WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Rétrospective 2017 : Les meilleurs films de l'année (30-21)

Par La rédaction




CALL ME BY YOUR NAME
Luca Guadagnino  |  Italie/France/Brésil/États-Unis  |  2017

Avec une maladresse émouvante, une fougue versatile, une joute verbale animée, Luca Guadagnino nous sert une histoire d'amour bouleversante encadrée par la touffeur de la belle saison. L’humour se mêle aux rires, les suppositions futiles à l’attente interminable du retour de l’être aimé, les hésitations aux non-dits, les gestes de tendresse aux étincelles électrisantes consumant tout sur son passage. Les corps communiquent, se touchent et se révèlent dans une danse endiablée et contagieuse. Les âmes s’élèvent de leurs propres ailes battant à un rythme effréné, et par la force de leur mouvement engendrent une énergie vitale sans pareil, celle à laquelle on succombe avec avidité et que l’on souhaiterait éternelle. Comme un plat qui aurait mijoté pendant des heures, la sauce prend et se révèle succulente. Les frasques de l’amour nous contaminent, celles qui prônent l’ouverture d’esprit et l’abandon aux aventures qui se présentent, exemptes de jugements et préjugés. Le réalisateur signe là une adaptation des plus enivrantes du roman d'André Aciman qui, assurément, vous « baumera » au cœur.  

Texte : Claire-Amélie Martinant




CARCASSE
Clémentine Roy et Gustav Geir Bollason  |  France/Islande  |  2017

Carcasse ouvre une fenêtre sur un monde à la fois étrange et familier. On y voit des hommes et des femmes s’adonner — au creux de montagnes enneigées, au milieu de vents violents, parmi le bêlement de moutons récalcitrants et le bombinement des mouches —, à toutes sortes de tâches dont les tenants et aboutissants nous échappent. Et pourtant, on devine, dans la minutie de leurs gestes, dans la répétition de leurs mouvements, dans la patience de leurs opérations, dans la détermination de leurs desseins, dans le souci de leur achèvement, un désir de bien faire une besogne dont on pourrait rougir. Car si la signification de ces menues tâches (broyer des os ?) ou de ces projets grandioses (construire des pylônes ?) nous demeure impénétrable, on ne saurait toutefois les qualifier d’absurdes tant ces travaux sont accomplis avec un respect, un sérieux, une volonté, un acharnement et une opiniâtreté qui manquent souvent aux plus ordinaires de nos entreprises. Au reste, ce labeur répété et quotidien est effectué à l’aide de matériaux recyclés qui donnent d’ailleurs le nom au film : les carcasses d’avion sont transformées en étables, les carcasses de voitures sont transformées en bateau, en brouette ou en abri, même les carcasses d’animaux semblent trouver, dans cet univers insaisissable et pourtant si commun, un usage, une utilité, une finalité. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. », disait, au XVIIIe siècle, le scientifique français Antoine Lavoisier. Ce film, plus que d’en être l’illustration, en est l’avertissement.

Texte : Jean-Marc Limoges




LOGAN LUCKY
Steven Soderbergh  |  États-Unis  |  2017

Il aura fallu qu’il reprenne du service pour que l’on comprenne à quel point Steven Soderbergh nous avait manqué. Logan Lucky rappellera en effet à ceux qui l’auraient oublié que le réalisateur américain est passé maître dans l’art de brouiller la frontière séparant le cinéma d’auteur du registre populaire — tout en confirmant qu’aucun metteur en scène ne lui arrive à la cheville lorsque vient le temps d’entourlouper son audience. Mais, par-delà les apparences, cette histoire de cambriolage rocambolesque sur fond de NASCAR est en réalité bien plus qu’une simple relecture en mode hillbilly du fameux Ocean’s Eleven (2001). Soderbergh, sous le couvert ludique du coup monté, propose un portrait juste et complexe de l’Amérique contemporaine. Il en décrit les rouages par l’entremise d’un genre cinématographique qui en reflète l’aspect arrangé — une machination en révélant une autre, une arnaque en exposant une autre. Filmant avec compassion un milieu ouvrier toujours précaire, le cinéaste poursuit ici son exploration méthodique d’un pays composant encore aujourd’hui avec les conséquences de la crise économique... et qui semble, peu à peu, prendre conscience de l’injustice fondamentale régissant les rapports sociaux. 

