ENTREVUE AVEC NICOLAS ALBERNY ET JEAN MACH
Mercredi 29 Juillet 2009
Par Mathieu Li-Goyette
Rebelles dans l'âme, Nicolas Alberny et Jean Mach nous ont accordé
un entretien exhaustif en milieu de festival. Quelques heures après
la présentation de 8th Wonderland qui aura même
eu droit à une ovation debout de la part des festivaliers, les
cinéastes français se sont expliqués sur plusieurs
choix esthétiques de cette première oeuvre conjointe et,
bien sûr, nous en dire un peu plus sur la verve politique qui
accompagne le sous-texte d'un grand film de science-fiction. Cultivés
et bien évidemment politiquement conscientisés, Alberny
et Mach lancent un appel au 8th wonderlandais en chacun de
vous. Inscrivez-vous sur le site officiel www.8thwonderland.com et rejoignez
les rangs de la première puissance mondiale virtuelle.
Pano : Donc, dans 8th wonderland, comment
avez-vous approché le fait que vous vous attaquiez à un
espace virtuel, un espace de média, à quel point est-ce
allé rejoindre votre mise en scène? Ce qui m'a vraiment
accroché dans le film, c'est l'aspect esthétique, il y
avait une belle recherche, surtout par rapport aux champs contre-champs
virtuels, si je peux appeler ça ainsi. Quel a été
votre démarche par rapport à cela, avez-vous eu des inspirations
d'autres cinéastes avant vous qui sont peut-être déjà
passés par là?
Alberny : On partait un petit peu de nulle part, en
fait. La représentation de l'Internet, à part ce qui se
fait actuellement, c'est-à-dire que, le film le plus évolué,
c'est juste des écrans côte-à-côte et encore
tu fais pareil avec des écrans de télé. La seule
référence qu'on avait, on est allé dix fois plus
loin, c'est notre coordinateur d'effet spéciaux qui nous a largué
dans cet univers.
Mach : C'est grâce à lui, c'est lui qui
a commencé à chercher sur les scènes virtuelles.
On était parti sur une scène virtuelle qui donnait un
espace un peu irréel et c'est lui qui a axé vraiment sur
le truc Internet, tu sais, les sortes de vidéo-conférences
à une vingtaine. C'est lui qui a commencé à nous
brancher là-dessus, à nous montrer les premières
images qu'il avait et tout, et franchement, c'était terrible
ce qu'il avait imaginé. Donc, on s'est complètement axé
par rapport à ça et on a tous été dans ce
sens-là.
Alberny : Il a vraiment fini par nous convaincre aussi
en nous disant que ce serait plus facile pour nous au tournage, parce
qu'il suffisait de filmer l'acteur en plan fixe en mettant la caméra
sur pied et ensuite, on pourrait faire la mise en scène en post-production,
une fois que le tournage est terminé, on prend tout le monde
devant l'ordinateur et : « Imaginez vos plans ». Et aussi,
le gros avantage c'était, pour nous, de ne pas faire un film
d'écrans, autrement dit, un film d'ordinateur où les gens
passent tout le reste du film sans voir un truc et ils tapent sur leur
clavier.
Mach : En revanche, ce qu'on n'avait pas pensé,
c'est qu'en post-production, ce serait, hé, assez compliqué.
Autant c'était facile à tourner, autant à monter,
dans la salle virtuelle, ça nous a pris du temps pour arriver
à faire quelque chose qui donne l'impression que les gens communiquent
vraiment les uns avec les autres, qu'ils se voient vraiment les uns
et les autres, c'est pas le cas, quoi. La plupart du temps, ils sont
face première, on s'en rend pas compte. On a l'impression qu'ils
discutent les uns avec les autres.
Pano : Justement, quand on voit le film, on voit toutes
les scènes où les gens sont dans des espaces complètement
distincts et pas dans un studio où il y a des bouts de décor
différents. J'ose à peine m'imaginer le labeur derrière
tout ça. Coordonner les dialogues, s'arranger pour qu'au montage,
tout fonctionne.
Mach : C'est vrai que ça nous a donné
beaucoup de boulot de post-production. En revanche, au tournage, faut
dire que c'était assez simple.
