque si aisément sur la réalité. Parce qu’à la base, Win Win n’a rien de spectaculaire. Nous sommes témoins de l’existence de gens très banales : ce que plusieurs Anglo-Saxons classifient de « human interest ». Mais d’une manière si habile, cette tranche de vie devient assez marquante pour que l’on puisse en savourer chaque instant.

De plus, cette recherche du réel entreprise par McCarthy a su trouver son tremplin à travers un aspect psychologique spécifique à ses personnages. En effet, l’essentiel se retrouve dans les thèmes qu’il exploite, qu’il renforce à chacun de ses films. Évidemment, la solitude est la genèse de chacun des projets du réalisateur. Que ce soit Finbar McBridge, Walter Vale ou bien Carl Friedricksen (McCarthy a aussi scénarisé l’inoubliable aventure « pixarienne », Up), le parcours de chacun de ces protagonistes traite de l’exil et de l’isolation d’une manière unique. Dans le cas présent, Win Win se pavane avec deux têtes d’affiche vivant ce sentiment de quarantaine. D’une part, nous avons Mike Flaherty (Paul Giamatti), avocat peu recommandable et père de famille attentif dont les problèmes financiers s’avèrent la source principale de son angoisse. De l’autre, nous avons Kyle Timmons (Alex Shaffer). Après une fugue ayant pour but de retrouver son grand-père, nouvellement en foyer d’accueil, il aboutit sous la garde de la famille Flaherty. Nonchalant et émotionnellement distant, il cache son passé et ses émotions. Bref, la rencontre de ces deux existentialistes à des stades différents de leur vie les réunira autour d’un sentiment précaire. Le résultat sera une ascension vers un futur plus joyeux et une certaine cohérence dans leur petite vie. On peut trouver ça bête, voire un peu cliché, mais dans le cas de Win Win, cette prémisse s’avère une victoire savoureuse.

Ultimement, ce qui rend Win Win si attrayant est assez simple. McCarthy a construit un récit qui dose adéquatement l’humour et la tension dramatique. Le meilleur ami de Mike, Terry (Bobby Cannavale), se révèle particulièrement habile pour apaiser les moments plus dramatiques. Étrangement, on peut comparer ce procédé d’alchimiste complexe à ce que j'appelle « la vraie vie ». Car, comme vous le savez très bien, nos vies sont remplies de bons et de mauvais moments (le sarcasme est toujours plus difficile à faire passer à l’écrit). Le portrait qui est dressé ici ne fait que confirmer que nous avons besoin d’une raison de vivre. L’exemple le plus classique est un passetemps, dans ce cas-ci la lutte. Malgré les problèmes financiers, familiaux et émotionnels, chaque personnage trouve son exutoire dans ce sport. Une passion qui motive, qui permet l’évolution, qui témoigne de l’effort mis de l’avant pour changer leurs préoccupations. Ils sont humains. Ils sont plausibles. Ils sont vrais. Ultimement, ils sont plus faciles à approcher et à aimer.

Bref, il est peut-être futile d’insister sur la construction réaliste du quotidien et les petites victoires des personnages de Win Win. Contrairement à ce que le titre évoque, ce n’est jamais un triomphe à cent pour cent. Il y a peu de moments simples. La complexité et les événements tumultueux occupent nos vies. La mère de Kyle, Cindy (Melanie Lynskey), est certainement l'exemple le plus frappant de cette idée. Même si elle essaie de se rapprocher de son fils, cette ex-toxicomane affecte de façon néfaste son environnement. Elle blesse son fils sans le vouloir. Mais, heureusement, le drame et l'incertitude de ce récit sont vaincus par la bonne volonté de ses personnages. L'humour est la clé au coeur de cette progression et McCarthy l'emploie avec beaucoup d’aisance. Malgré mes peurs initiales, j'ai été capable de les surmonter. J'ai été charmé et j'espère que vous le serez aussi.
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Critique publiée le 1er avril 2011.