Texte : Alexandre Fontaine Rousseau




LE PROBLÈME D'INFILTRATION
Robert Morin  |  Québec  |  2017

La caméra de Robert Morin a toujours été contrôlée d’une main de maître, même à ses débuts, lorsqu’il filmait des touristes, des culturistes et des ivrognes en VHS. Mais aujourd’hui, il semble que ce soit un démiurge qui en ait pris possession, accouchant pour l’occasion d’un miracle digne de la canonisation du réalisateur. Certes, Le Problème d’infiltration n’est peut-être pas son œuvre la plus audacieuse, mais elle est certainement la plus accomplie, mettant la nature typiquement introspective de son objectif au service d’une mise en scène savante et somptueuse, dédiée à la modernisation des classiques de l’épouvante. Constitué d’une poignée de (faux) plans-séquences où la pénombre, la brume, et les froids reflets bleutés s’insinuent sournoisement, et fort astucieusement, dans l’univers bourgeois immaculé de la rive sud montréalaise, le film est chapeauté d’une citation tirée du Nosferatu (1922) de F. W. Murnau. « Passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre », nous dit celle-ci, évoquant par là le passage du négatif au positif, exemplifié par la célèbre séquence du cocher-vampire, mais aussi du quotidien au monstrueux, bref de la césure révélatrice des ténèbres intestins du monde lumineux. Puisant allègrement dans le bestiaire monstrueux du cinéma d’épouvante gothico-expressioniste, Morin capitalise ainsi brillamment sur les dualités opérantes du genre (lumière/noirceur, chaud/froid, intérieur/extérieur, raison/folie, humanité/monstruosité, puritanisme/luxure), pourvoyant en outre un nouveau château au comte Dracula, sis lui aussi par-delà le pont, dans une banlieue brossardoise érigée en lande fantomatique. 

Texte : Olivier Thibodeau




DETROIT
Kathryn Bigelow  |  États-Unis  |  2017

La controverse autour de Detroit était sans doute inévitable et dans une certaine mesure nécessaire, en ce qu’elle mettait de l’avant les questionnements, les doutes, que tout spectateur devrait éprouver devant une telle œuvre. Mais plutôt que d’encourager à une lecture attentive de ce que Kathryn Bigelow met en jeu dans son film, ce débat qui n’a pas eu lieu a étouffé toutes réflexions et Detroit n’a finalement jamais eu la défense qu’il aurait méritée. Et pourtant, débutant sur des faux coups de feu tirés par des Afro-américains jouant avec un fusil pour mettre en scène à deux femmes blanches l’expérience d’une menace permanente, et se terminant par des policiers, fusils au poing, des vrais cette fois, ordonnant de ne pas voir la tragédie qui de toute évidence a eu lieu, la séquence centrale de Detroit participe à un point de vue on ne peut plus clair : les faux fusils de la fiction sont impuissants mais permettent de rendre visible l’expérience que les vrais fusils engendrent et cherchent à faire disparaître, alors voir devient nécessaire pour transformer cette impuissance qui n’en est pas une en volonté d’action (c’est là tout le pouvoir du témoignage de la victime). Le film a beau être quelque peu inabouti, cette démonstration outrée et cauchemardesque du pouvoir des hommes blancs, de la jouissance qu’ils en tirent (le sujet de la filmographie de Bigelow depuis toujours) et de l’impasse systémique du racisme américain, reste parmi les titres les plus nécessaires de cette année 2017.

