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Entrevue avec Sophie Goyette

Par Mathieu Li-Goyette
Après un parcours remarqué dans le monde du court métrage (La rondeLe futur proche), Sophie Goyette épluche ses personnages dans Mes nuits feront écho. À l’occasion de sa sortie en salle, nous avons rencontré la cinéaste pour discuter du rêve, de la narration qu'il permet et des échos qu’il sonde au-dessus de nos têtes.





Mathieu Li-Goyette : Certains voient le rêve comme une lecture de l’inconscient. Pour d’autres, c’est une forme de porte vers un mystère ou vers un autre stade d’existence. Pour toi, qu’est-ce que le rêve ?
 
Sophie Goyette :
Je réponds à cette question après y avoir travaillé pendant deux ans et demi, car je ne suis pas une personne qui analysait ses rêves... J’essayais en travaillant de voir comment le rêve pouvait être un moteur narratif dans le film et pas seulement un miroir du quotidien. Je voulais qu’il y ait quelque chose là-dedans qui fasse avancer les personnages, jusqu’à leur donner des clés pour qu’ils décèlent leurs propres portes de sortie, des issues possibles à leur condition. Ça sonne cliché, mais je concevais le rêve comme quelque chose qui pouvait donner de l’espoir, parce que ce que je trouvais fascinant du rêve – et d’autant plus quand j’ai ressenti l’ambition de faire un film dans trois pays, avec trois personnages de générations différentes et quatre langues – c’est de m’en servir pour nous faire sentir l’humanité dans cette histoire, car s’il y a bien une expérience qu’on vit tous, c’est de rêver la nuit.
 
Personne ne peut refuser de rêver et peu importe la langue (et je peux le dire aussi aujourd’hui après avoir beaucoup discuté de ce scénario dans plusieurs langues), on comprenait tous l’expérience du rêve, l’expérience de laisser notre imaginaire nous guider sans en tenir les rennes. Quand je m’imaginais le film en long métrage, tout était très séparé comme univers, comme monde, alors que tout le film peut au fond être un rêve, comme une autre possibilité de communication entre les êtres, qui soit autre que la parole (ou Facebook, ou Skype...) et qui se termine aussi dans le rêve, par le fait que le dernier plan peut nous renvoyer au début. Le rêve m’a aidé à rendre l’ensemble homogène.
 
MLG : Car le dernier plan pourrait très bien nous présenter à nouveau le premier personnage du film, Éliane, et nous faire réaliser qu’on assiste là à une forme de boucle qui est bouclée.
 
SG :
Ton interprétation est complètement valable et je l’avais certainement en tête en l’écrivant, tout comme d’autres personnes m’ont confié d’autres lectures avec d’autres formes de subtilités et je dois dire que c’est parfait. Ça vous appartient, à vous le public. Je voulais surtout qu’on y voie un lien, peu importe la nature du lien, avec Éliane.
 
MLG :
Tu disais que tout le film pourrait être un rêve, comme si chacun des personnages, partant en voyage, pourrait partir en voyage dans ses rêves, car ce que nous dit Pablo, ton troisième personnage, c’est que l’image qu’il a de la Chine lui vient d’un roman qu’il a lu dans son enfance. À partir de là, il pourrait aussi bien se plonger dans le souvenir de sa lecture que traverser l’océan et visiter la Chine. 
 
SG : On me dit beaucoup que c’est un film de rêve, mais je me dis que c’est aussi beaucoup un film de mémoire, de souvenir, qui porte sur la façon dont on construit notre imaginaire. La vie me semble tellement riche, on peut discuter là, maintenant, entendre la musique qui nous ferait plonger dans une pensée tout en étant très cohérent. On a tous ces mondes parallèles dans notre tête et si je souligne celui du rêve, ce n’était pas pour faire une histoire où les personnages se couchent dans un lit et se mettent à rêver ; je voulais aussi faire des sortes de rêves éveillés, en exergue du rêve. Je voulais que ce rapport onirique aux choses déborde du sommeil, car pour moi, la vie c’est ça (ou c’est ma manière de la voir... peut-être parce que je suis enfant unique et que j’ai une imagination qui a découlé de ça... alors peut-être que je l’ai aussi dans mes courts métrages, cette manière... et peut-être que je l’ai plus assumée dans mon long).

MLG : Ce que je trouve intéressant dans ton attrait pour le rêve, c’est qu’il en résulte une structure narrative qui n’est jamais donnée, qui n’est jamais préétablie. On ne sait pas exactement où on s’en va — et je n’entends pas par-là qu’on se perd — et c’est émouvant, de suivre ces personnages en appréhendant leur atterrissage, leur sortie de rêve.
 
