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Giallo (2009)
Dario Argento

Rire jaune pour ne pas pleurer

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Le coup du giallo posthume, Dario Argento nous l'avait déjà fait en 1982. Le truc s'intitulait alors Tenebre et évoque aujourd'hui le souvenir d'une époque où le maestro orchestrait encore de bons films. De nos jours, le cinéaste italien enchaîne les mauvais coups à intervalle régulier - réalisant des navets qui donnent l'impression qu'il a complètement oublié ce qui faisait la grandeur de ses meilleures oeuvres. Tant et si bien que pour parler le moindrement du monde de ce décevant Giallo, il faut traiter non pas de ce qu’il fait mal, mais plutôt de ce qu'il ne fait pas. Le fait qu'il s'agisse, en théorie, d'un hommage au genre qui fit la gloire d'Argento nous oblige à revenir sur un passé de plus en plus lointain; or, le film n'offre rien des qualités (ou même des défauts) qui définissent sa prétendue source d'inspiration. Giallo, le film, est un thriller on ne peut plus standard qui n'ose jamais la surenchère esthétique des plus extravagantes créations de son auteur, ou même la structure extrêmement autoréférentielle d'un objet comme Tenebre. Le titre générique, quasi industriel, nous invite à penser que ce retour aux sources jouera consciemment avec les motifs connus et les archétypes, de connivence avec le public, question d'amuser à tout le moins les initiés. Mais il n'en est rien. Cette production anonyme et bon marché déçoit systématiquement les attentes, victime d'espoirs que l'on savait à la base infondés.

Échec prévisible, Giallo n'en demeure pas moins une authentique occasion ratée comme l'avait été deux ans plus tôt le risible Mother of Tears. Il est difficile de concevoir qu'un auteur culte puisse à ce point ignorer les raisons de son propre succès, comme s'il avait été possédé, puis subséquemment abandonné par le talent sans en être réellement conscient. Cinéaste formé à l'école de la critique, Argento semblait pourtant à la tête d'un projet esthétique intentionnel dont chaque nouvelle excroissance servait à repousser les limites établies par la précédente. Inferno, suite de Suspiria, détruisait de manière encore plus définitive que son prédécesseur les liens logiques de la narration pour créer de complexes circuits oniriques. Tenebre cannibalisait sa filmographie, livrant au spectateur une caricature consciente de la codification propre au cinéma de genre dans le but avoué de satisfaire à l'excès ses plus répréhensibles pulsions scopiques. D'un point de vue strictement formel, le cinéaste se dépassait constamment, sa démesure virtuose oscillant entre le ridicule et le génie jusqu'au formidable zénith contradictoire que constitue l'hystérique Phenomena. Pour Argento, le cinéma était un espace abstrait, un territoire imaginaire où le réel perdait progressivement son emprise sur le défilement des images.

Cauchemardesque utopie, cette conception du septième art lui avait permis d'inventer un langage cinématographique unique épousant la logique de la peur, d'établir un système déraillant sous nos yeux au fur et à mesure que les protagonistes perdaient le contrôle de leur propre univers. Giallo, au contraire, se cantonne à la plus commune des mises en images, s'étouffant dans une banalité qui contredit jusqu'à la raison d'être de ce cinéma. Si, autrefois, la folie créative d'Argento lui permettait de transcender le sordide de ses sujets, c'est ici tout ce qui demeure à l'écran, comme une gênante obsession tenant maintenant du fétichisme redondant. Les séquences de torture et de séquestration se répètent bêtement, étalant la souffrance et la violence sans en faire des substances cinématographiques à proprement parler. Ce qui était une matière première n'est donc malheureusement plus qu'une fin en soi dans ce Giallo où, de surcroit, tout semble un brin cabotin. Adrien Brody, qui se prend pour Peter Sellers dans un double rôle potentiellement intéressant (celui du tueur et du détective le pourchassant), s'avère incapable de trouver la note juste sur laquelle jouer l'un et l'autre. Perdu dans une réalisation dépourvue de tout souffle, il semble faire du surplace et s'agite pour donner l'impression que quelque chose, n'importe quoi, vient briser l'incroyable monotonie de ce scénario à numéro.

N'énumérons pas les multiples entorses de cette histoire à la cohérence et à la crédibilité. Il fut un temps où Argento, passé maître dans l'art de détruire la raison, n'avait que faire de ces « qualités » bien relatives par lesquelles on réussit les thrillers ordinaires. Le problème de Giallo, ce n'est pas tant qu'il échoue selon ces critères d'évaluation normatifs, mais plutôt qu'il se réduit à leur niveau - qui n'est pas celui de son auteur. Si Mother of Tears était un ratage plus total encore que ce successeur, il avait le mérite d'être minable à la manière d'un véritable Dario Argento : à l'extrême, sans concessions, jusqu'à la plus consommée des absurdités. Son outrance était, certes, maladroite, de mauvais goût même, mais elle possédait un petit quelque chose s'apparentant à une signature. Devant ce fade Giallo, on se surprend parfois à penser que les traces de compétence constituent autant de compromis à sa propre vision dérangée, qu'en allant par-delà les limites de la médiocrité le maestro pourrait peut-être renouer avec l'inspiration. Mais quand on en est rendu à poursuivre ce genre de chimères, à formuler ce genre d'hypothèses, peut-être le temps est-il venu d'abandonner tout simplement.
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Critique publiée le 17 novembre 2010.