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Man from Nowhere, The (2010)
Jeong-beom Lee

À la manière des autres

Par Jean-François Vandeuren
Si le présent exercice semble d’abord vouloir s’inscrire dans la même lignée que le premier long métrage de Lee Jeong-beom, il est clair assez rapidement que l’histoire de gangsters proposée par The Man from Nowhere se situe en fait à l’opposé total du beaucoup plus sobre et dramatique Cruel Winter Blues. Ainsi, si l’opus de 2006 offrait une étude de personnages qui pouvait parfois tourner en rond, mais qui était néanmoins loin d’être dénuée d’intérêt, le cinéaste aura sorti cette fois-ci l’artillerie lourde, proposant une prémisse beaucoup plus musclée, mais aussi beaucoup plus convenue. Ce dernier semble d’ailleurs avoir retenu plus d’une leçon des enseignements du maître Besson à cet effet alors que le scénario de The Man from Nowhere marchera d’abord dans les traces de son Leon: The Professional avant de suivre celles du Taken de Pierre Morel. Le tout mijoté dans une sauce qui, pour sa part, ne sera pas sans rappeler celle qui avait su faire lever le Man on Fire de Tony Scott. Ce récit abracadabrant débutera lorsqu’une danseuse dérobera une importante quantité de drogue à un puissant groupe de criminels de Séoul. Un prêteur sur gage en apparence sans histoire sera ensuite mêlé à toute cette affaire, lui qui se liera d’amitié avec la fille de la fautive et qui se retrouvera sans le savoir en possession du précieux colis. Évidemment, les criminels viendront un jour récupérer ce qui leur appartient. Une première confrontation qui se soldera par l’enlèvement de la mère et de sa fillette. Il n’en faudra pas plus pour réveiller les instincts de tueur de ce mystérieux individu très doué en arts martiaux, lui qui fera alors tout ce qui est en son pouvoir pour arracher sa jeune amie des griffes de ces puissants malfrats.

Évidemment, le réalisateur sud-coréen ne se contente pas ici que de reprendre les grandes lignes des scénarios cités plus haut, mais s’affaire également à en exagérer les attributs au point de faire flirter ses élans avec la caricature. Le tout à l’intérieur d’une mise en scène qui, pourtant, s’avère être étrangement rigide et réfléchie du début à la fin. C’est d’ailleurs sans surprise que Lee Jeong-beom poussera d’abord la note afin de nous rendre aussi sympathique que possible à la cause de son improbable duo. Ce dernier nous présentera d’une part la jeune So-Mi comme une enfant prenant bien malgré elle les mauvaises habitudes d’un milieu peu propice à son bon développement, elle qui rappellera à certains égards la Mathilda qu’interprétait Natalie Portman dans Leon. De son côté, notre héros, qui se révélera évidemment être un ancien agent surentraîné ayant vécu un drame personnel horrible, se fera une mission de retrouver cette fille qu’il n’a jamais pu avoir en employant des méthodes assez similaires à celles du personnage que campait Liam Neeson dans l’opus de 2008. L’initiative sera également renforcée par le fait que nos criminels de service seront caractérisés comme des êtres tout ce qu’il y a de plus amoraux et répugnants. Ces derniers ne se contenteront donc pas que de faire dans le trafic de stupéfiants, mais aussi dans celui d’organes et d’enfants, et même d’organes d’enfants. Nous aurons droit du coup à notre lot de séquences nous présentant des bambins errant dans les rues afin de permettre à leurs bourreaux d’effectuer leurs transactions incognito et préparant des cargaisons de drogue dans de sombres laboratoires souterrains, et ce, sans le moindre équipement pour se protéger des effets néfastes de ces substances illicites.

Bref, nous ne pouvons pas dire que Lee Jeong-beom y va de main morte avec The Man from Nowhere. Et pourtant, jusqu’à un certain point, le cinéaste réussira à donner l’impression qu’il est toujours en pleine possession de ses moyens. Ce dernier propose ainsi une facture visuelle extrêmement léchée, et ce, malgré l’absurdité flagrante de bon nombre des éléments de son récit. Le réalisateur s’en remettra notamment à l’utilisation d’une musique mélodramatique, comme c’était le cas dans Cruel Winter Blues, pour souligner à outrance la gravité de certains segments. Mais nous devons bien admettre malgré tout que ce dernier sait aussi créer des moments d’adrénaline particulièrement saisissants, ce qui est en soi un prérequis pour avoir du succès avec ce type de cinéma. Autrement, The Man from Nowhere a tendance à se complaire dans des lieux beaucoup trop familiers du genre sans vraiment chercher à forger une signature qui lui est propre. Nous passerons ainsi énormément de temps au coeur de ces lieux de luxure, de ces boîtes de nuit cachant des opérations clandestines et de ces appartements de quartiers peu recommandables. Le même constat s’applique également aux personnages, parmi lesquelles nous retrouverons le héro demeurant (presque) toujours de glace, les malfrats extravagants, le bras droit en qui le protagoniste trouvera un adversaire à sa hauteur, et des forces de l’ordre aux prises avec une affaire qui les dépasse complètement. Il ne fait aucun doute que Lee Jeong-beom sait comment jouer ses cartes, mais ses stratégies demeurent néanmoins faciles à deviner, ne laissant du coup aucune place au moindre bluff. Ce sera principalement le cas lors de ce revirement de situation sans queue ni tête en fin de parcours qui mènera à un dénouement heureux, lequel sera évidemment appuyé par une chanson larmoyante lors de la tombée du générique de clôture.

The Man from Nowhere a donc tout d’un simple film de série B, mais apprêté à la manière d’une oeuvre de premier plan. Si son approche se révèle parfois un peu trop austère, le présent exercice n’en vient jamais à provoquer de moments d’hilarité involontaires, ce qui, pour un projet de cette nature, peut être perçu autant comme une bonne chose qu’un manque à gagner. Ainsi, si le film de Lee Jeong-beom propose une formule aux traits et aux références assumées (parmi lesquelles se glissera un savant clin d’oeil au Killer de John Woo), celui-ci ne réussit jamais vraiment à s’imposer par ses propres moyens. Il est clair que les artisans responsables de cette production savaient pertinemment ce qu’ils avaient à faire. Du monteur au chorégraphe en passant par le directeur photo et les différents acteurs, tous auront su se conformer au ton imposé par le maître d’oeuvre. Mais le manque de flexibilité dont fait souvent preuve le résultat final nous donne beaucoup plus l’impression de nous retrouver devant une peinture à numéros que face à ce récit autrement plus distrayant dans lequel tout n’aurait pas semblé aussi exagérément calculé. Le cinéaste sud-coréen et son équipe se tirent ainsi d’affaire grâce à certaines séquences d’action et quelques instants dramatiques étonnamment poignants qui, sans être anthologiques, s’avèrent néanmoins suffisamment stimulants. The Man from Nowhere demeure en somme un effort dont les composantes ont en soi beaucoup plus de valeur lorsque prises individuellement plutôt qu’en un tout. Car ce qu’il manque en bout de ligne à ce second long métrage de Lee Jeong-beom, c’est cette simple étincelle qui aurait pu en faire un divertissement violent aussi facilement recommandable que ceux qu’il s’évertue à singer pendant près de deux heures.
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Critique publiée le 14 janvier 2011.