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Beastly (2011)
Daniel Barnz

Sans passion ni saveur

Par Jean-François Vandeuren
Pour des raisons inconnues, certains producteurs à Hollywood se sont dit récemment qu’il serait intéressant - et probablement profitable - de transposer les grandes lignes de quelques-uns des récits les plus célèbres de l’Histoire dans le quotidien des adolescents du XXIe siècle. Une initiative qui nous aura donné, entre autres, le bien accueilli Easy A de Will Gluck - qui s’inspirait largement de La lettre écarlate - et le plus récent From Prada to Nada d’Angel Gracia - qui revisitait pour sa part le Sense and Sensibility de Jane Austen - qui, sans surprise, passa complètement inaperçu. Et voilà maintenant que Daniel Barnz (Phoebe in Wonderland) tente à son tour de capitaliser sur cette curieuse tendance en offrant une énième cure de rajeunissement au conte de La belle et la bête. La présente mouture nous transporte au coeur d’un collège huppé de la région de New York où nous ferons la connaissance de Kyle (Alex Pettyfer), un jeune étudiant beau et riche ne connaissant visiblement pas la signification du mot « modestie ». À partir de là, on connaît parfaitement la chanson. Après avoir bousillé toutes ses chances de prouver qu’il n’est pas qu’un être narcissique, arrogant et superficiel, notre adolescent modèle sera défiguré par un sort que lui jettera une sorcière ayant quelques airs de famille avec Lady Gaga (Mary-Kate Olsen). Kyle aura alors un an pour trouver une personne qui saurait l’aimer pour qui il est plutôt que pour l’image qu’il projette, à défaut de quoi il conservera cette apparence pour le restant de ses jours. Ce dernier jettera ainsi son dévolu sur Lindy (Vanessa Hudgens), qui se révélera évidemment bien différente de tous les gosses de riches qu’il avait l’habitude de fréquenter.

Outre le contexte social et temporel dans lequel elle s’inscrit, une telle entreprise ne réserve habituellement que très peu de surprises puisque nous savons déjà comment ce récit va débuter et sur quelle note il va se terminer. Il ne restait donc à Daniel Barnz qu’à unir ces deux pôles par le biais d’une intrigue qui saurait raviver un tant soit peu l’intérêt du spectateur pour cette histoire en lui faisant visiter des avenues jusque-là inconnues tout en actualisant certains éléments avec lesquels il sera immédiatement familier. Et c’est ici que les minutes commenceront à s’étirer dangereusement alors que cette adaptation du roman d’Alex Flinn prendra un temps fou à se mettre en marche. Kyle se retrouvera ainsi prisonnier bien malgré lui de ce « château » que son père - tout aussi froid et superficiel - aura mis à sa disposition pour le cacher du reste du monde. L’adolescent passera alors de longues minutes à se lamenter sur son sort, attendant en vain que son géniteur - absent à la base - lui rende ne serait-ce qu’une seule visite. Nous devrons ensuite passer à travers la période au cours de laquelle notre bête ne fera qu’épier sa belle sans jamais pouvoir l’approcher, le temps filant alors de plus en plus, et ce, autant par rapport au temps du récit qu’à la durée du film en soi. Il faudra un revirement de situation précipité et particulièrement louche pour que le scénario de Barnz mène finalement à la rencontre entre Lindy et l’alter ego de Kyle. Notre héros interviendra alors dans une altercation entre le père toxicomane de Lindy (Roc LaFortune) et deux revendeurs de drogues, le paternel ne voyant ensuite aucun inconvénient à confier sa fille à ce parfait étranger ayant tout sauf une tête de porte-bonheur pour la protéger de ces dangereux malfrats.

C’est à ce moment que toute la « magie » du romantisme à l’hollywoodienne pourra enfin opérer. Le problème toutefois, c’est que le parcours qui aura précédé cet instant fatidique aura été si mal développé et cadencé par le cinéaste et son équipe qu’il sera assez difficile de simplement croire en la naissance de cette étincelle entre les deux êtres. D’autant plus que la chimie entre les deux jeunes vedettes n’opère vraiment ici qu’en théorie, ces derniers jouant le jeu comme ils peuvent sans jamais être en mesure d’exprimer le moindre élan de passion à l’écran. Il aurait été évidemment quelque peu ridicule de s’attendre à avoir droit à une oeuvre de grande qualité avec Beastly. Mais même une fois nos standards abaissés, il demeure assez navrant de constater à quel point Barnz ne se contente bien souvent ici que de colmater les trous en ne cherchant à apporter aucune idée nouvelle à l’essai, le présent effort se révélant à la fois trop court pour le genre de trame dramatique qu’il tente de mettre en place et trop long lorsque l’on constate ce qui aura finalement été fait avec toute cette pellicule. Le réalisateur signe une mise en scène, certes, fonctionnelle, mais complètement anonyme, exploitant quelques effets de style plutôt éculés tout en cherchant toujours à faire le moins de vagues possible. Barnz se servira d’ailleurs constamment du support musical comme béquille afin de transmettre les émotions désirées à son public - ce qui explique qu’une composition du groupe The Vines ait réussi à se frayer un chemin dans la trame sonore d’un film en 2011 -, certaines paroles de chanson se fondant bien souvent avec les dialogues sirupeux récités par nos deux tourtereaux en devenir.

Mais autant Barnz ne sait jamais comment meubler son temps de façon efficace, autant ce dernier semble néanmoins tout à fait conscient que le compteur tourne et qu’il se doit par conséquent de révéler le caractère de ses protagonistes de la manière la plus concise qui soit. Une contrainte qui mènera à une séquence d’ouverture d’une stupidité déconcertante au cours de laquelle Kyle, se présentant comme président de son école, déclarera durant un discours que les étudiants ne devraient pas voter pour lui parce qu’il a des idées (ce qu’il n’a pas), mais simplement parce qu’il est beau et riche. À l’opposé, Lindy sera présentée dès le départ comme une fille évoluant (évidemment) en marge du monde des mieux nantis, aimant bien manger des sucreries en chantonnant dans la rue, et venant en aide aux sans-abris. Bref, pour la subtilité, nous repasserons. Il n’y aura finalement que les personnages des deux valets - eux aussi atteints d’un mal, mais extérieur à celui de Kyle - auxquels Barnz réussira à conférer une certaine substance, en particulier à celui de ce tuteur aveugle (interprété de belle façon par Neil Patrick Harris). L’insertion d’une telle histoire à l’intérieur d’un contexte moderne n’était pourtant pas dénuée de sens à la base, surtout lorsque nous considérons l’importance qui est de plus en plus accordée à l’image et aux apparences dans la société d’aujourd’hui, expliquant que les allures de bête que se voyait autrefois octroyé notre ensorcelé aient laissé leur place dans Beastly à de vilaines cicatrices et une grande quantité de tatouages. Il demeure néanmoins assez ironique qu’un tel message soit véhiculé ici par l’entremise d’une production dont les traits s’avèrent aussi superficiels et exagérés.
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Critique publiée le 5 mars 2011.