Alberny : Pour ce qui est du montage, tu vois, la timeline
de la table de montage à l'ordinateur, quand on a douze personnages,
il y avait douze pistes vidéo, qu'il fallait qu'on synchronise
parce que la réaction était pas forcément synchronisé,
parfois on accélérait de façon infime pour que
ça soit pas faux. Au final, au niveau des rush, si le dialogue
dure trois minutes, nous, en fait, on devait monter...
Mach : C'était 15 ou 45 minutes, oui. C'est
vrai que ça nous a demandé pas mal de boulot après.
La salle virtuelle qu'il a mis au point était tellement bien
qu'on s'est vraiment éclaté à faire le découpage
et le montage, enfin, le découpage en direct finalement, parce
qu'il mettait en caméra virtuelle.
Pano : Concernant les pylônes d'images qui flottent
dans un univers complètement blanc, il y a plein de petits écrans.
Il y a les huit écrans principaux, en fait, je crois qu'il y
a peut-être une douzaine de personnages différents sur
lesquels vous revenez, auxquels le public peut s'identifier un petit
peu, mais, toutes les autres images qu'il y a autour d'eux, est-ce que
vous les interprétez comme d'autres habitants de 8th Wonderland
qui assistent aux conférences ou dans le fond, le film aurait
tout aussi bien pu représenter 300 personnages différents
tout au long de ces deux heures?
Alberny : C'est marrant que tu dises ça, parce
qu'on ait parti comme ça. Au départ, il devait y avoir
300 personnages qui faisaient chacun une réplique. Comme quand
on a une dispute et que c'est sur un forum, ce genre de choses. On a
montré le scénario et c'est vrai que, unanimement, les
gens étaient perdus et il y avait aussi le fait que si tu vas
dans n'importe quel forum, tu t'aperçois vite qu'il y a beaucoup
de gens qui reviennent plus, qui parlent plus, donc qui prennent une
sorte de part un peu plus importante au niveau des forums. En fait,
c'est gens-là qui sont représentés dans le film
et tous les autres autour, tous les personnages d'8th Wonderland,
on entend qu'ils discutent, donc, ils discutent entre eux comme s'il
y avait plusieurs forums, si tu veux. Quand il est question de symbolisme,
une personne doit symboliser peut-être mille, mille-cinq-cent
habitants si tu veux, avec leur manières de penser et tout ça.
Mais c'était infaisable de créer un univers aussi important
sans perdre le spectateur.
JEAN MACH ET NICOLAS ALBERNY
Alberny : Donc, du coup, on s'est dit que l'arrière-plan
représenterait Internet plus que le site en lui-même. Tout
est dans l'intérêt que les gens puisse s'arrêter
sur ce site et en repartir. Enlever quelques postes parce que, ça
remarque pas énormément, mais il y a des écrans
qui arrivent, qui prennent part un petit peu à la discussion
et qui repartent.
Mach : Il y avait ces deux pylônes, c'était
des colonnes, qui représentent Internet, les trucs verticaux.
Et tu avais les trucs en cercle qui représentent le site lui-même
où par exemple, à un moment donné, le mec il dit
: «Mais bien sûr, pour qui tu nous prends?» À
ce moment-là, tu as une plongée, en fait, le mec est pris
en contre-plongée, si tu veux, et derrière lui tu vois
qu'il y a tous les gens d'8th Wonderland et au fur et à mesure,
on s'est débrouillé pour qu'il y ait de plus en plus d'habitants.
Quelque chose d'un peu optimiste de voir qu'il y a de plus en plus d'habitants.
Alberny : D'ailleurs, pour avoir tous ces écrans,
on a fait un casting sur Internet. J'ai récolté deux cents
petits vidéos à répétition derrière
les écrans, en disant : « Participez à un film tout
en restant chez vous. » Les gens se sont filmés et nous
ont envoyé les vidéos après...
Mach : ...de la webcam, par l'Internet. En tout cas,
c'était assez rigolo.
Pano : J'ai remarqué souvent dans le film qu'il
y avait une espèce de jeu dans la mise en scène avec les
plans-séquences dans le sens qu'un personnage qui semble dans
son salon, c'est l'exemple qui m'avait le plus frappé, à
écouter la télévision. Bon, la caméra fait
un panoramique et on se rend compte que le studio est dans son salon.
Il y a plusieurs effets de montage comme ça qui enlèvent
toutes barrières entre la réalité et le média
en tant que tel.
