WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
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Festival Fantasia 2021 : Partie 3

Par Sylvain Lavallée et Olivier Thibodeau


prod. Monday Pictures

BABY, DON'T CRY
Jesse Dvorak  |  États-Unis  |  2021  |  90 minutes  |  Underground

Baby, Don’t Cry est l’un des titres qui méritent le détour cette année puisqu’il marque l’avènement d’un nouveau talent dans l’arène du cinéma indépendant étasunien, celui de la jeune Zita Bai, conceptrice, scénariste et actrice principale de ce conte initiatique aigre-doux distinctement punk, qui capitalise simultanément sur la beauté picturale des forêts de l’État de Washington et sur l’aspect déprimant de ses bas-fonds suburbains. Le film s’intéresse au récit de Baby, adolescente marginale qui rêve d’un ailleurs qu’elle finira par trouver dans les bras d’un petit voleur irascible atteint de leucémie. Le tout débute avec une mention à l’écran, écrite dans la police délicieuse des vieux caméscopes. Elle se lit : A TRUE STORY. Tout au long du visionnage, on ne doute jamais de la véracité d’une telle assertion. La mise en scène et l’interprétation sont tellement naturalistes qu’on se prête au jeu volontiers, allant même jusqu’à s’imaginer que l’œuvre peut constituer une vision nostalgique du passé de quelque autrice établie. Le résultat est une chronique entière et honnête où l’humanité des personnages est circonscrite surtout dans leurs défauts, et où l’humanisme devient affaire de cerner les aspirations universelles qui se cachent au-delà.

Comme les filles de son âge (du moins celles qu’on néglige de voir au fond de la classe), Baby est curieuse de trouver sa place dans un monde sur lequel elle manque de prise et avide de tester ses limites. Animée de pulsions macabres, coincée entre une vie scolaire peu stimulante et une vie familiale démoralisante auprès de sa mère névrosée (qui passe la journée à regarder des prédicateurs bouddhistes à la télé), elle trouve son échappatoire dans l’acte de filmer ses alentours et dans le rêve subséquent de devenir cinéaste. C’est l’ensemble de ses raisons qui la poussent vers Fox, qui représente pour elle un exemple intransigeant de liberté et un canevas pour l’expression de ses passions refoulées. Fox est, a priori, quelqu’un de rebutant. Il est violent et caractériel, mais il possède une sorte de charisme prolétaire fascinant. C’est un vecteur de l’esprit punk latent, de l’esprit beat qui caractérise l’âme de la lande, une force dynamique et irrévérencieuse, interprétée avec une fougue rageuse et une grande tactilité par l’excellent Vas Provatakis, qu’on aimerait revoir au grand écran.

Le point de vue de Baby, s’il prend forme à travers l’interprétation contenue de Bai, se manifeste surtout dans une forme aguichante de lyrisme visuel, accentuée par l’utilisation de gros plans évocateurs et d’une série de mises en abîme vidéographiques. En effet, c’est dans les images captées par la protagoniste que nous parvenons à toucher le plus directement à son intériorité, dans les photos de rongeurs morts qu’elle mire en caressant les peluches sur son lit, dans ses plans d’urinoirs et d'autres recoins puants d’un Eastmont anémiant, mais aussi dans les plans de félicité qu’elle partage avec son petit copain, réunis dans des montages qui rappellent une version paumée, mais sincère, des grosses comédies romantiques à numéros. Comme un Pretty Woman (1990) dans un dépanneur de banlieue ou un diner crasseux, loin des hauts lieux du consumérisme que servent à vendre ce genre de films. C’est une version paumée de nombreux prédécesseurs en fait, du film pour adolescent à la John Hugues ou à la Richard Linklater, mais aussi du drame shakespearien, avec ces luttes amères entre parents et amoureux. On pense presque au réalisme plébéien d’un Korine ou d’un Clark, mais avec une pointe d’espoir chaleureuse. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Forge Films, Merlin Films

OPÉRATION LUCHADOR
Alain Vézina  |  Québec  |  2021  |  85 minutes  |  Les fantastiques week-ends du cinéma québécois 