SG : C’est aussi parce que je trouve le public beau, intelligent, articulé. Il y a des films racontés de manière plus classique que je vais beaucoup aimer, mais moi, on dirait que les histoires que j’ai en tête se racontent davantage comme celle que tu viens de voir. Tu lirais les scénarios et tu verrais que c’est comme ça que je les construis. J’essaierais de faire un film sur un tueur en série avec une révélation en fin de parcours et je ne pense pas que je serais bonne à le faire. Admettons qu’on a une séquence où il y a du texte d'une source inconnue qui apparaît à l’écran, où l’on voit ensuite une église coupée en deux, etc., pour moi c’était très important que tout ça se termine avec un personnage qui a un cellulaire dans la main, qui envoie des textos, pour lier doucement la logique qui unit les scènes ; en d’autres mots je veux toujours tendre la main au public pour lui dire que je l’ai, tout en lui faisant comprendre que je le trouve brillant et que je veux lui faire vivre quelque chose d’une manière différente. 
 
MLG : À quelle étape de l’écriture trouves-tu une job à tes personnages ? Le travail, dès tes courts métrages, semble assez formateur ou en tout cas déterminant pour eux.
 
SG : Ça vient assez naturellement, mais ce n’est pas l’élément déclencheur. On dirait que ce qui se construit toujours en premier, ce sont des scènes. Les personnages forment pour moi une constellation où je peux me dire que je mettrai de l’avant tel ou tel élément, en construisant de petites scènes autour d’eux, et c’est en le faisant que je me rends compte qu’un tel est un photographe — c’est le personnage qui me dit qu’il est photographe et je ne lui trouve pas sa profession en premier lieu parce que j’ai l’impression qu’on est tous beaucoup plus qu’une profession. J’essayais de voir comment je pouvais les rendre intéressants, humains, pour qu’on puisse s’y reconnaître tout en découvrant leur complexité propre. 
 




MLG : Est-ce que ton film est un film sur ce qu’on s’empêche de faire au nom des autres ?
 
SG : Oui, tout à fait. Je crois qu’on s’empêche de faire certaines choses dans nos vies et ce sont souvent de grosses décisions qui en découlent... L'idée, c’est de voir quels sont nos choix de vie et à quel moment on s’arrête pour en faire d'autres. Ça semblera peut-être, hors contexte, dramatique et lourd, mais quand je dis par la première phrase du film « La vie est courte », je le crois et c’est quelque chose qu’on entend tellement souvent que j’ai l’impression qu’on ne réalise pas à quel point elle est courte. Et pourtant, elle l’est et j’essayais de voir comment, même dans un film qui a son propre rythme, je pouvais travailler une certaine urgence afin de faire dire aux personnages qu’ils pourraient effectivement emprunter d’autres chemins et s’ouvrir sur autre chose. C’est un des vecteurs que j’ai beaucoup travaillés dans le scénario pour élaborer l’histoire. En faisant en sorte que les trois personnages aient ça, je souhaitais non pas faire trois courts métrages collés les uns aux autres, mais faire en sorte que cela forme un tout. 
 
MLG : Justement, par rapport aux regrets qu’on peut entretenir dans notre vie, par rapport au temps qui a passé, au sentiment de perte de temps qu’on peut ressentir ou à tout le moins face à ce sentiment de ne pas aller au rythme où l’on voudrait aller, est-ce que ça part, chez toi, de quelque chose de plus personnel ? Parce que tu n’as pas étudié le cinéma et tu y es venue, somme toute, plus tardivement que d’autres...
 
SG : Oui, j’ai étudié en microbiologie et j’ai fait mon premier court métrage à l’université, à 26 ans. Ça a été assez drastique pour moi d’aller en sciences pour finalement me dire que j’allais bénéficier d’une sécurité d’emploi... Je n’étais vraiment pas heureuse... Et puisque de nos jours il n’y a absolument rien de certain et qu’à peu près toutes les jobs sont instables, je me suis dit que j’allais foncer, avec l’impression de foncer avec un certain retard (même si j’avais en fait un bagage de vie différent). Quand je me suis allouée mon premier court, j’en ai fait un, puis un autre l’année suivante et tout a déboulé ainsi avec cinq courts métrages en cinq ans. Après ces cinq courts, je me rendais compte que les histoires que j’avais en tête (dont celle-ci), c’étaient des longs métrages.
 
