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Aline (2020)
Valérie Lemercier

Céline qui ?

Par Anne Marie Piette

En allant voir Aline — objet-jouet cinématographique, tout à la fois convoité et confisqué par un large public d’admirateurs chauvinistes — je n’avais aucune illusion sur l’approche humoristique et les choix de réalisation très certainement décalés qui m’attendaient — c’est d’ailleurs ce qui allait rendre le film intéressant et spécifique. Valérie Lemercier — il est pertinent de le rappeler — vient du monologue comique. Une artiste touche-à-tout qu’on a pu remarquer tant devant que derrière la caméra (Les Visiteurs, Palais royal !), qui aime se costumer, faire des imitations d’un réalisme grotesque, pasticher les enfants et les adolescents avec un plaisir manifeste, et qui prête à rire !

Il faut dire aussi que j’ai grandi dans le Québec des années 80-90, dans le sillon de « notre bijou national », avec cette « conscience inconsciente » de ce qu’elle était et de ce qu’elle allait devenir. Je parle d’un désintérêt nonchalant, marqué d’estime pour une comparse de talent d’ici. De ce fait, la chanson au pape m’est une litanie rigolote, lointain écho d’un âge tendre, et je n’ai pas d’attachement particulier pour la maison d’époque de la famille Dion. Ainsi le clin d’œil au Vatican, un peu raté ici, il est vrai, — mais qui était sans aucun doute plus réussi pour le public français, comme d’autres l’ont écrit avant moi — ne m’a pas turlupiné plus qu’il ne le faut. Pas plus que la décision inquiétante — et très cocasse — d’incarner la petite fille de Charlemagne, de l’enfance à l’âge adulte, qui en a exaspéré plusieurs. En y pensant bien, l’ami gai inexistant m’a semblé cohérent dans le récit de ce faux biopic, comme une insinuation, un croisement entre le personnage inventé de Ziggy de Starmania, et ce fameux Pepe Muñoz dont tous ont eu vent de l’existence. Voir Sylvain Marcel incarner Guy-Claude Kamar alias René Angélil fut savoureux. Il y a bel et bien à l’écran la résurrection du défunt imprésario. Et quand bien même maman Dion n’aurait, elle, jamais parlé ainsi au principal intéressé, le film adresse avec aplomb un tabou notoire par cette force maternelle qu’on lui prête volontiers. La physionomie de l’actrice et cinéaste, similaire en tous points à celle de Dion, allait de soi, pour soutenir cette production. Céline qui ? Valérie Lemercier se métamorphose sans peine en diva. Misant sur les cordes vocales empruntées de Victoria Sio qui chante en playback, Aline Dieu opère ! 

Du fait de son essence, 一 une fiction à mi-chemin entre la parodie et le documentaire 一, et de sa structure anecdotique, Aline n’est pas si éloigné dans son ton des formules du type Bye Bye, ou SNL, sans toutefois n’être qu’une succession de sketchs comiques. C’est précisément par ses qualités subjectives de mise en scène que Lemercier tire son épingle du jeu. Cette subjectivité libère le spectateur du carcan de la vérité à tout prix et ce qui émeut dans Aline, c’est justement cet attrait pour Dion qui puise dans le vrai et le faux juste ce qu’il en faut pour accrocher l’intérêt et le faire converger dans les repères narratifs connus de son mythe. À la faveur de cette structure quelque peu fragmentée, la distribution du film peut se permettre d’incarner des gens qui ont vraiment existé avec recul et audace, sans fausser la note. C’est comme zieuter un vieil album photo, on se souvient de la sortie de chaque hit, du fameux tournant post-Titanic, du décès d’Angélil, sans perdre de vue l’aspect récréatif de la chose, d’autant qu’il se double d’une certaine distanciation. La distribution québécoise du film vole la vedette, dans cette coproduction France-Québec, et plus spécialement à travers le trio de relations viscérales entre Aline et maman Dieu, puis Aline et Guy-Claude Kamar. Entre les deux, son cœur balance. Aline et maman Dieu forment le meilleur show dans le show, le plus satisfaisant. Danielle Fichaud offre une interprétation vigoureuse, en mère d’Aline/Céline. 

Alors que Lemercier, co-scénariste sur le film, axe le récit sous les augures d’une histoire d’amour contemporaine 一 où la prima donna ne vit et chante que pour le bon vouloir de son agent 一, elle s’octroie plus que nulle part ailleurs une latitude délibérée où la subjectivité et le mot fictionnel l’emportent sur le drolatique et la réalité. C’est d’ailleurs dans ce climat que l’on retrouve Aline/Céline, nouvellement veuve, déambulante, esseulée, mortifiée, comme perdue, dans les rues de Las Vegas — allusion possible au vidéoclip de 1995 de la chanson à succès de Jean-Jacques Goldman « Pour que tu m’aimes encore » ? De fait, une fois Angélil/Karmac disparu, la volonté et la motivation, le plaisir, sont effectivement absents chez la protagoniste et le film tout entier. Aline n’est plus qu’une femme ordinaire rêvant de rentrer chez elle, de se rouler en boule dans son lit, avec ses enfants, pour vivre leur deuil et leurs vies. Cette vision, bien plus encore que de petites broutilles d’authenticité, semble ne pas vouloir coller à la trajectoire existante et fantasmée de Céline ; incompatible avec une certaine perception de l’énergique et volontaire chanteuse internationale que l’on croit si bien connaître. Pourtant, avec une présence décroissante dans l’espace médiatique, Aline propose une hypothèse opportune sur les motivations de la grande dame à faire profil bas. Dans tous les cas, Aline — est-ce là encore nécessaire de le souligner — n’est qu’une comédie dramatique subjective, librement inspirée de la vie de Céline Dion.

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Critique publiée le 17 janvier 2022.