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Killer Inside Me, The (2010)
Michael Winterbottom

Personne ne me connaît

Par Maxime Monast
Parfois, une simple phrase suffit pour définir un film. Celle-ci n’en représente pas le récit de manière  exhaustive, mais en résume certains aspects de façon simpliste. Souvent, ce type de phrases a une valeur mercantile. On l’utilise pour vendre le produit. The Killer Inside Me de Michael Winterbottom a déjà subi - et continue d’endurer - les effets de cette forme d’étiquetage. Suite à sa première au Festival de Sundance, l’opus fut réduit à cette simple description peu flatteuse : « le film dans lequel Jessica Alba se fait défigurer ». Très vite, on commença à comparer le présent film d’époque au chef-d’oeuvre Antichrist de Lars von Trier. Mais The Killer Inside Me n’a tellement rien à voir avec ledit film danois que l’association me paraît de la pure paresse journalistique. Cette déclaration fit néanmoins le tour des médias et permit au dernier Winterbottom de piquer la curiosité des cinéphiles. Que le résultat soit positif ou négatif, nous comprenons néanmoins dès les premières minutes que cet opus a beaucoup plus à offrir que cette scène de brutalité. Il faut peut-être creuser un peu, mais l’exercice persiste face à la dénonciation d’une attitude misogyne et de scènes de violence domestique.

Dans un petit village texan, Lou Ford (Casey Affleck) est connu de tous. Homme de loi, il inspire la confiance chez les habitants. Mais lorsqu’il est désigné pour chasser de la région une jeune prostituée nommée Joyce Lakeland (Jessica Alba), le vice s’empare de lui et réveille des démons profondément enfouis. Poussé par une pulsion incontrôlable et des motifs de vengeance, cette rencontre l’amènera jusqu’au meurtre de celle-ci. Le crime sera formateur et Ford succombera à ses désirs sadomasochistes et violents. En essayant d’éliminer toutes traces de son instinct meurtrier (et de ses actes), Ford devra convaincre la police, sa future femme Amy Stanton (Kate Hudson) et autres personnages gênants de son entourage qu’il est innocent. Mais tôt ou tard, il finira par plonger tête première dans le péché et le mensonge.

The Killer Inside Me capture l’essence d’une époque. Enracinée dans les années 50, cette adaptation d’un roman de Jim Thompson évoque la dimension sombre et perverse d’une petite communauté. Effectivement, on prend le temps d’établir le côté « petit village » de ce patelin texan. Les habitants sont normaux et ont des préoccupations simples et honnêtes. C’est pourquoi le choc est si féroce, tant dans le livre que dans le film, lorsque le personnage de Ford se dévoile comme étant le mal incarné. Ses crimes et ses pulsions sont tous des réactions face à sa jeunesse - la violence causée par ses parents. Le présent, sa rencontre avec Joyce, ne fera que les exposer. Cette idée que l’on ne connaît pas vraiment notre voisin aide grandement le récit à offenser son auditoire. La révélation, appuyée par des scènes de pure brutalité, anéantit  tout espoir de rédemption pour le personnage principal. Lou Ford demeure insensible et un détachement chez Winterbottom est évident face à ses actes de cruauté. Par contre, le personnage est emblématique dans ce sens. Souvent, il manifeste de l’amour ou de la compassion pour ses victimes. Mais cela ne l’empêche jamais d’agir. Casey Affleck explore ce caractère contradictoire de manière noble. Sa performance est un pur tour de force. Depuis The Assasination of Jesse James by the Coward Robert Ford d’Andrew Dominik, Affleck s’est manifesté comme un acteur de haut calibre. Il maîtrise ses personnages et celui de Lou Ford en est un exemple parfait.

En parlant de ce film, il est nécessaire d’aborder les conséquences et les réactions face aux scènes de violence. Dans The Killer Inside Me, le carnage est destiné aux deux vedettes féminines, Jessica Alba et Kate Hudson. Leurs personnages subissent des sévices corporels sévères. Psychologiquement, lorsqu’un tort est fait, il est tout de suite enchaîné de violence physique. Dans l’esprit de Ford (dans un acte de noblesse mal fondé?), il comprend le mal qu’il leur impose. Donc, sa seule porte de sortie se manifeste en leur meurtre. Selon lui, cette action est un résultat, un dénouement inévitable. Aussi, cette idée se fait sentir lorsque les deux figures féminines s’entremêlent et ne deviennent plus qu’une seule dans la tête de Ford. Il recrée la passion et la domination qu’il avait avec Joyce avec sa future femme Amy. Le récit défile et la confusion s’empare de l’esprit du protagoniste. Par contre, dans ses actions et ses rencontres avec ses détracteurs, il reste calme. Rien ne semble le bouleverser, même face aux questions du syndicaliste Joe Rothman (Elias Koteas) ou du détective Howard Hendricks (Simon Baker). Il est implacable : un attribut qui aide énormément l’auditoire à s’allier à la cause de ce monstre.

Le traitement qu’il réserve aux deux femmes qu’il aime est douloureux. Personne ne peut être insensible à cette idée. Winterbottom choisit même de nous exposer ces moments de façon assez explicite. Elles sont difficiles à regarder - surtout grâce à la continuité des scènes et à leur durée plutôt excessive. De cette manière, il est clair que notre personnage principal se fait haïr dès les premières minutes. Il représente le mal et aucun autre événement ne changera cette vision. Peut-être que cette exposition va trop loin, mais elle nous présente son point d’une manière définitive. Personne ne reste insensible face à ce traitement. Le but n’est pas de choquer, nous sommes nous-mêmes responsables de cette réaction. Encore plus fort, le but est de nous phagocyter. Plusieurs s’arrêteront aux simples moments sadiques, mais ce récit cache des éléments plus importants que ceux-ci. Il est difficile de forger un récit visant uniquement l’exploitation de moments-choc. Ultimement, il est plus sensé, ce que le film réussit à faire, de s’allier au jeu tordu de son protagoniste et de ses déviations face à la loi.

The Killer Inside Me demeure une histoire difficile à catégoriser. Certainement, le roman fut érigé dans une période où le pulp et les films noirs dominaient. On y discerne même quelques références au Out of the Past de Jacques Tourneur. Même si l’histoire en diverge, cette idée d’un passé enfoui est centrale dans la présente histoire. Sous cette image d’un type normal et calme, Lou Ford demeure un sociopathe. Il est hanté par son passé. En suivant des archétypes connus et en misant sur la performance d’Affleck, Winterbottom réussit à mener son récit à terme. Malgré cette finale au-delà du cathartique (remplie d’images de synthèse particulièrement douteuses (le feu semble être un élément terriblement difficile à recréer numériquement), il y a suffisamment de bons moments pour ancrer le récit. Le seul défi, qui ne dépend pas du film, est d’adhérer à un scénario aussi troublant. Un défi destiné aux estomacs les plus solides.
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Critique publiée le 29 septembre 2010.