Je crois qu’en art on vit sous une épée de Damoclès... Je ne peux pas dire que je ferai du cinéma toute ma vie, car c’est très difficile d’être juste une artiste, d’en vivre, d’en faire. Je ne suis pas une auteure, pas un peintre, le 7e art c’est l’art le plus coûteux, le plus lourd, le moins instantané ; il faut que tu sois sur la même idée pendant des années. Je ne pense pas qu’un musicien serait heureux d’écrire une chanson pendant cinq ans et, dans cinq ans, de ne même pas être sûr de la faire. Nous, c’est ce qu’on fait. C’est aussi un travail de collaboration, de chance, de timing, tellement qu’on se dit que oui, il y a beaucoup de travail et une once de talent, mais aussi un sentiment assez particulier qui me fait me dire que si j’ai la chance de faire un long métrage... Oui, c’est beaucoup de temps, car oui, j’ai tout mis là-dedans pendant deux ans et demi, mais en fin de compte je me sens très privilégiée de l’avoir fait… Et peut-être aussi parce que j’ai expérimenté autre chose dans ma vie qui n’était pas ça. Le cinéma c’est ma maison, je l’espère pour longtemps, mais je ne sais pas pour combien de temps. Et ce sentiment habite sûrement le film. En fait, quand je pense à mes courts métrages, je me dis aussi que bien qu’ils ne soient pas autobiographiques, c’est tout de même ma sensibilité qui est à l’écran, ma sensibilité face au monde et les gens qui me connaissent bien me le disent, sans que je sache exactement en quoi on la retrouve là.





MLG :
Pourquoi avoir si peu tourner au Québec ? Est-ce que dès le départ tu te disais que tu allais voyager par et avec le film ?
 
SG : En fait, il y avait tant de choses qui se sont développées dans la partie mexicaine que, pour m’assurer que je fasse bien une passation du rêve à travers ses témoins, je ne pouvais pas la faire de manière trop dramatique. Comme je faisais mon propre montage, je voyais bien qu’il fallait que j’installe plus de choses. La partie québécoise aurait pu être un peu plus longue au début, mais j’avais l’impression de faire du surplace. Je me cherchais un petit élan de départ, alors dès que j’avais le sentiment d’avoir bien placé le fait qu’on partait d’une société nord-américaine, il me fallait, au Mexique, installer quelque chose un peu plus doucement alors qu’en Chine ça avance un peu plus rapidement. C’était vraiment pour trouver un équilibre au film et ça a été un défi pour moi d’équilibrer l’ensemble sur cette structure. On aurait pu dire tout ça à Montréal, mais il fallait aller au bout du monde et se confronter, s’ouvrir.
 
Comme je l’ai dit à l’équipe, je ne voulais pas d’images de cartes postales, je voulais qu’on reste près des personnages et je ne voulais pas dépayser pour dépayser. C’est un dépaysement qui me sert de moteur narratif, car en même temps, même au Mexique, on se trouve majoritairement dans la maison et dans des intérieurs. Je voulais rester sur Éliane et sur ce qu’elle ressentait. Quand j’allais ailleurs, quand je filmais autre chose, comme les gens qui regardent l’orchestre dans un silence total sur une place publique au Mexique, je devais faire une parenthèse et me permettre d’aller sur leurs visages. Chaque fois que je m’éloignais du personnage, il fallait que j’y trouve une raison et que ça recoupe la raison du voyage. 
 
MLG : Ça se reflète très bien dans ta mise en scène, dans la manière dont on est très concentré sur la direction dans laquelle regardent tes personnages sans nécessairement voir ce qu’ils regardent. Je dirais qu’habituellement, ces plans de nuque me semblent redondants, mais j’avais l’impression qu’ici ils nous permettaient de nous rattacher à eux sans jamais basculer dans une forme de road trip déguisé en rêve. 
 
SG : C’est intéressant parce que j’ai quand même, en plein milieu du film, un plan de 14 minutes...
 
MLG : Si long que ça ?
 
SG : Là je le dévoile aux journalistes et peut-être que je ne devrais pas le dire... mais je l’assume. (rires) Et là, pour moi, même si on est dos aux personnages, on est avec eux et ils se livrent. Il y a toujours moyen, selon moi, de filmer différemment une nuque, un dos, un visage... Il faut voir dans le ressenti ce qui est le plus important pour transmettre l’émotion du personnage. À partir de ce moment-là, c’est très naturellement que la caméra se positionne ; il faut être à l’écoute de ce qui serait le plus naturel et vrai. Quand je suis installée sur le bateau, le cadrage me semble aller vers l’essence de la scène parce qu’il me permet d’avoir ces montagnes à l’arrière-plan.
 
MLG :... Qui préparent aussi le renvoi à la photo dans la chambre noire. 
 