Texte : Sylvain Lavallée




LES FAUX TATOUAGES
Pascal Plante  |  Québec  |  2017

Dévoilé au Festival du Nouveau Cinéma, puis sélectionné à Slamdance, et dans la prestigieuse section Generation de la Berlinale, Les Faux tatouages est déjà l’événement cinématographique québécois de l’hiver 2018. Et l’attention qu’on lui porte est amplement méritée : Plante (La Génération porn2014) aiguise ici sa mise en scène pour raconter l’idylle et le spleen de l’adolescence, sans fards ni faux pas. Voici un « petit film » sensible et singulier, comme il devrait s’en faire davantage, assumant pleinement son époque, de même que la subjectivité de son protagoniste Theo, un métalleux malaisé tout juste âgé de 18 ans. Quiconque ayant vécu une adolescence et un premier amour semblable écoutera le film entre ses doigts, tant Plante trouve le ton juste, et communique à merveille la qualité éphémère, effervescente et douloureuse de ces instants ; de cette époque où l’identité est forgée à renfort de référents musicaux et pop culturels, et où les émotions sont sans cesse à fleur de peau. Plante s’inspire, il est facile de spéculer, de sa propre adolescence, et c’est cette foudroyante authenticité qui traverse l’œuvre : une douce nostalgie, incarnée et portée au présent, puis filmée en une succession de (parfois très) longs plans, au fil d’une mise en scène qui s’avère subtilement ambitieuse, et qui laisse toute sa place à l’intimité du couple, joué à merveille par Anthony Therrien (Corbo) et Rose-Marie Perreault (Les Démons).

Texte : Ariel Esteban Cayer




THE SHAPE OF WATER
Guillermo del Toro  |  États-Unis/Canada  |  2017

Depuis plus de 25 ans, Guillermo del Toro s’applique à plonger dans l’inconnu, l’étrange, le chimérique, déconstruisant et métamorphosant les codes du conte traditionnel, souvent déjà bien effrayants, avec leurs monstres, leurs enchanteresses et leurs innocents. Mais les monstres du cinéaste mexicain ne sont jamais ceux que l’on croit, ses personnages ont une ample complexité loin des habituels archétypes élémentaires du conte et ses récits sont ancrés dans une multitude de référents culturels savamment orchestrés. Son dernier film, The Shape of Water, est une véritable classe de maître sur les mécanismes du conte fantastique. Tout y est ! Le faux monstre, extraordinaire et mystérieux homme-amphibie (Doug Jones), à la fois fascinant et inquiétant, par qui le quotidien monotone verse dans le fabuleux. Le vrai monstre, ce méprisant colonel Strickland (Michael Shannon) qui cache sous son écorce d’homme une créature inhumaine, toute de fanatisme dominateur. Et la princesse, dissimulée sous les traits d’une concierge, Elisa (Sally Hawkins), muette comme l’Élisa des Cygnes sauvages d’Andersen, un peu fée, un peu sorcière, mais loin de la demoiselle en détresse, comme les héroïnes favorites de Del Toro. En bon conteur, ce dernier est soucieux d’offrir à ses personnages l’écrin parfait pour dérouler le fil de leur histoire. D’une beauté visuelle époustouflante, le film joue avec le symbolisme des gris et des verts — gris ciment de l’immobilisme paranoïaque de la Guerre froide ; vert eau des profondeurs aquatiques aussi insondables que séduisantes des lagons noirs. Mélancolique, rêveur, somptueux, infiniment cruel, infiniment élégant, The Shape of Water montre ce qu’on peut faire en poussant le conte de fées loin de l’enfance et fermement dans la sphère adulte, sans jamais quitter le merveilleux.

