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Zero Theorem, The (2013)
Terry Gilliam

Boutade cosmique (ø = 100%)

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Il existe un type de plan propre au cinéma de Terry Gilliam. Aisément reconnaissable, il exprime toujours plus ou moins la même chose d’un film à l’autre : l’aliénation, la schizophrénie, la paranoïa, la sensation que l’univers entier gravite autour d’un héros qui n’arrive plus trop à distinguer le vrai du faux. C’est une composition spatiale porteuse de sens, une organisation de l’univers qui met de l’avant le chaos inhérent à celui-ci. Le personnage principal y paraît assiégé, isolé au beau milieu d’un champ qui semble s’étendre à l’infini et dont les contours se contorsionnent en arabesques grotesques. Par-delà cette périphérie, le monde n’est que rouages et complots qui échappent à la perception et qu’il s’agira d’exposer – au risque de sombrer dans la folie.
 
Tel est le sujet de The Zero Theorem, qui s’inscrit directement dans la lignée de 12 Monkeys et plus encore de Brazil et qui n’est pas tant une réflexion sur la technologie contemporaine qu’une énième reconfiguration des paramètres de cette équation esthétique. L’avenir, au fond, demeure toujours essentiellement le même chez Gilliam. Il était hier ce qu’il est aujourd’hui. Il n’est que le dérèglement d’un présent lui-même déréglé, sa projection vers l’avant, vers sa propre concrétisation. La science-fiction opère ici de la même manière que la drogue dans Fear and Loathing in Las Vegas. C’est une distorsion révélatrice, une manière d’accéder au monde sous la surface du monde. Elle provoque le vertige.
 
Ce vertige prend ici la forme d’une boutade cosmique, d’un coup de cymbale existentiel qui mettrait fin à cette immense blague qu’est la réalité. Tout, dans The Zero Theorem, tourne autour de cette hypothèse que l’ensemble se fond dans le néant, que le zéro équivaut à la totalité et que l’univers, somme de rien, n’est rien. Voilà ce que doit prouver Qohen Leth (Christoph Waltz) : que la vie n’est qu’une anomalie mathématique, un bogue informatique que l’univers se chargera de corriger un jour. L’ironie du sort voulant bien entendu que Qohen, lui, espère encore trouver un sens à sa vie.
 
À partir de ce synopsis digne d’un sketch des Monty Python, son ancienne alma mater, le cinéaste signe une fresque angoissée qui n’apporte rien de bien neuf à son œuvre, mais en réitère avec un flair certain les préoccupations fondamentales. Tourné avec des moyens limités, The Zero Theorem arrive malgré les restrictions qui définissent sa forme à se démarquer visuellement, Gilliam prouvant une fois de plus qu’il peut accomplir beaucoup grâce à quelques économies de bouts de chandelle. Si sa représentation de l’avenir peut paraître quelque peu dépassée, presque en retard sur l’actualité à partir de laquelle il extrapole, les idées qu’elle convoque demeurent pertinentes : à commencer par cette perte de repères qu’entraîne le glissement progressif des rapports humains vers la sphère du virtuel.
 
Présence physique mutante, presque post-humaine, Christoph Waltz incarne parfaitement le pendant biologique de cette transformation sociale. Son jeu repose sur une habile extériorisation du repli sur soi, se transposant à l’écran par une présence physique larvaire, tout en recroquevillements ulcérés. Face à l’exubérance d’une distribution étoilée, parsemée de bonnes idées à commencer par celle de faire du caméléon Tilda Swinton un programme informatique, Waltz fait office de non-identité par excellence. C’est une substance humaine qui, par une série de greffes technologiques et d’extensions informatiques, tente de renouer avec son essence – mais qui, au fond, sait qu’il devra se déconnecter pour se libérer.
 
Si le scénario finit par cheminer de manière convenue jusqu’à une conclusion que l’on aurait souhaité moins vague, The Zero Theorem confirme aptement la capacité du cinéma de Gilliam à donner corps aux pires cauchemars orwelliens. Tant et si bien que, même si rien ici n’arrive à nous faire complètement oublier le souvenir de son chef-d’œuvre Brazil, la force du propos nous permet de passer outre l’impression de déjà vu qui se dégage de l’ensemble. Nous sommes encore, et serons toujours, d’infimes particules égarées dans le cosmos, peinant à trouver un sens à l’existence. Ou, comme le chantait déjà Eric Idle dans The Meaning of Life : « So remember, when you're feeling very small and insecure, how amazingly unlikely is your birth. And pray that there's intelligent life somewhere up in space, 'cause there's bugger all down here on Earth. » La pertinence du cinéma de Gilliam, encore et toujours, repose sur la tragique pérennité de cette observation.
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Critique publiée le 23 juillet 2014.