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Cyclotron, Le (2016)
Olivier Asselin

L’âge d’uranium

Par Olivier Thibodeau
Le sporadique réalisateur Olivier Asselin, dont j’espère pour la pérennité de mon prénom au Québec qu’il sera bientôt apprécié à sa juste valeur, nous livre aujourd’hui une suite exquise à son ovni de 2008, Un capitalisme sentimental. Portrait d’époque tout aussi somptueux et excentrique que le précédent, ce dernier ne s’intéresse pas à la comédie musicale, mais à un autre genre typique de l’âge d’or hollywoodien, soit le film de train (i.e. The Lady Vanishes, Strangers on a Train, Some Like it Hot, même The Great Train Robbery) lequel est assorti ici d’une touche indispensable de science-fiction, idée d’épaissir la sauce jusqu’à la succulence totale. Paul Ahmarani, avec ses yeux perçants et sa voix nasillarde, y est à son meilleur en tant qu’un officier nazi obsédé par la Bombe, soumettant impérieusement à la question les personnages de Lucille Fluet (coscénariste du présent film et vedette d’Un capitalisme sentimental) et de Mark-Antony Krupa, arborant en outre ses petites lunettes rondes comme les perles d’une somptueuse diva.

Le Cyclotron a été filmé en vingt jours. C’est du moins ce que j’ai appris de ma chère collègue Céline Gobert, dont je vous suggérerais l’article s’il n’était pas publié dans une revue concurrente… Vingt jours, c’est très peu pour une recréation d’époque aussi méticuleuse, pour une esthétique aussi évocatrice. Vingt jours, c’est une goutte d’eau dans l’océan hollywoodien, mais c’est juste assez de temps pour l’esprit véritablement créatif, véritablement libre d’accoucher d’une œuvre aussi accomplie, d’une œuvre de type hollywoodien certes, mais engraissée aux hormones, belle et subtile comme Marlene Dietrich. Le Cyclotron, c’est un retour à la belle époque du cinéma, non seulement dans sa facture rétro, mais dans l’inventivité technique qu’il requiert de ses artisans, surtout, dans le sentiment d’émerveillement qu’il risque de provoquer chez le spectateur québécois, étranger à ce genre de visions oniriques et romanesques.

Outre l’esthétique savamment recherchée du film, lequel s’efforce de recréer non seulement les paysages, mais aussi la cinématographie d’époque, son scénario est mi-figue mi-raisin, tirant de la mécanique quantique des trouvailles narratives inédites et géniales tandis qu’il hérite du film d’espionnage une intrigue redondante cousue de lieux communs. C’est d’ailleurs avec une certaine exaspération que nous assistons ici à la capture, puis à la fuite et à la capture subséquente des protagonistes aux mains des Nazis. Heureusement, ce jeu lassant de chat et de souris se résorbe finalement dans une conclusion fascinante, où la théorie des univers parallèles laisse présager deux issues possibles au récit. Et bien qu’Asselin finisse éventuellement par trancher, l’ambivalence est incroyablement stimulante pour le spectateur, qui se retrouve face à une apparente impossibilité : une histoire à deux fins simultanées. Or, c’est précisément dans ce genre de mystifiants jeux d’esprit que se distingue le film, partageant à cet égard l’excitante signature révisionniste d’Un capitalisme sentimental

L’action du film se déroule (surtout) en 1944, alors que le Troisième Reich est à bout de souffle. La seule solution pour vaincre les Alliés : la Bombe, mais sa technologie demeure juste hors de portée des militaires nazis, dont le suffisant officier König (Ahmarani), qui fera tout pour voler le secret à un savant suisse prénommé Emil (Krupa). Mais c’est sans compter sur Simone (Fluet), une espionne française chargée d’assassiner Emil précisément pour qu’il ne puisse révéler ses découvertes à l’ennemi. Malheureusement, l’histoire commune que Simone partage avec sa cible l’empêchera de passer à l’acte, si bien que la rencontre des trois personnages à bord d’un train filant vers Paris sera beaucoup plus tumultueuse que prévue. Voici un résumé succinct du récit qui en évacue les plus importantes subtilités, trouvant néanmoins dans l’idée d’un passé commun entre Simone et Emil une certaine résonance métaphysique. En effet, le film débute avec l’une des plus intrigantes scènes, sise lors du congrès Solvay de physique se déroulant à Bruxelles en 1927. Ce serait à cette occasion qu’auraient été exposés les principes premiers de la mécanique quantique, et par là-même les fondements de la théorie des univers parallèles, potentielle manne scénaristique qui, pourtant, résiste farouchement à l’usage commun. Ici, elle est utilisée de façon brillante, lors de la rencontre initiale entre Simone et Emil, qui aurait très bien pu ne pas être, mais surtout lors du climax, où la destination du train, avec à son bord le cyclotron atomique, est tributaire d’un aiguillage ferroviaire défectueux, causant ainsi la destruction théorique simultanée de Paris et de Berlin, bref des Alliés et de l’Axe. Mais, comme pour le chat de Schrödinger, il faudra d’abord ouvrir la porte du bunker où se terrent Emil et König pour savoir l’issue véritable de l’explosion potentielle. Et c’est là que réside le noyau du suspense, ainsi que dans la chronologie savamment éclatée du récit, laquelle contribue également à l’impeccable cohérence structurelle de l’œuvre.

Au final, Le Cyclotron est un film de cinéphile pour les cinéphiles, une langoureuse lettre d’amour au cinéma de l’âge d’or dont chaque détail est conçu avec un soin déférent, du moindre effet de pellicule égratignée jusqu’aux nobles airs arborés par chacun des personnages. Même le machiavélique König possède ici la gentilhommerie des méchants classiques, parvenant même parfois à solliciter chez nous une certaine sympathie, ne serait-ce que dans son exemplaire ahmaranerie. Plus que tout, c’est l’esthétique finement travaillée qui risque ici de conquérir les cœurs, incluant la somptueuse photographie noir et blanc, tour à tour oppressante et éthérée, seule capable de pourvoir la quantité suffisante de plutonium pour permettre un retour vers le passé pleinement réussi. Cela dit, l’œuvre me semble en outre pouvoir servir de parfait baromètre à la cinéphilie québécoise. Après tout, il s’agit bien ici d’un film populaire, un film populaire d’une autre époque certes, mais néanmoins accessible à tous. Surtout, il s’agit ici d’un lumineux exemple de la créativité cinéphile résiduelle nécessaire pour contrer l’infâme Disney-isation de l’industrie. Il suffit maintenant de savoir si l’œuvre saura rentabiliser son modeste budget de 1,8 millions ou si les spectateurs québécois lui préféreront une autre luxueuse Dolânerie… À vous de jouer !
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Critique publiée le 13 février 2017.