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Troll 2 (1990)
Claudio Fragasso

Vacances à Nilbog

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Je n’en suis pas, comme le veut l’expression consacrée, à mon premier barbecue. J’ai vu assez de films de marde, dans ma vie, pour savoir qu’il y a toujours pire que « ça » — peu importe de quoi il en retourne cette fois-ci. C’est pourquoi je suis toujours sceptique lorsque l’on me dit d’un film qu’il s’agit du « pire de tous les temps ». Terrible ? Sans aucun doute. Mais le pire ? Il y a longtemps que j’ai cessé de croire en l’existence d’un champion dans cette catégorie. « Pire film de tous les temps », c’est un maudit gros titre à décerner. Pis laisse-moi te dire que la compétition est féroce en s’il-vous-plaît.
 
Troll 2, cela étant dit, mérite très certainement une mention honorable. Il suffit en effet d’environ dix secondes pour se convaincre du fait que la redoutable réputation le précédant est totalement justifiée ; la suite des choses, pour sa part, ne sert qu’à le confirmer. Tourné aux États-Unis par une équipe italienne, le long métrage affiche de manière ostentatoire les multiples stigmates de ses origines « internationales » : les dialogues, plus particulièrement, trahissent réplique après réplique après réplique après réplique une familiarité lacunaire avec les nuances de la langue anglaise.
 
Évidemment, Troll 2 n’a strictement rien à voir avec le premier Troll. Le distributeur américain du film, doutant pour des raisons parfaitement légitimes du potentiel commercial de la chose qu’il avait entre les mains, fera preuve d’un flair indéniable en la présentant comme une suite à un long métrage de 1986 dans lequel Michael Moriarty incarne un personnage du nom de « Harry Potter ». Le film ne met d’ailleurs en scène aucun Troll. Techniquement, ce sont des Gobelins. Les plus astucieux spectateurs le comprendront d’ailleurs assez vite, en apprenant que la famille Waits s’apprête à visiter la ville de Nilbog. « Nilbog », c’est « Goblin » à l’envers.
 
Je sais, je sais. *SPOILER*. Mais c’est quand même le genre de secret qu’on se divulgâche soi-même en voyant le mot Nilbog dans un miroir ou un rétroviseur. Alors de là à en faire tout un plat... En fait, le pire dans tout ça c’est surtout que ce fin palindrome est fort probablement l’élément le plus sophistiqué du scénario de Troll 2. Tout le reste est encore plus idiot, de la manière dont les Trolls Gobelins transforment leur victime en nourriture jusqu’à cette conclusion parfaitement absurde où le jeune héros découvre qu’il suffit de manger un sandwich au baloney pour repousser les viles créatures.
 
Ça fait qu’en gros, Troll 2 raconte l’histoire d’une tribu de monstres végétariens qui doivent transformer leurs victimes en plantes afin de pouvoir les manger. Parce qu’ils sont végétariens. Vous comprenez ? Oui. Bon. Non. Moi non plus. Ce serait plus simple de manger des plantes. Je sais. Mais ce n’est pas la première fois qu’un film d’horreur repose sur une prémisse totalement absurde ; et tous les films d’horreur reposant sur une prémisse totalement absurde ne sont pas aussi spectaculaires que Troll 2. Pourquoi celui-ci est-il si savoureux ? Le fait que Laura Gemser, celle-là même qui tenait le rôle de Black Emanuelle dans la série de films du même nom, soit responsable des costumes y est peut-être pour quelque chose. C’est très sincèrement les pires déguisements de Trolls Gobelins de tous les temps.
 
Tous les interprètes de ce naufrage explorent avec insistance divers degrés jusqu’alors insoupçonnés de cabotinage, mais la pauvre Deborah Reed mérite tout de même une mention spéciale à cet égard. Il y a notamment, durant le dernier tiers du film, une étrange scène de séduction impliquant un épi de blé d’Inde à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. Le vieil adage veut qu’il faut le voir pour le croire, mais il y a des choses auxquelles on ne croit pas même après les avoir vues. L’ensemble de ce film tombe allègrement dans cette catégorie.
 
The Room et le culte qu’il a engendré ont donné un nouveau souffle à l’idée que le mauvais cinéma est un art en soi. Le film médiocre est ennuyant. Mais l’incompétence, lorsqu’elle dépasse les bornes de la simple insignifiance, génère un plaisir unique se situant à mi-chemin entre la fascination et l’incompréhension. Le charme particulier de Troll 2 se situe à la croisée de ces émotions — dans cette stupéfaction que provoque chaque interaction humaine improbable, dans ce sentiment d’horreur qu’engendre l’énième apparition d’un affreux masque de caoutchouc... Je ne crois pas que l’on puisse déclarer avec légitimé qu’un film particulier est le pire de tous les temps. Mais la prochaine fois que l’occasion se présente, je n’hésiterai pas à mentionner l’existence de Troll 2.
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Critique publiée le 9 mai 2018.