WOCHE DER KRITIK : Les 10 ans de la Semaine de la critique de Berlin
L’équipe Infolettre   |

Esprits de famille: L'aventure d'une Québécoise sur la route de ses ancêtres acadiens

Par Zakari Thibodeau et Claire Valade

Vaste et complexe, le cinéma québécois vaut la peine d'être vu, exploré, décortiqué, commémoré et même pourfendu ou admiré, mais aussi rêvé, évoqué, sublimé ou carrément vécu. Portée autant par l'inspiration du moment, l'actualité générale, les souvenirs cinéphiliques ou professionnels, sa propre histoire ou celle de la société qui lui donne son souffle, et aussi les thèmes des numéros de la revue, cette section se veut à la fois une fenêtre sur le cinéma d'ici et une porte ouverte à ceux et celles qui le font. Son objectif ? Partager des expériences de notre cinéma, de ses artistes et artisan·e·s, et les ouvrir sur le monde. Mettre le cinéma d'ici en relation avec d'autres voix et d'autres regards — du dedans et du dehors, acérés ou tendres, intimistes ou universels, anecdotiques, historiques ou panoramiques, nationaux ou étrangers, mais toujours personnels.

 Claire Valade, Éditrice Cinéma québécois

 

 

En guise d’hommage à Lysanne Thibodeau

J’hésite toujours à utiliser un cliché pour décrire quelqu’un, mais dans le cas de ma regrettée amie Lysanne Thibodeau, décédée en 2018, il est pratiquement impossible de ne pas parler d’elle comme d’une force de la nature. Lysanne avait une énergie, une joie de vivre, une assurance expansives. Elle bouillonnait d’idées et travaillait toujours à 1 001 projets de front, se donnant sans compter à son art, n’hésitant jamais non plus à répondre aux appels de ses collègues et du milieu. De Montréal à Berlin, de la Chine au Nunavik en passant par l’Acadie, elle a marqué des centaines de gens par ses films, son enseignement, sa simple présence dans nos vies. Si elle pouvait être éparpillée à ses heures, elle était surtout portée par une passion dévorante pour le cinéma et par un engagement inébranlable — social, politique, mais surtout humain. En effet, profondément humanistes, les œuvres de Lysanne sont à son image : curieuses, ouvertes, intéressées, inspirées, pleines d’imagination.

J’ai rencontré Lysanne au conseil d’administration de la légendaire maison de distribution indépendante Cinéma Libre, aujourd’hui défunte. J’ai eu le grand privilège et le plaisir de travailler avec elle au développement de plusieurs de ses films dans les années 1990 et 2000, y compris Esprits de famille, un documentaire extrêmement personnel dans lequel elle voulait aller à la rencontre des Thibodeau acadiens d’aujourd’hui, sur le chemin de ses ancêtres. Mélange d’histoire intime et de mémoire historique aux résonnances universelles, Esprits de famille était un rêve de toujours pour Lysanne. Si elle l’a porté en elle pendant des décennies, elle a concrètement mis plus de cinq ans à lui donner vie. Et son fils Zakari a été de toutes les étapes.

Dès sa naissance, Zakari a toujours été au cœur de la vie de Lysanne — toute sa vie, jusque dans ses moindres recoins. Sa vie de mère et sa vie de cinéaste. C’était donc tout naturel pour elle de littéralement concevoir Esprits de famille presque entièrement autour de lui. Encore très jeune au moment du tournage, Zakari a suivi Lysanne sur la route de l’Acadie, participant tant à la découverte de sa propre histoire qu’à la création progressive du film, d’un village à l’autre, à la rencontre de l’inconnu. Alors qu’on fête en 2022 le 15e anniversaire de sortie d’Esprits de famille, il était clair qu’il s’agissait du représentant idéal de la section Cinéma québécois pour l’exceptionnel dossier assemblé sur les cinémas atlantiques.

Pour rappeler à la mémoire ce film trop peu vu à sa sortie et tout le talent de Lysanne Thibodeau, l’article qui suit propose une expérience particulière, à la fois textuelle et visuelle. Tout d’abord, Zakari Thibodeau a accepté mon invitation à témoigner de son expérience, ce qu’il a fait avec une grande force d’évocation et d’émotion. Puis le codirecteur photo d’Esprits de famille, Martin Leclerc, nous a gracieusement ouvert ses archives photographiques personnelles en nous confiant une collection de photos  du tournage, en grande partie inédites, qui constituent la galerie qui suit.

Claire Valade, Éditrice Cinéma québécois

 

*

 

Esprits de famille: un témoignage de l’intérieur

Le tournage d’Esprits de famille s’est déroulé lorsque j’avais six ans. Avec quelques directives, ma mère avait fait de moi son copilote, en route vers l’Acadie. En 2004, je ne savais pas encore que cette aventure à retracer le trajet de mes ancêtres acadiens serait une expérience formatrice dans ma vie.

En plus d’être une étude historique des traditions acadiennes, le film se manifeste aussi comme une quête philosophique. Le fait de découvrir le fil ancestral que je partage avec les premiers et les premières Thibodeau m’a porté à réfléchir davantage à l’importance de ce qu’on nomme souvent le storytelling — l’art de raconter une histoire. Un des moments du film qui reste présent à mon esprit depuis 2004 est celui où je demande à ma mère : « Quand on meurt, est-ce qu’on revient ? » Éclairée par le coucher du soleil, ma mère me sourit et me répond que c’est en pensant à ceux et celles qui ne sont plus là qu’on les fait revivre. Aujourd’hui, c’est en me rappelant ses mots que j’apprends à vivre sans elle. C’est aussi en écrivant ce texte que je tente de garder en vie ces souvenirs de création.

