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Kaboom (2010)
Gregg Araki

Teen Peaks

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Nous sommes bombardés à longueur d'année de films stupides aux scénarios débiles ressassant des clichés mille fois visités, mitraillés de séries télévisées qui carburent aux revirements farfelus pour conserver notre attention sollicitée de part et d'autre par des images toujours plus racoleuses les unes que les autres. À cet égard, Gregg Araki nous en donne pour notre argent avec son plus récent long métrage Kaboom, cultivant un second degré qui fait de cette ode au mauvais goût mis en marché pour le public adolescent une réjouissante satire de notre ordurière culture populaire. Condensé accéléré de tous les rebondissements qu'offrirait une série télévisée normalement constituée en l'espace d'une saison, Kaboom est une sorte de Twin Peaks tel que l'aurait réalisé le Kevin Smith des bonnes années, un Degrassi sous acide où sexe et sectes font bon ménage sur fond d'apocalypse anticipée. Du gros plaisir sale, bref, pour peu que l'on ne prenne pas le tout très au sérieux et que l'on sache apprécier à sa juste valeur le charme ringard d'une transition volontairement mal fichue.

S'étant fait remarquer en 2005 avec Mysterious Skin, que plusieurs considèrent comme étant son oeuvre la plus aboutie à ce jour, Gregg Araki n'a pas cherché depuis à renouer avec le surprenant succès de ce film. Il est redevenu l'adolescent narquois qu'il avait toujours été auparavant, au grand déplaisir de certains qui pensaient que la maturité l'avait finalement frappé de plein fouet. Araki, au fond, sera toujours une sorte de John Waters léger du nouveau cinéma queer : un provocateur trash, fasciné par cette Amérique constipée dont il prend un malin plaisir à exposer la face joyeusement déjantée. Élevé aux images conventionnées, voici qu'armé d'une caméra il peut en vomir sa propre vision, réellement libre; celle d'un type à qui personne ne dira comment gérer sa vie sexuelle. Nihiliste à ses débuts, comme nous le rappellent des titres tels que The Doom Generation et Totally Fucked Up, Araki a cependant appris à se faire plaisir au fil des ans - à faire l'amour plutôt que la guerre, même s'il fait l'amour comme certains font la guerre. Son discours, en devenant positif, est aussi devenu plus digeste parce qu'il a cessé de feindre la profondeur.

Par conséquent, c'est avec un grain de sel qu'il faut tout prendre ici pour bien comprendre. Ce Kaboom, jusqu'au moindre détail de mise en scène, s'assume en tant que comédie pour ados vaguement attardés gavée aux stéroïdes - avec un culot qu'il faut un certain temps avant de métaboliser réellement. Pendant quelques minutes, on se demande même honnêtement si le cinéaste a complètement perdu la tête. Mais en décidant d'embrasser totalement ce qu'il caricature, d'en exacerber les tics jusqu'à ce que son film ressemble à une série télévisée bien débile, Araki offre un objet cinématographique remarquablement cohérent (dans son incohérence) et étrangement raffiné (dans sa médiocrité assumée). Chaque changement de scène donne l'impression que l'on va maintenant pouvoir passer à la pause publicitaire, les effets de montage douteux se multiplient de manière enthousiasmante et les répliques assassines se situent systématiquement à mi-chemin entre le ridicule consommé et l'authentique ingéniosité comique.

Frénétique odyssée hallucinée au pays de l'image poubelle, le film que nous offre Araki s'avère juste en ce sens où il clame haut et fort que les adolescents sont gavés avec insistance d'images minables, s'appropriant le langage élaboré à l'intention de ce « public cible » pour le parasiter d'idées autrement moins rétrogrades qu'à l'habitude. Le concept n'est évidemment pas neuf, mais Kaboom l'exploite avec un plaisir manifeste, très vite contagieux, et s'assure de le faire sans aucune réserve. Ses adolescents, prisonniers d'intrigues toujours inexplicablement compliquées, dont toutes les pistes convergent comme par magie pour les besoins de l'intrigue, vivent dans un monde dont la substance même est dictée par l'image. On pourrait affirmer qu'ils sont victimes de ce cinéma, personnages contre leur gré, que ce sont les figures idéalisées d'un phénomène socioculturel, « l'adolescence », inventé (ou du moins peaufiné) par la prolifération des discours médiatiques à son sujet. Ils sont trop beaux, trop troublés, trop tout pour être vrais.

Récipiendaire de la toute première Queer Palm lors du festival de Cannes plus tôt cette année, Kaboom n'est pas tant un « bon film » qu'un film férocement divertissant, assumant complètement son parti pris esthétique et ses visées subversives. Cette comédie tarabiscotée, « nuttier than squirrel shit » pour reprendre l'expression de l'un de ses personnages, dynamite les codes de son genre sans jamais faire de compromis à l'intention d'un grand public dont il n'a que faire de la sympathie et du support financier. Aucune attente n'est réellement satisfaite dans ce film violemment saturé, sorte de miroir déformant renvoyant une image non pas de la société, mais de l'image qu'elle a choisi de s'inventer - et qui tend progressivement à se substituer au réel dont elle prétend constituer le reflet. Araki, à défaut d'avoir une solution au problème qu'il expose, a compris sa place dans ce petit jeu; et il relève haut la main le pari de tout faire sauter à grand renfort d'absurde et de surenchère. Que ceux qui l'aiment le suivent.
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Critique publiée le 5 mai 2011.