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127 Hours (2010)
Danny Boyle

Man vs. Wild

Par Jean-François Vandeuren
Au cinéma, la mise en scène joue un rôle fondamental en ce qui a trait à l’efficacité d’une histoire durant son passage de la feuille de papier à la pellicule. Car un bon scénario ne garantit pas forcément un bon film. La même intrigue entre les mains de cinéastes différents pourrait ainsi mener à des résultats totalement opposés. C’est d’ailleurs l’une des premières interrogations qui nous vient en tête à la suite du visionnement de 127 Hours. Pas que le travail de Danny Boyle soit sans intérêt, bien au contraire, mais nous nous serions tout de même attendus à ce que le récit tragique d’Aron Ralston nous soit raconté d’une manière beaucoup plus modeste, voire aride. L’oeuvre à laquelle nous pensons immédiatement dans ce cas-ci est évidemment le fameux Gerry de Gus Van Sant, dans lequel deux amis tentaient désespérément de retrouver leur chemin au milieu de paysages désertiques assez similaires à ceux évoqués ici. Il est toutefois clair dès le générique d’ouverture on ne peut plus énergique du présent exercice que Boyle n’a aucunement délaissé son style ultra-vitaminé pour la réalisation de ce projet, que ce dernier décrit essentiellement comme un film d’action dans lequel le protagoniste est incapable de bouger. L’homme en question (interprété par James Franco) est un alpiniste qui, en 2003, quitta la ville pour passer la fin de semaine dans la région de Blue John Canyon en Utah avec la ferme intention d’étancher sa soif d’émotions fortes. Visiblement familier avec les lieux, Aron s’aventurera au coeur de ceux-ci en ayant tendance à en prendre les obstacles un peu trop à la légère. Une témérité qui lui fera faire une vilaine chute au fond d’une crevasse. Comble de malheur, son bras droit se retrouvera coincé sous un énorme rocher, lequel immobilisera le principal concerné pendant plus de cinq jours.

La bonne nouvelle, c’est que le succès ne sera vraisemblablement pas monté à la tête du cinéaste britannique. Un changement d’attitude - et de priorités - que nous aurions pu facilement redouter après que ce dernier ait remporté l’Oscar du meilleur réalisateur pour ce qui pourrait pourtant bien être la production la plus faible de son répertoire, soit Slumdog Millionaire. D’autant plus que, pour ce nouvel opus, Boyle aura décidé de retravailler avec la même équipe composée du scénariste Simon Beaufoy, du producteur Christian Colson et du compositeur A.R. Rahman. 127 Hours s’inscrit malgré tout dans cette même logique illogique qui aura guidé le parcours du réalisateur au cours de la dernière décennie. Celle qui lui aura permis de passer si aisément du film de zombies à la fable pour enfants de tous âges, du film d’anticipation au « feel-good movie ». Cette adaptation de l’autobiographie Between a Rock and a Hard Place, que Ralston rédigea peu de temps après son accident, représentait évidemment un autre défi de mise en scène particulièrement intéressant. La question était maintenant de savoir si Boyle serait en mesure d’apposer sa signature des plus fougueuses et colorées sur le récit de cet homme laissé complètement à lui-même. Une incertitude à laquelle le cinéaste répondra dès la première scène du film par l’entremise d’une utilisation un tantinet abusive, mais complètement assumée, du split screen et du rythme d’un morceau de musique rock tout à fait approprié accompagnant la présentation d’une série d’images de divers endroits grouillant de vie. Une séquence qui servira évidemment à créer un immense contraste avec les événements à venir. Car autant Boyle injecte encore une fois énormément de style à une histoire qui, sur papier, n’en demandait pas tant, autant le moindre de ces éléments visuels et sonores sert ici un but bien précis.

C’est évidemment une chance que Ralston ait eu la présence d’esprit de tenir une sorte de journal vidéo de sa mésaventure. Un élément qui aura fourni un peu plus de matière avec laquelle travailler à son interprète, en plus d’apporter un certain dynamisme à la progression narrative du scénario, et ce, sans que ses artisans aient à s’éloigner outre mesure de la réalité. Les nombreux effets de style auxquels auront recours le réalisateur et ses acolytes auront d’ailleurs pour principal objectif de mettre en relief la condition et les émotions d’un individu étant de plus en plus confronté à l’inévitable. Ces images serviront ainsi à souligner les moindres sensations de Ralston, telle la soif, qui sera à l’origine de ce long travelling à travers le désert qui se terminera sur un gros plan de la bouteille de Gatorade oubliée par le principal intéressé à l’arrière de sa camionnette. Ce dernier ne pourra alors faire autrement que de repenser à son passé (au temps partagé avec ses proches, à son ancienne copine) comme aux événements qui auraient pu se produire (avec ces deux jolies inconnues avec qui il passa un moment peu de temps avant l’incident). Boyle et Beaufoy mettront aussi continuellement l’emphase sur les instruments qui auront une incidence directe sur la destinée du protagoniste. De ce couteau suisse inatteignable à cette gourde se vidant peu à peu de son eau, la caméra de Boyle et des directeurs photo Enrique Chediak et Anthony Dod Mantle pénétrera ces objets comme elle s’infiltrait jadis dans la seringue d’héroïne d’un personnage de Trainspotting. Une initiative qui illustrera, certes, la détérioration de la condition du sujet, mais qui permettra également au spectateur de ressentir la dureté des épreuves qu’il devra traverser grâce à cette insistance et à la répétition de certains cadres, qui mèneront à des moments d’inconfort particulièrement saisissants.

La prémisse de 127 Hours aurait pu s’écrouler sous nos yeux pour un nombre incalculable de raisons, telle une altération trop extrême de la nature de l’événement. Au final, c’est la façon dont Danny Boyle aura su trouver cet équilibre improbable entre sa vision du cinéma et l’histoire d’Aron Ralston qui aura fait de ce neuvième long métrage une authentique réussite, à défaut d’un film parfait. Plusieurs éloges reviennent également à un montage des plus fonctionnels et au rythme soutenu auquel progresse l’intrigue, faisant habilement le pont entre le « moment présent » et tout ce qui interpellera, d’une manière ou d’une autre, l’esprit du protagoniste. Le tout se fond évidemment allègrement à l’importance que le cinéaste accorde une fois de plus à la culture populaire, qui se manifeste ici sous la forme de références davantage ancrées dans le quotidien, comme une publicité ou le thème d’une série télévisée. La démarche du Britannique n’est toutefois pas à l’abri de certains faux pas, notamment au niveau du support musical, qui n’est pas aussi consistant que ce à quoi Boyle nous a habitués par le passé. Nous pensons en particulier à l’intégration de la pièce « Festival » du groupe islandais Sigur Rós qui viendra passablement exagérer l’ampleur des derniers instants du calvaire de l’alpiniste américain. Nous devons également souligner l’excellente performance de James Franco, qui réussit à communiquer la détresse ainsi que la grande force de caractère de son sympathique personnage, et ce, sans jamais faire sombrer celui-ci dans une quelconque forme de misérabilisme. Car les artisans derrière 127 Hours n’auront fort heureusement jamais oublié que l’histoire d’Aron Ralston en est une de courage. Une célébration de la vie et de tout ce qu’elle implique, dans les périodes les plus difficiles comme les plus réjouissantes, le protagoniste ayant dû faire un sacrifice considérable pour pouvoir en jouir de nouveau.
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Critique publiée le 26 novembre 2010.