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2 frogs dans l'Ouest (2010)
Dany Papineau

À l'ouest du Cegep

Par Jean-François Vandeuren
Au-delà d’une bonne histoire, du choix des interprètes, ou même du réalisateur, l’un des principaux atouts d’une production lors de sa mise en marché demeure son titre. Un titre simple, élégant, original et enrobé d’une aura de mystère accrochera le regard et réussira même parfois à piquer la curiosité de spectateurs qui, autrement, n’auraient jamais considéré aller voir le film. Ceci étant dit, 2 frogs dans l’Ouest… Enfin bref, nous disons souvent que les voyages forment la jeunesse et c’est entièrement autour de cette idée que s’articule le premier long métrage du Québécois Dany Papineau. Nous verrons ici la jeune Marie Deschamps (Mirianne Brûlé), une cégépienne n’arrivant pas à choisir un domaine dans lequel elle désire vraiment étudier, quitter Granby pour partir à la conquête de l’Ouest canadien en compagnie de sa meilleure amie. Le tout au grand dam de son père (Germain Houde), qui préférerait évidemment voir la jeune femme terminer ses études et devenir quelqu’un de tout à fait ordinaire. Mais à peine quelques kilomètres après leur départ, la « best » de Marie décidera de faire demi-tour et de retourner auprès de son amoureux, laissant celle-ci en plan sur le bord de la route avec son sac à dos. Bien déterminée, Marie poursuivra son chemin de peine et de misère jusqu’à Whistler, où elle fera la rencontre de Jean-François (Papineau), qui l’invitera à s’installer à côté du chauffe-eau de l’immense demeure dans laquelle il réside depuis plusieurs années en compagnie de ses colocataires un tantinet dévergondés. La voyageuse dénichera éventuellement un emploi grâce à Gaby (Jessica Malka), qui lui obtiendra un poste de femme de chambre dans un luxueux hôtel de la région. Ce sera le début d’un long séjour au cours duquel Marie se défera progressivement de son image de jeune fille modèle et découvrira qui elle est réellement.

Avec 2 frogs dans l’Ouest, Dany Papineau nous raconte un peu ce qu’il a vécu lorsqu’il quitta lui-même le Québec sur un coup de tête pour aller explorer le monde à la fin des années 90. Le film de Papineau partira sur des bases qui ne seront évidemment pas sans rappeler celles du nettement supérieur The Beach de Danny Boyle, notamment de par cette idée du voyage vers l’inconnu à la recherche d’un petit coin de paradis. Le cinéaste transposa toutefois son histoire à l’intérieur de celle d’un personnage féminin auquel il peut être assez difficile de s’attacher. Un manque de sympathie qui n’est pas tant dû ici au jeu de l’actrice Mirianne Brûlé plus qu’à la façon dont la composition de son alter ego finira par témoigner des nombreuses incohérences du scénario tout comme du manque de rigueur extrême avec lequel auront été édifiés l’ensemble des éléments du présent exercice. Nous passerons par-dessus le fait qu’une Québécoise dans la vingtaine baragouine encore son anglais en 2010. Néanmoins, Papineau nous présentera trop souvent celle-ci comme une personne résolument naïve et innocente (pour rester poli) pour réussir à en faire un personnage crédible, elle qui s’entêtera à prendre les pires décisions et à se laisser influencer par Gaby, avec qui elle développera une relation beaucoup plus qu’amicale. C’est à croire que Marie n’était jamais sortie de chez elle auparavant tellement elle devra tout apprendre des individus qu’elle croisera sur son chemin. Une escapade en dehors des limites du système vouée à s’effondrer un jour ou l’autre pour le bien de l’intrigue - et des personnages. Mais encore là, le réalisateur ne trouve jamais le moyen de faire progresser son récit à un rythme moindrement soutenu, et ce, malgré les nombreux montages d’accumulations de neige et de séquences de folies de jeunesse qu’il nous sert continuellement sur un plateau d’argent.

Papineau n’est visiblement pas le genre à faire dans la dentelle, même si son film aurait grandement bénéficié d’un peu plus de nuance sur le plan de la forme. Bien que la direction photo somme toute acceptable de Christian Bégin ajoute une certaine valeur au projet, l’ensemble des éléments esthétiques qui s’y rattachent finissent quant à eux par miner complètement 2 frogs dans l’Ouest. Certains diront - surtout les producteurs - qu'il est plutôt simplet, voire déloyal, de s’attaquer à un tel opus. Mais il faut dire que Papineau et ses acolytes ont souvent tendance ici à trop nous faciliter la tâche. Ces derniers reprennent ainsi les clichés les plus éculés pour illustrer la quête de soi de leur protagoniste en plus d’utiliser les pires stratagèmes pour les mettre en scène. Difficile, par exemple, de ne pas être consterné devant cette image d’une « puissance inouïe » de la pauvre Marie écrivant dans son journal un foudroyant « Qui suis-je? » à l’aide d’un gros crayon noir. Et ce n’est là qu’une scène parmi tant d’autres. Le présent effort démontre pourtant une réelle volonté d’adopter un ton beaucoup plus mature que ses contemporains, mais par le biais d’une démarche qui, elle, se rapproche beaucoup trop de celle de certaines émissions jeunesse pour que l’initiative puisse véritablement tenir la route du début à la fin. Le blâme revient principalement dans ce cas-ci à des dialogues d’une pauvreté souvent déconcertante, ne servant la plupart du temps qu’à mettre en évidence ce qui était pourtant déjà translucide et à extérioriser d’une manière aussi insipide que maladroite l’essence des différents personnages - et le propos du film par la même occasion. À l’image de tout le reste, l’effort est également parsemé d’une panoplie de choix musicaux accompagnant de façon assez peu subtile les moments les plus dramatiques comme les plus « mouvementés ».

Le problème d’une production comme 2 frogs dans l’Ouest ne se situe pas forcément au niveau du discours comme tel. « Quitter le confort de sa petite bulle personnelle afin d’explorer le monde » demeure après tout un conseil que n’importe quel être humain normalement constitué devrait suivre au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour une courte période de temps. Là où le film de Dany Papineau finit par s’effondrer, c’est plutôt au niveau de l’intonation et des mots employés par ce dernier pour tenter de sensibiliser son auditoire aux bienfaits d’aller se chercher soi-même à l’autre bout de la planète. Tout est noir ou blanc dans l’esprit du Québécois. Aucun compromis ne semble envisageable. Le cinéaste placardera d’autant plus son effort de références assez primaires au Volkswagen Blues de Jacques Poulin, auquel il conférera une aura presque biblique. Le tout tandis que Marie s’exprimera par l’entremise d’une narration en voix off ennuyeuse et artificielle, insistant constamment sur le fait que la seule voie envisageable est celle qu’elle a décidé de suivre, que la société dans laquelle nous vivons est faite pour être abandonnée loin derrière et qu’il s’agit de l’unique façon pour un individu de s’épanouir. L’idée est séduisante. Naïve, mais séduisante. Mais le traitement que lui réserve Papineau, lui, se révèle trop souvent arrogant. Un manque de tact qui ressortira particulièrement du portrait peu enviable que le réalisateur dressera de la plupart de ses personnages « adultes ». Et c’est ce qui fait en bout de ligne de 2 frogs dans l’Ouest un film pensé et exécuté de façon grossière, s’adressant à un public dont la moyenne d’âge n’est évidemment pas très élevée en remâchant un discours maintes fois prononcé par de jeunes artistes au cours des dernières années, mais en ne cherchant malheureusement en aucun cas à lui ajouter la moindre nuance.
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Critique publiée le 13 octobre 2010.