Ma mère avait une affinité pour la complexité humaine. Sa douceur et son énergie, qui semblaient facilement marquer les gens par son sourire contagieux, ont pu autant se transmettre par sa filmographie qui aborde souvent des thèmes introspectifs d’identité et d’appartenance. Dans Esprits de famille, ma mère s’était donné comme mission de raconter à travers sa lentille de cinéaste ces histoires qui existaient déjà dans l’âme des Thibodeau. Aujourd’hui, en tant que jeune cinéaste moi-même, j’admire l’approche universelle que ma mère a privilégiée par-dessus tout dans ses films. Bien qu’elle réalisait un film qui s’attachait à suivre le cheminement de vie de nos ancêtres, j’ai remarqué que ma mère s’intéressait toujours à révéler le côté humain dans ses récits et dans les traditions explorées, sans manifester d’inclinaison nationaliste en particulier. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles le film possède une qualité humaniste et sensible. Son rythme poétique reflète d’ailleurs un processus de tournage sain et fluide. Je peux encore visualiser l’équipe, avec ses walkies-talkies, prête à capter ce qui se dévoilait devant nous, sans trop s’attendre à un résultat précis.

Il ne serait pas faux de dire que le tournage d’Esprits de famille est, au moins en partie, à l’origine de ma passion pour le cinéma. Avoir vécu cette expérience de plateau à l’âge de six ans m’a non seulement initié à l’art cinématographique de manière tactile et inspirante, mais m’a aussi ouvert l’esprit au monde. Voir ma mère orienter l’équipe vers sa vision est un cadeau que je ne reconnaissais pas à l’époque. D’une certaine façon, je n’ai jamais cessé d’être le petit garçon qui a pu découvrir le territoire de ses ancêtres avec sa propre caméra entre ses mains.

Si la vie est un film, je considère Esprits de famille comme une scène importante de mon enfance. Et je me retrouve aujourd’hui à tourner mes propres films en tenant le même trépied que ma mère utilisait dans sa vingtaine.

— Zakari Thibodeau, 18 novembre 2022

 

*

 

Esprits de famille: souvenirs photographiques d’un beau tournage poétique

« Parfois, ça fait du bien de se laisser aller dans la folie des images. »

— Martin Leclerc, Directeur de la photographie

 


:: Zakari Thibodeau avec le drapeau acadien [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Martyne Morin, preneuse de son, sur la grève [photo
: Martin Leclerc, 2004] 

 


:: Mélanie Leclerc, en contemplation [photo: Martin Leclerc, 2004] 

 


:: Apparition d’une petite cousine [photo: Martin Leclerc, 2004]  

 


:: Des enfants curieux et heureux [photo
: Martin Leclerc, 2004] 

 


:: Zakari Thibodeau, le fantôme de la maison [photo: Martin Leclerc, 2004] 

 


:: Mélanie Leclerc et Martyne Morin en prep [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Mélanie Leclerc, à l’œuvre [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: À l’œuvre, prise 2 [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Zakari Thibodeau en visite ancestrale [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


::
 Zakari et son ancêtre, à la course [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Une équipe s’amuse [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Mélanie Leclerc, à la caméra [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Zakari Thibodeau dans un réflecteur [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:: Les fantômes de l’Acadie [photo: Martin Leclerc, 2004]

 


:
: Lysanne et Zakari Thibodeau entourés de leur équipe [photo: Martin Leclerc, 2004]

 

Esprits de famille

Documentaire d’auteur, 2007, 63 min • Prod. : Annick Nantel (Les Films de l’Autre) • Distribution : Vidéographe

Réalisation : Lysanne Thibodeau
Images : Martin Leclerc, Marc Morgenstern
Prise de son : Martyne Morin
Conception sonore : Michel Gauvin
Musique : Robert Marcel Lepage
Montage : Natacha Dufaux

vitheque.com/fr/oeuvres/esprits-de-famille 
vitheque.com/fr/producteurs/lysanne-thibodeau

Une famille trigénérationnelle s’aventure à remonter sa lignée familiale jusqu’à l’arrivée de ses premiers ancêtres en Amérique. Québécoise d’origine acadienne, la réalisatrice Lysanne Thibodeau emmène son fils Zakari et leur cousin Pierre (Thibodeau) Gravel sur la route des Maritimes. Au cours du voyage, chacun fait connaissance à sa façon avec une parenté éloignée et l’esprit de leurs ancêtres. Ludique et poétique, le film propose une réponse aux questions d’identité et d’appartenance qui se posent dans notre société francophone contemporaine. Un hommage aux origines de la francophonie en Amérique du Nord.

 

*

 

Zakari Thibodeau est un artiste basé à Montréal qui effectue présentement sa troisième année d’études en intermédias à l’Université Concordia. Sa pratique s’intéresse à la vidéo, au cinéma et au design. Ayant été introduit très jeune aux films de Wim Wenders, Andrei Tarkovski, Jon Rafman, Stanley Kubrick et David Lynch, Zakari a développé une affinité pour la composante visuelle de la narration.

 

index du dossier

Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Article publié le 30 novembre 2022.
 

Cinéma québécois


>> retour à l'index