WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

RoboCop (2014)
José Padilha

Drone d'Amérique

Par Ariel Esteban Cayer
On entend déjà grogner les nostalgiques. Et pourtant, de tous les concepts qui se sont vus récemment recyclés au goût du jour, RoboCop est une de ces « hérésies » les plus aisément pardonnables, voire même les plus pertinentes. Car il est bon de se rappeler que peu de choses ont changé depuis l’époque de Reagan ; que les policiers tabassent encore les gens dans les rues, et qu’au-delà de la puissante image que nous peignait Verhoeven d’une Amérique autoritaire, monolithique et gangrenée par un capitalisme sauvage et une corruption politique généralisée, on ne se soucie même plus de mettre des humains dans nos robots. Les drones prolifèrent à l’étranger de manière plus ou moins exponentielle depuis la sortie du film culte de 1987. D’énormes possibilités d’actualisation thématique tombaient donc sur les épaules du brésilien José Padilha, signant ici une première réalisation hollywoodienne faisant suite à quelques films remarqués, dont Elite Squad qui lui mérita le prestigieux Ours d’Or de la Berlinale en 2008. 
 
Situé en 2028 dans un monde bien près du nôtre, RoboCop débute à Téhéran où les drones d’OmniCorp ont remplacé les soldats en sol iraquien. « À quand l’Amérique ? » nous lance Pat Novak (Samuel L. Jackson), animateur de l’émission télévisée partisane The Novak Element (venant en quelque sorte remplacer le duo de MediaBreak du film original). Il ne suffirait que de l’abolition du Dreyfuss Act, nous explique-t-il, interdisant à OmniCorp la vente de ses robots en sol américain... Les bases du drame politique sont mises en place, et si cette relecture sérieuse de la satire explosive de Verhoeven surprend à premier abord, c’est par ce brin d’humour qui laisse immédiatement place à une première heure franchement horrifique. 
 
Padilha nous dévoile un « origin story » oppressant rappelant davantage l’ambiance glauque et technomilitaire qui avait fait le succès du sous-estimé Universal Soldier : Regeneration (2009) de John Hyams, se situant bien loin de l'environnement urbain et graveleux que Verhoeven nous avait proposé il y a 25 ans. Comme Hyams avant lui, Padilha aborde le dilemme existentiel paralysant l’homme devenu machine contre son gré, situant la plupart des ses séquences clé dans les dédales et laboratoires d’OmniCorp. Dans cette optique, l’acteur suédois Joel Kinnaman s’avère également une belle trouvaille dans le rôle d’un Alex Murphy stoïque, mais expressif – ici un père de famille visé par une tentative d’assassinat. Transformé en drone humain par OmniCorp, voyant en lui l’occasion rêvée d’introduire leur produit sur le marché américain, c’est cette création du policier/soldat surhumain et meurtrier qui s’avère particulièrement réussie, replaçant RoboCop dans un contexte actuel dont le manque flagrant de nostalgie est particulièrement rafraîchissant. 
 
Dans une des séquences les plus mémorables du film, Dr Norton (Gary Oldman) confronte son sujet à sa réelle apparence, c’est-à-dire hors de son armure de polymère blindé : deux poumons se contractant dans leurs réceptacles de verre, reliés à un visage paralysé d’effroi par un système nerveux effiloché comme un vulgaire cordon électrique. Image-choc qu’on ne s’attend pas nécessairement à voir dans ce type de blockbuster grand public – une séquence dont la violence est psychologique et non jubilatoire ; plus horrifique et insidieuse que cathartique. Et pendant un moment, un certain inconfort s’empare du film, au-delà de l’ironie facile, perçue dans les scènes de l’émission télévisée de Pat Novak. Nous amenant de Téhéran à Détroit dès l’ouverture, Padilha permet pendant un bref instant de remettre en question cette utilisation abusive du drone ; la place de l’homme dans une guerre au crime comme celle à la terreur et une glorification du complexe militaro-industriel qui est représenté ici comme un véritable empire technologique. 
 
Brillamment interprété par Michael Keaton (campant son interprétation du CEO d’OmniCorp quelque part entre Steve Jobs et Sir Richard Branson), Raymond Sellars contourne donc le Dreyfuss Act grâce à l’introduction d’un hôte organique, véritable drone humain éventuellement privé de tout pouvoir face à sa coquille mécanique. Si ce nouveau RoboCop s’articule habilement autour d’un certain fascisme inhérent à la guerre automatisée, il déraille cependant à mi-parcours vers le blockbuster plus conventionnel où les exploits du robot finalement construit et perfectionné sont soudain glorifiés de grands mouvements de caméra tape-à-l’œil, de plans léchés et d’une trame sonore d’annonce de bière. La scène de démonstration du prototype final, par exemple, nous confronte à un Alex Murphy complètement assujetti, tout en se voulant l’une des séquences d’action les plus spectaculaires du film. Car si ce dernier est généralement bien réalisé et dynamique, c’est malheureusement dans cette inhabilité à réconcilier le ton à son propos que Padilha s’égare. La seconde moitié laisse place à une trajectoire presque identique à celle du film de Verhoeven, transformant le tout en vendetta personnelle où Alex Murphy réussira à court-circuiter son programme pour exposer la corruption chez OmniCorp et dans son corps policier, tout en vengeant sa propre tentative d’assassinat.  
 
Si RoboCop demeure un de ces « remakes » à s’élever au-dessus de la moyenne en offrant un soupçon d’intégrité thématique et une poignée d’interprétations solides (que dire d’Abbie Cornish et de Jay Baruchel, toujours louables), sa mécanique s’essouffle quelque peu : le coryphée que représentent Samuel L. Jackson et son émission perd de son pouvoir subversif, la première moitié du film semble soudainement appartenir à un autre et force est d’admettre que RoboCop est une de ces nombreuses expériences compromises qui abondent dans le sens du cinéma commercial. En plus d’offrir une visualisation franche du futur de l’Amérique, celle du drone, celle où les écrans abondent (ceux-ci permettant d’ailleurs certaines belles abstractions de mise en scène), il s’agit d’un film se voulant résolument contemporain, à travers duquel Padilha aurait pu commenter sur le présent mieux que bien des blockbusters encore prisonniers de l’imaginaire post-11 septembre. Se voyant évacué de la tristesse et l’ambivalence qui lui avait donné une certaine pertinence en début de route, ce nouveau RoboCop s’avérait prometteur, mais est finalement confus. Le paradoxe du cinéma hollywoodien, qui voudrait qu’une œuvre commerciale contemporaine ne puisse être divertissante et entièrement subversive à la fois, continue, dans un film relativement ambitieux où celui-ci aurait amplement pu être renversé.
6
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 17 février 2014.