Opération Luchador
n’est pas parfait. Certains des gags tombent à plat et il passerait difficilement pour un véritable documenteur tant le texte est littéraire et tant certains des effets sont ostensiblement artificiels, mais dans l’ensemble, il s’agit d’une œuvre fort amusante et souvent hilarante qui dénote de l’esprit, de l’astuce et beaucoup de créativité. On est loin de l’ineptie du Scaphandrier (2015). En fait, on se rapproche parfois de celle-ci, mais dans un contexte qui s’y prête parfaitement, celui d’un film qui fait preuve d’une autodérision admirable, sis à l’intersection des deux passions du réalisateur, le documentaire et le cinéma de genre. Documentariste de métier, Vézina met en scène des films sur les naufrages (celui du Princess Sophia, du HMCS Esquimalt, du U-190, du Titanic et du Empress of Ireland). En 2010, il fait une incursion dans le monde de l’horreur avec La Morte Amoureuse. Le scaphandrier, dont le récit traite d’un plongeur zombie venu piller l’épave du Princess of the North, constitue en quelque sorte l’union monstrueuse de ses projets précédents. Viendra ensuite un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale, Les sœurs de Nagasaki (2018), qui semble l’avoir poussé aujourd’hui à accomplir son destin : celui d’user de la magie du documentaire afin de créer une fiction inédite, celle de Santo contre les Nazis.

Basé sur les nombreux mythes voulant qu’Hitler ne soit pas mort dans son bunker berlinois en 1945, mais ait trouvé refuge en Amérique du Sud pour planifier le Quatrième Reich, Vézina s’imagine un scénario révisionniste délirant où le Führer aurait eu maille à partir avec un espion luchador commandité par les États-Unis : le fabuleux et super « sexe » Angelo Dorado (l’Ange Doré). Peu satisfait de simplement plaquer la figure incongrue du luchador sur un pan hypermédiatisé de l’histoire mondiale, l’auteur s’imagine une ribambelle ahurissante de péripéties farfelues qu’auraient pu vivre les deux ennemis. Il presse au maximum son citron et élabore moult situations saugrenues qui incluent notamment l’explosion du canal de Panama, un satellite artificiel doté d’un puissant faisceau calorifique, des chiens kamikazes super-intelligents, un lutteur radioactif doté du cerveau d’Hitler, ainsi qu’une romance surprise entre le héros et la cinéaste Leni Riefenstahl, qui aurait inventé pour lui le générique à la James Bond. Aidé de matériaux d’archives, de séquences filmées dans le même style, de films de série B, de fausses entrevues avec divers spécialistes, ainsi que d’une narration en voix off en guise de liant, l’auteur va au bout d’absolument toutes ses idées, accouchant d’une œuvre inégale, mais constamment divertissante.

Si certaines des blagues ratent la cible ou semblent ringardes, la plupart sont réussies, et ce, malgré leur ringardise. En fait, c’est un mitraillage de blagues auquel on assiste, certaines desquelles nécessitent une créativité technique impressionnante (dans la reconstitution d’événements « historiques » purement fantasques), tandis que d’autres sont issues d’un simple décalage entre les images d’archives et le contenu de la narration (c’est le cas des plans où figurent Hitler avec sa chienne Blondi, potentielle tête pensante du mouvement nazi). Cette délicieuse narration en voix off produit également moult effets comiques en opposant l’excentricité des événements décrits à son élocution didactique; elle sert surtout de charpente à l’entreprise, cimentant les différents blocs narratifs épars au sein d’un tout cohérent. Les entrevues servent également de ciment, mais elles sont plombées par le mauvais jeu des acteurs, qui peinent à prononcer un texte parfois trop littéraire (ou trop mal attribué) pour sembler naturel. C’est le cas du comédien qui interprète l’ex-lutteur Blue Tornado, clairement un francophone qu’on tente de faire passer pour un anglophone, interviewé au Nacho Libre, qu’on tente de faire passer pour un authentique bar mexicain. L’auteur demande alors au spectateur de suspendre son scepticisme quant à la réalité des faits présentés. Tout le film, en fait, n’est qu’affaire de suspension du scepticisme, acte simple grâce auquel il a le potentiel de devenir une petite gemme du cinéma « documentaire » québécois. (Olivier Thibodeau)

 


prod. Daejangjung Film Production

THE SLUG (TAE-EU-NA-GIL JAL-HAT-EO)
Choi Jin-young  |  Corée du Sud  |  2020  |  98 minutes  |  Camera Lucida

« Que dirais-tu à ton jeune toi si tu le rencontrais ? » Avec son premier long métrage, Choi Jin-young utilise un fantastique ancré dans le quotidien, s’y mêlant presque naturellement, pour aborder cette question en lui donnant une réponse littérale. Ainsi,  après avoir été frappée par la foudre, sa protagoniste, Chun-hee, commence à croiser et à discuter avec l’enfant qu’elle était. Plus près du cinéma naturaliste typique de certains auteurs coréens (la prémisse n’est pas sans rappeler Hong Sang-soo) que du cinéma de genre, c’est sur un ton doux-amer, et avec une délicate mélancolie teintée d’humour et d’espoir, que le film se déploie autour de son sujet difficile.

