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Une vie qui commence (2010)
Michel Monty

Je me souviens

Par Mathieu Li-Goyette
L’heure est aux bilans. Car Une vie qui commence est le premier long métrage québécois à faire sa sortie en salles en 2011, car c’est le temps des palmarès des « meilleurs films de l’année », des « meilleurs films de la décennie », et que l’on peine encore à répondre à cette question : « qu’en est-il du cinéma québécois des années 2000? ». Alors qu’en France Les cahiers du cinéma consacrait un article à la question, alors qu’ici on se concentre sur les auteurs indépendants que nous avons choisis de défendre contre les besoins provinciaux en matière de sensations fortes - les drôles de titres Nitro, Les pieds dans le vide, Les grandes chaleurs et À vos marque… party! sont autant marqués par la sueur que par un désir de vitesse, de compétition -, on se compare au cinéma américain, bien entendu, tandis que l’on flatte dans le sens de l’orgueil nos grandes productions plus ou moins réussies.

Celles-là, que ça plaise ou non, définissent pourtant, à une plus large échelle, notre cinéma. En dehors du prisé circuit montréalais, C.R.A.Z.Y., La grande séduction, Les invasions barbares, Un été sans point ni coup sûr, Bon Cop Bad Cop, voire les titres à succès des dix dernières années, on les trouve à la pelle dans une cinématographie qui ne produit pourtant qu’une trentaine de longs métrages de fiction par année. Mais il ne serait probablement pas si important de revenir sur ces généralités si ce n’était du fait que le premier film de Michel Monty, que nous espérons voir signer bien d’autres opus, résume sans trop le savoir la dernière décennie.

Cette oeuvre largement autobiographique racontant le deuil du père (François Papineau) d’un jeune garçon (Charles Antoine Perreault) tel que vécu par celui-ci, son frère cadet, sa soeur et sa mère (Julie LeBreton) se déroule au tournant des années 60 et passe tour à tour d’une première moitié marquée par la présence du père et d’une autre marquée par son absence; absence s’avérant d’autant plus importante qu’elle sera comblée ici par la religion catholique. Venant imposer sa rigueur à un fils ayant perdu son père, celle-ci sauve en quelque sorte l’endeuillé d’un abandon à la délinquance et au manque de discipline que « seul un père » peut lui apporter; c’est là le destin d’une nation québécoise privée de sa figure paternelle depuis ses origines et abandonnée par sa mère, la France. Ici, la mère partira travailler en laissant ses enfants aux soins d’une cousine, puis s’amourachera d’un collègue de bureau rapidement accueilli à coup de bâton de golf par le jeune homme, refusant toujours de croire que son père devra être remplacé.

Si le schéma, inconsciemment peut-être, rappelle un cinéma national sans cesse à la recherche d’un père et d’une époque révolue, celle de la première partie du film, joyeuse, presque parfaite avec ce François Papineau bon médecin et praticien du bon sens et de la générosité envers autrui, l’après-bonheur nous renvoie à toute une tradition québécoise de la défaite et de la déception. Puisque parler aujourd’hui des années 60 comme nous le faisons si régulièrement, c’est aussi parler d’un temps où « tout allait mieux », où l’émergence du Québec sur la scène internationale a été freinée à un rythme qui contrevenait aux espérances d’un peuple qui, si l’on me prête l’expression, attend toujours sa délivrance.

Une vie qui commence est donc une oeuvre sur ce besoin d’expiation, d’exorciser les démons du passé (représentés dans le film de Monty par des séquences surréalistes qui, elles, comme à leur habitude, ne réussissent jamais très bien dans le cinéma québécois) et sur le traumatisme latent que laisse leur absence. Sans cesse tourmenté par ces manques (le père, la reconnaissance, l’indépendance, etc.), le présent semble se figer dans le passé et incapable de ne faire du futur qu’un lieu de commémoration, donc de pastiche, de simulacre où la vitalité n’est qu’à l’imparfait tandis que la mort est fixée au contemporain. La désillusion de l’alter ego de Monty tente alors de s’extirper du passé, de comprendre que la vie peut toujours « commencer aujourd’hui », être faite d’émerveillements, de recommencements plutôt que de fins.

Morale aussi béate que facile, elle résume une réflexion sur le deuil (que d’autres films, comme Trois temps après la mort d’Anna, abordaient avec un souffle cinématographique, certes, plus imposant) qui permet à Monty de signer un premier long métrage d’une justesse de jeu et de dialogue hors du commun. En effet, rares ont été récemment ces films d’ici où nous ne rechignions devant aucune réplique, où au moins l’un des personnages ne s’avérait pas être un remplissage calorique, édulcoré par la volonté de créateurs à la recherche de « nouveaux » héros (certains Villeneuve, Turpin, Canuel et autres prophètes esthétisants). Ici, on fait dans le classique. On retrouve cette mère de famille typée, ce père parfait et cette famille exemplaire, compréhensible dans ces moindres actions et prévisible dans chacune de ses réunions; n’oublions pas le couple de grands-parents brillamment intégrés à un récit qui aurait souffert d’ « antagonistes » plus soulignés. Ponctuant ces réflexions simples, mais belles, Monty atteint une qualité que nous avons récemment eu l’occasion de louanger chez les productions américaines des Fincher, Greengrass et Haggis, c’est-à-dire cette impression de « néo-classicisme », de redire, mais aujourd’hui, ce qui a déjà été dit.

Ce courage - il en faut, car nombreux sont ceux à taxer ces films de « prévisibles », de « clichés » - il se double d’un bon goût pour la narration et les scénarios bien rodés, d’oeuvres échappant à la prétention comme à l’ennui : le plaisir de se faire raconter des histoires se multiplie au carré d’un plaisir de se faire raconter des histoires connues. Tandis que l’on fouille autour de nous pour des idées dites nouvelles (quand aucune ne l’est), ces quelques auteurs poursuivent une ligne droite sans trop se poser de question et en s’évertuant à la suivre du mieux qu’ils le peuvent. Cette rigueur, celle d’Une vie qui commence, est celle d’un cinéma qui essaie paradoxalement de se renouveler. Dénicher de nouvelles formes par la redite des anciennes, c’est d’abord faire preuve d’humilité pour son sujet - et malgré l’aura autobiographique du film, ce n’est pas l’égo qui le domine - et ensuite savoir saisir un réel, notre présent qui, comme ce deuil de l’autrefois et du père, doit d’abord rendre intelligible un passé sur lequel on aura trop souvent levé les yeux. Une attitude de dédain dangereuse non seulement pour la culture, mais pour la cohérence d’un présent constamment plus friable.
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Critique publiée le 21 janvier 2011.