SG : Exactement. J’essaie de penser mes films de manière multicouches, en me demandant ce que je peux donner à un premier visionnement, puis à une deuxième et un troisième, parce que même moi qui l’ai vu 40 000 fois, j’aime être étonnée du film. Je voulais vraiment qu’on sente leur vie, que ce soit un coude, une nuque, qu’on sente ces personnages, qu’on soit près d’eux. 




MLG : L’image a une patine nettement reconnaissable. Qu’on soit au Québec, au Mexique ou en Chine, les éclairages s’accordent. Dans quelle mesure était-ce voulu ?
 
SG : Complètement voulu, à 100 %. Je te dirais que j’allais d’un pays nord-américain vers un pays chaotique et ensuite vers un pays encore plus chaotique — et par « chaotique », je ne l’entends pas de manière négative, mais ça peut être très bruyant et touristique — et j’allais là avec ma sensibilité des choses et ma vision pour l’histoire. Admettons que tu voudrais faire un film dans ces trois endroits-là, je ne suis même pas inquiète qu’on ferait deux films différents parce que c’est notre propre intériorité qui parle à travers la mise en scène. Ensuite, c’est intéressant ce que tu amènes parce que tu me parles de l’image et de l’éclairage, mais je l’ai fait aussi en termes de rythme de dialogue et c’est ce qui est finalement devenu mon plus grand défi, même si je n’y pensais pas au début. Chaque culture a un rythme de langue différent. En Asie, ils parlent plus vite. J’ai alors montré les séquences qui avaient déjà été tournées pour qu’ils voient un peu quel était l’univers du film. Je devais voir avec eux quel débit je voulais pour le film, pour ajuster le rythme de l’espagnol et du mandarin afin que toutes ces séquences fassent vraiment partie du même film, sans donner l’impression qu’on progresse sur trois vitesses différentes. C’était très important pour moi que ce soit un tout homogène, de se dire qu’on était sur un bateau qui part, à partir duquel on peut voir des choses, mais à l’intérieur duquel on demeure quand même jusqu’à la fin. Il fallait que ce soit un nid, en termes d’images et en termes de jeu.  
 
MLG : D’autant plus qu’au-delà des paroles, le rythme d’un silence n’est pas le même en français, en espagnol et en chinois. 
 
SG : Oui, et souvent, ce qu’on voit à l’écran est la dernière prise de la scène, par exemple dans la scène de résidence de personnes âgées, où là on prenait un silence, puis une respiration, puis un regard. Quelque chose que je faisais un peu dans mes courts mais bien plus dans celui-là, c’était de diriger les acteurs, quand je pouvais me le permettre, entre les dialogues, en leur disant d’attendre avant de parler, de tourner la tête, pour que l’image soit habitée aussi dans les silences et qu’on ne sente pas l’attente d’une réplique ; il fallait que ce soit naturel, qu’on oublie que c’est un film et qu’on vive avec eux. 
 
MLG : Tu dis que c’est naturel, et ce l’est, mais en même temps c’est assez impressionnant de savoir que tu es derrière la caméra en train de battre un tempo si précis pour les comédiens. 
 
SG : Je pense que c’est aussi ce qui fait sentir que c’est un long métrage. La scène en mandarin tournée dans le restaurant, c’était la dernière prise, car même si on avait de très bons comédiens, ils n’étaient pas habitués à aller dans cet univers, qui n’est pas complètement naturaliste et qui est au fond un peu décalé (et je l’assume, car on est juste à côté dans les dialogues). On peut peut-être avoir des conversations comme celles qu’on voit dans le film quelques fois dans notre vie, sauf que moi j’ai décidé de toutes les mettre à l’intérieur du même film. Sans vouloir détruire la magie, sur le bateau, tu peux m’imaginer juste à côté des acteurs, avec la musique que je démarrais. L’un terminait son monologue et durant le morceau je leur disais comment bouger leurs têtes et, pour la finale du morceau, je leur disais de se regarder, ensuite j’arrêtais la musique, ils poursuivaient et après la prise je pouvais y aller de quelques indications physiques pour leurs dialogues. C’est le genre de chose qu’on se permet avec des acteurs professionnels, alors que dans mon film précédent, Le futur proche, qui était tourné en partie dans un avion, j’étais avec un pilote professionnel (pour ne pas mourir dans le ciel), mais je ne pouvais pas me permettre ce genre de directions.
 
MLG : On découvre tes personnages tranquillement. On observe, comme je le disais, davantage la direction dans laquelle ils regardent plutôt que ce qu’ils regardent à ce moment... As-tu eu peur que le spectateur trouve tes personnages trop opaques ?
 