Recueillie par sa tante et son oncle après la mort de ses parents, rejetée par cette famille d’accueil qui la font vivre dans un grenier étroit, Chun-hee vit aujourd’hui avec les répercussions de ce traumatisme d’enfance, avec ce sentiment d’abandon qui l’a menée à une vie solitaire. Se déculpabiliser de son sentiment de responsabilité, accepter ses émotions et son passé, ce genre de drame a été raconté mille fois, mais The Slug l’aborde avec une rare sensibilité, en utilisant le montage pour illustrer subtilement la continuité entre l’enfance et la vie adulte. Le film joue ainsi entre le passé le présent pour les croiser à quelques moments, alors que les cadres, savamment construits, laissent le temps filtrer dans une mise en scène patiente, en retenue, attentive aux acteurs. Fable sur l’acceptation et le pardon, la générosité que nous devons parfois avoir face à notre jeune moi, The Slug évite tout pathos, l’émotion naissant de gestes et de paroles simples, mais surtout du regard de la cinéaste, emplie d’une douceur bienveillante envers la détresse de sa protagoniste. (Sylvain Lavallée)

 


prod. AOI Promotion, Bandai Namco Arts, Filmarks, GAGA, Kodansha, U-Next, Warner Bros. Japan 

UNDER THE OPEN SKY (SUBARASHIKISEKAI)
Miwa Nishikawa  |  Japon  |  2021  |  126 minutes  |  Sélection 2021

Avec son récit d’un yakuza retournant vivre à ciel ouvert après treize ans d’incarcération pour meurtre, Miwa Nishikawa prend à revers un type de personnage maintes fois exploité pour nous montrer « l’après » des films de gangsters japonais. Au départ, la cinéaste s’amuse à présenter son protagoniste, Mikami (Kôji Yakusho), dans des positions renversant les images habituelles du yakuza : ici derrière une machine à coudre, là incapable de conduire une voiture, là encore perdu dans les rayons d’une épicerie. Avec son ton plutôt naïf, le film ne manque pas de charmer lors de telles scènes doucement humoristiques, mais cette candeur mène aussi à des facilités scénaristiques, des dialogues excessivement explicatifs, le tout ressemblant par moments à un documentaire moralisateur sur l’exclusion sociale et la honte.

Il est plutôt dommage, par exemple, que tout ce que nous savons du passé de Mikami serve à le présenter comme une simple victime de la société (son meurtre était un cas de légitime défense, son verdict trop sévère). Cela permet de gagner l’empathie du spectateur plus facilement, mais en même temps d’évacuer une partie du questionnement (l’efficacité d’un système de réadaptation entre autres), et de mieux cultiver le pathos, parfois dans des retournements inutiles. Malgré cela, Kôji Yakusho justifie à lui seul tout le film : nous ne l’avons jamais connu aussi émouvant, alors qu’il redécouvre un quotidien qui lui est devenu étranger tout en tentant de maîtriser ses crises de colère. La naïveté qu’il dégage, derrière son grand sourire et son allure affable, derrière ses traits travaillés par la vie, témoignages d’un passé qu’il veut quitter définitivement, s’accorde bien avec le ton du film, et son interprétation nous réserve quelques belles scènes, qui rendent avec plus de subtilité ce que les ficelles du scénario nous forcent à ressentir. (Sylvain Lavallée)


INTRO

PARTIE 1
(Hold Me Back, King Car, Lost Boys, Midnight in a Perfect World)

PARTIE 2
(The 12 Day Tale of the Monster that Died in 8, Brain Freeze,
Satoshi Kon, l'illusionniste, Tin Can, We're All Going to the World's Fair)

Septet: The Story of Hong Kong

Beyond the Infinite Two Minutes

PARTIE 3
(Baby, Don't Cry, Opération Luchador, The Slug, Under the Open Sky)

PARTIE 4
(Agnes, Fils de plouc, Ora, Ora Be Going Home,
The Righteous, The Story of Southern Islet)

PARTIE 5
(Dr. Caligari, Frank & Zed, It's a Summer Film!, When I Consume You)

PARTIE 6
(L'inconnu de Shandigor, Midnight, The Sadness, Sexual Drive)

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Article publié le 13 août 2021.
 

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