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Arnacoeur, L' (2010)
Pascal Chaumeil

Lettre d'amour ouverte à Romain Duris

Par Maxime Monast
Ô Romain Duris! Pourquoi es-tu si charmant? Avec cette barbe datant de quelques jours et ces cheveux sales stratégiquement coiffés. Tu fais craquer les dames (et les hommes). Bref, tu es un arrache coeur. Par contre, nous sommes souvent pris avec un Duris torturé, à la recherche d’un épanouissement personnel. Que ce soit dans le Persécution de Patrice Chéreau ou le Paris de Cédric Klapisch, les questionnements et les actions devant mener à une éventuelle actualisation sont toujours présents. Par contre, ici, nous sommes témoins d’un changement drastique dans ton comportement. Oui, tu es à la recherche de « quelque chose », mais tu y amènes ton sourire. Bienvenue au Romain Duris charmant, souriant et plaisant. Les moments sombres - et je ne parle pas de ces petits instants de tristesse - sont choses du passé. Nous n’avons pas droit ici à des meurtres ou des disputes intérieures - l’exemple parfait à cet effet serait De battre mon coeur s’est arrêté de Jacques Audiard. Nous avons maintenant droit à des moments gais et savoureux. Des séquences où l’aspect comique triomphe dans une histoire d’arnaque simple et efficace.

Romain Duris est donc Alex, un homme incarnant les mille visages de l’amour. Lui et son équipe, sa soeur Mélanie (Julie Ferrier) et son mari Marc (François Damiens), jouent les cupidons à l’inverse : ils se spécialisent dans la rupture de couples. Un jeu de mauvais goût suivant la requête de proches de leur cible n’aimant pas l’amoureux de cette dernière. Essentiellement, Alex monte le plus grand coup dans le but de charmer votre copine pour ensuite récolter un gros montant d’argent une fois qu’elle vous a laissé. Une profession qui semble bien fonctionner - une belle séquence de montage nous montrera d’ailleurs les divers talents d’Alex. Il excelle dans les sourires naïfs, les larmes forcées et le japonais. Mais comme vous l’avez deviné, son plus grand défi professionnel et amoureux se matérialisera sous la forme de Juliette (Vanessa Paradis). À quelques jours du mariage de celle-ci, Alex devra tout faire - à la demande du père de Juliette - pour qu’elle se désiste.

Dans sa forme, L’arnacoeur s’expose de manière assez resplendissante. De beaux paysages, de grands hôtels, des pays exotiques : nous avons droit au plat principal avec tous les accompagnements. On voit très bien que l’on cherche à faire vivre cette élégance - inspirée hypothétiquement par le Ocean’s Eleven de Steven Soderbergh - pour plaire au public. Une touche à l’Américaine qui fonctionne à merveille. Ce sens du style, accompagné d’une bande sonore qui en dit long, nous permet de comprendre nos personnages et leurs motivations. Même si la majorité du récit se déroule à l’extraordinaire Monte-Carlo, on sent que chaque « mission » de l’équipe d’Alex est faite sur mesure. Ils espionnent leur cible et apprennent tous les détails possibles à son sujet pour bien faire leur boulot. Et ils le font avec style. Ils sont des professionnels, même s’ils baignent dans un domaine où les émotions volent dans tous les sens. En somme, cette introduction à leur travail révèle parfaitement l’aspect comique du film. On en tire plusieurs moments cocasses - la première mission d’Alex, dans les dunes, est particulièrement révélatrice de cette combine. On comprend ses tactiques et, même s’il est expert dans ce métier, on aime le voir réussir haut la main.

Comme nous l’avons déjà un peu mentionné, L’arnacoeur fonctionne sur deux principes interreliés. Premièrement, on nous fournit des pistes pour bien ancrer le récit dans notre mémoire. Nous parlons évidemment ici de l’aspect référentiel du film. Cette approche, extrêmement populaire dans le cinéma actuel, est très difficile à reproduire avec brio. Heureusement pour nous, ce long métrage le fait de manière sobre et sans embuches. Nous sommes ainsi exposés à plusieurs citations, très explicites ou sous-entendues, tout au long du récit. La plus frappante demeurant cet hommage resplendissant au film culte Dirty Dancing. On s’acharne à en reconstituer les scènes : plus l’histoire avance, plus celles-ci sont nombreuses. On va même jusqu’à recréer la fameuse danse entre Patrick Swayze et Jennifer Grey.

Deuxièmement, un autre type de références, et la plus intéressante d’une approche purement cinéphilique, se trouve dans l’atmosphère générale du film. On sent que Chaumeil emprunte sa codification et son humour à la comédie « screwball » de l’âge d’or hollywoodien. Cette comparaison devient possible grâce à la chimie que l’on retrouve entre nos couples d’acteurs principaux. D’un côté, Vanessa Paradis devient tolérable en compagnie de Duris. Il rayonne tellement il est capable d’éclairer le caractère de gamine de celle-ci. Les deux prennent position dans leurs personnages et ce choc donne son plein potentiel humoristique. De l’autre, nous avons l’un des duos les plus mémorables des comédies françaises de cette année. François Damiens (qui ressemble de plus en plus à Richard Dreyfuss) et Julie Ferrier sont tout à fait charmant côte à côte. Leur complicité résonne et crée les situations les plus hilarantes du film. En général, ces atomes crochus étaient souvent présents (et mis de l’avant) dans ces films des années 30. My Man Godfrey de Gregory La Cava présente un bon exemple de cette harmonie entre deux vedettes - les inimitables William Powell et Carole Lombard. Dans le cas présent, Duris et Paradis ne sont clairement pas au même niveau, mais la comparaison me semble juste. Bref, chacun des participants comprend son rôle et son unisson dans cette comédie sans prétention.

Ce qui reste merveilleux avec un film comme L’arnacoeur est en soi très simple. Sous mauvaise supervision, ce récit aurait pu facilement devenir une comédie bête sans intérêt. Les bons choix sont faits pour amener le concept de base, qui reste le plus grand défi de l’oeuvre, à terme. Libre aux spectateurs de croire en cette combine amoureuse. Ici, le résultat est sympathique. Romain Duris nous charme avec son jeu d’amoureux fabriqué. Il est tellement bien entouré que les minutes ne font que s’écouler rapidement. L’arnacoeur n’essaie pas d’être autre chose qu’un film drôle avec des dispositifs facilement repérables, dont la musique de Wham! Dans ce jeu de déceptions, il me paraît impossible de ne pas déjà connaître le langage du présent effort. Il ne reste plus qu’à se laisser emporter par ses mises en situation amusantes et ses jubilations en compagnie d’une forte tête d’affiche. Ô Romain Duris!
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Critique publiée le 10 septembre 2010.