Texte : Claire Valade




BANGKOK NITES
Katsuya Tomita  |  Thaïlande/Laos/Japon/France  |  2016

L’année dernière, le cinéaste indépendant Katsuya Tomita (Saudade, 2011) dévoilait un véritable film-monde ; une fresque nocturne de plus de 3 h, à la fois immense et intime, interrogeant l’histoire coloniale de la Thaïlande par le biais d’une liaison amoureuse inattendue entre Ozawa (ancien soldat des Forces d'auto-défense japonaises, joué par Tomita lui-même) et Luck, une hôtesse populaire des quartiers Red Light de Bangkok (Subenja Pongkorn). Émerge de cette juxtaposition un désir aussi ambitieux qu’étourdissant de lier le personnel à l’historique, d’humaniser la vie des travailleuses du sexe (de même qu’élucider leur histoire), tout en dressant le portrait d’un cycle d’exploitation en perpétuel renouvellement. Plus d'un million de touristes japonais visitent Bangkok chaque année, et grâce à un va-et-vient astucieux entre la ville, la Thaïlande rurale et le Laos, Tomita aborde de front l’attitude impérialiste que le Japon perpétue dans cette région, où le cinéaste vit depuis plusieurs années. La Thaïlande est ici perçue comme un « paradis » déshumanisé, une « terre d’opportunités », d’investissements financiers et de filles « abordables » pour salarymen et yakuzas fortunés. Tomita combine ce geste d’autocritique à un portrait de société perceptif, une vision de l’Asie globalisée lui assurant une place de choix quelque part entre Hou Hsiao-hsien et Jia Zhang-ke (de même qu'Apichatpong Weerasethakul, remercié au générique)... Bref, dans ce panthéon de cinéastes majeurs pour qui les drames locaux se traduisent nécessairement en une compréhension des dynamiques complexes du monde panasiatique.

Texte : Ariel Esteban Cayer




POÉSIE SANS FIN
Alejandro Jodorowsky  |  Chili/Royaume-Uni/France  |  2017

Faisant suite à La Danse de la réalité, qui couvrait l’enfance de Jodorowsky, Poésie sans fin offre un regard poétique sur sa vie de jeune adulte au Chili, moment qui demeure probablement le plus déterminant pour la suite de sa vie et de sa carrière puisque c’est aussi le moment de la partition de sa famille et de son émigration. Plus encore, cet instant charnière le mènera à la rencontre d'artistes qui l’influenceront, de l’art qu’il découvrira, puis de la poésie qu’il adoptera comme mode de vie. Pour Jodorowsky, le cinéma (et l’art) est une affaire de famille, de clan, de tribu (celle que l’on se choisit ou celle que l’on a). Il retrouve d’ailleurs les mêmes acteurs que pour le film précédent et prend de nouveau ses fils afin de donner corps tour à tour à sa vie de jeune adulte et à celle de son père. Véritable film psychomagique dans lequel le cinéaste souhaite sortir de la cage psychique dans laquelle la famille, la société et la culture l’ont laissé, il nous démontre par la même occasion tous les rituels libérateurs de son cinéma qui se charge d'une poésie visuelle magnifiquement rendue par le directeur de la photographie Christopher Doyle (In the Mood for Love). À 88 ans, Jodorowsky offre un très beau film personnel qui résonne universellement, porteur de ses réflexions sur la vieillesse, sur l’importance d'une vie remplie et surtout des choix qui nous mènent à la vivre ainsi. 

Texte : David Fortin




OKJA
Bong Joon-ho  |  Corée du Sud/États-Unis  |  2017

Face à la controverse qui a entouré sa distribution sur Netflix et sa première au Festival de Cannes, Okja a montré qu’il avait la peau dure et qu’il ne se laisserait pas abattre par les litiges de l’industrie culturelle. Campé dans un univers déjanté, porté par un discours écologiste qui fait de l’éthique animale le centre de convergence des problèmes urgents du monde contemporain, le dernier film de Bong Joon-ho est sans doute le plus authentiquement populaire de l’année : humaniste, généreux, touchant, limpide, rassembleur, original, sa critique des médias de masse qui s’étire jusque dans une allégorie de la Shoah en fait un animal rare en ce qu’il se satisfait de toute forme de clarté — en termes de superproduction, c’est l’humilité incarnée. Okja parvient alors à faire le procès sans compromis d’une hypocrisie générale, abordant chacun de ses arguments de front, maintenant les coupables (Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal) dans la parodie et le pathétique alors que les héros (Ahn Seo-hyun, Paul Dano) sont montrés comme des rêveurs inépuisables. C’est là que la magie protéiforme d’Okja opère, dans sa capacité à fonder dans un réel qui nous est si proche une grande fantasmagorie sans la moindre trace de cynisme, à penser le cinéma dans ce qu’il a de plus planétaire (dans ses enjeux, dans sa forme, dans ses artisans) et de nous faire croire à nouveau que la compassion et l'engagement sont à portée de tous.

Texte : Mathieu Li-Goyette

 
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Article publié le 15 janvier 2018.
 

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