SG : Complètement et c’est quelque chose que même-moi je pense avoir... On peut me dire que je suis une personne de prime abord un peu secrète (je ne suis pas all over the place à me dévoiler tout le temps) et si je pense à La ronde ou au Futur proche, mes personnages sont toujours un peu comme ça parce que je suis moi-même un peu comme ça. À la limite, celui qui est le plus extroverti du film c’est le petit garçon. Pourtant, quand quelqu’un est introverti, pour moi il n’est pas opaque, il est peut-être plus timide, plus réservé, mais il peut avoir une richesse et s’ouvrir et tout donner et même être drôle et faire une blague des Simpsons. Je sais qu’au cinéma on est plus habitué à des personnages qui s’assoient et disent tout en étant transparents. Chez moi ce sont davantage des personnages à qui j’enlève des couches ; c’est comme si on était en plein hiver, avec 14 couches et une à une je les dévoile, jusqu’à ce que, par exemple avec Éliane quand elle est dans la jungle et qu’elle se confie, ils le fassent sincèrement, comme un secret partagé. Chaque personnage est comme un bulbe et chaque personnage, d’Éliane jusqu’à Pablo, se dévoile un peu plus ; je voulais qu’on voie cette fleur prendre de l’ampleur à travers le film, pour qu’on découvre ce cœur qui bat en lui.





MLG : C’est ce qui me semble particulièrement réussi dans ton film, surtout que ce dévoilement gagne en relief justement parce que tes personnages sont, d’une certaine manière, si différents les uns des autres. Est-ce que tu dirais que ce qui aide Pablo à se dévoiler encore plus est lié à son âge ?
 
SG : Je l’ai réfléchi comme ça. Il y a quelque chose, quand on arrive au bout de notre vie (et c’est moi-même quelque chose que je n’ai pas vécu et que je transpose et peut-être que quelqu’un de son âge me dirait « Non, ma p’tite fille »), mais en ce moment je me dis que quelqu’un arrivé au bout de sa vie s’en fait un peu moins... De la même manière que je me disais que même en ayant rêvé à la Chine toute sa vie il pourrait aussi très bien se dire que c’était « juste ça » et vouloir ensuite rebrousser chemin. Pablo a toute cette sagesse qui lui permet de s’auto-analyser, alors que lorsqu’on est jeune on entre moins dans cet exercice et on le fait de plus en plus avec l’âge et l’expérience. Il y a beaucoup de rêves qu’on fait dans la nuit, beaucoup de souvenirs qu’on se construit ainsi à travers le temps... On espère des choses et lorsqu’on les confronte, même si cela peut être magnifique, ça peut toujours aussi être confrontant et c’est vers ce genre d’émotions que je voulais aller.
 
MLG : Et qu’est-ce que tu trouves dans l’écho ? Est-ce que c’est d’abord une forme de liant pour ta narration ? Est-ce du hasard ? De la destinée ?
 
SG : Pour moi c’est quelque chose de rassurant qui existe au-dessus de nos têtes. Ça se transpose un peu dans le film dans ce dernier plan, avec Monique Spaziani qui ramène le tout au début. Je crois qu’on peut être très perdu en tant que société, en tant qu’individu, à travers tout ce qui se passe et peut-être plus que jamais... Je me demandais alors, si j’allais ajouter une œuvre au cinéma, parmi les milliers qui sont présentées chaque année, qu’est-ce que je voulais amener comme espoir à travers tout cela... Et c’est ça que je voulais amener, ce liant-là, où mes nuits qui feront écho feront écho pour chacun de mes personnages et feront écho entre eux, puisqu’ils s’en parlent tour à tour (même lorsque le jeune garçon en parle et qu’il déclenche quelque chose). Je voulais plonger là-dedans, quitte à ne pas faire quelque chose de naturaliste (et c’est correct, au cinéma, de ne pas faire quelque chose de naturaliste !) et moi mon espoir se transposait dans ces ligatures. Après, dans la création, si on parle plus de l’esthétique, oui je disais à mon équipe de faire quelques ajustements que je saupoudrais dans le film pour lier des images entre elles et créer des échos au-delà des dialogues et au-delà de ce qui est dit.
 
C’est un voyage, mais c’est surtout un voyage qui se fait à travers ces vecteurs de l’écho. De la même manière, je montrais aux acteurs le jeu des autres. Je leur montrais ce que je montais pour leur partager le ton et la couleur du film, pour qu’ils comprennent, en plus de ce qu’on pouvait bien se dire, dans quelle direction on partait.
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Article publié le 14 janvier 2017.
 

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