Alberny : En fait, c'était pas vraiment piqué
que cette idée du salon où la personne est tellement ébahie
par ce qu'elle voit qu'elle a l'impression qu'elle est vraiment sur
le plateau. C'est l'imprimeur. Donc, on le voit et c'est vrai que ça
rendait vraiment super bien visuellement donc, on l'a mis en place à
partir de là. À l'arrivée, c'est assez... C'était
surtout d'essayer visuellement de rendre l'état d'esprit de la
personne à ce moment-là, c'était surtout ça.
Et puis, comme tu as dit, comment on est submergé par les médias,
c'est vrai que...
Mach : Ça intervient quand un personnage, en
fait... c'était sinistre dans le site. Et quand on draine un
peu le site, en arrivant, en étant un peu en aspect. Du coup,
c'est symbolisé aussi par le fait qu'il s'immisce même
dans la vie des gens, dans le salon. On avait trouvé ce sens-là
aussi pour expliquer un petit peu le télévisuel.
Mach : Ça enflamme l'intérêt, à
l'arrivée, ça fait un truc vraiment cool.
Pano : On avait parlé du fait que votre première
version du scénario comptait plusieurs centaines de personnages.
Vous ait-il déjà passé par l'esprit de garder le
concept du grand nombre de personnage et d'abandonner la fiction, puisque
pour faire un film de fiction, il faut des personnages, sinon l'histoire
perd un peu de sens, et de faire un faux documentaire.
Mach : Ah oui!
Alberny : C'est encore marrant que tu dises ça.
[rires] On avait pensé au début à faire croire
que le film était un documentaire en prenant juste des images
télés enchaînés sous forme de zapping. On
a une émission, qui est assez populaire en France, qui s'appelle
Le Zapping qui reprend un petit peu tout ce qui s'est passé
sur la télé de comique ou même de grave, la veille,
et en fait, c'est présenté avec des blagues au milieu.
On change de chaîne et suivant comment c'est monté, on
peut dire quelque chose, on peut passer un message aussi.
Mach : De façon subjective, en fait. Par exemple,
il y a un mec qui fait une intervention, juste derrière tu mets
une chanson. La chanson, elle mérite pas d'être au zapping,
mais ce qu'il dit dans la chanson, ça se répercute sur
le mec qui était là juste avant. Si tu as envie de le
traîner en ridicule ou au contraire, rentre son style correct.
C'est monté d'une manière de plus en plus subversive.
Mach : Mais ça nous intéressait moins,
parce qu'on avait envie de faire quelque chose de plus cinématographique,
et de s'amuser avec une caméra aussi. On aurait été
un petit peu trop restreint.
Mach : On garde quand même l'ambiguïté
sur le fait que le pays virtuel peut être un vrai pays virtuel
qui existe en donnant envie aux gens d'aller voir sur le site, s'il
y est vraiment. Avec le fait de pas avoir pris des gens connus. Si on
avait pris des comédiens connus pour les premiers rôles,
directement, je sais pas, tu vois Daniel Auteuil en français,
voilà, tu sais que c'est un film. Là, les gens sont pas
connus, donc ça donne un petit côté plus docu-fiction,
même si c'est pas filmé du tout comme ça. Il y a
aussi le fait d'avoir pris des gens dans la télé qui sont
connus eux par contre. Tu vois, les seules personnes connues, c'est
Julien Lepers, ou c'est Amandalie, Guernicos, tu vois, qui sont discrètes,
c'est des gens qui sont connus à la télé, qui font
des émissions de télé et c'est généralement
dans leur propre rôle qu'ils apparaissent, de façon discrète.
Du coup, tout ça devait faire en sorte de créer un petit
hypnotiseur chez les spectateurs, alors ça fonctionne pas sur
toi, mais du style : « C'est quoi ce pays, il existe vraiment?
». C'est marrant parce qu'au BIFFF (Brussels International Fantastic
Film Festival, ndlr), quand on avait passé à Bruxelles,
après on est allé sur certains forums et il y avait des
gens qui disaient : « Hey, je suis allé sur aller voir,
le pays virtuel existerait vraiment. » On était pas encore
en ligne à ce moment, mais ils ont fait la démarche d'eux-mêmes
d'aller voir si le pays existait.
Alberny : Et il existe. On a fait le site du pays et
il est en ligne depuis une semaine.
Mach : www.8thwonderland.com et tu peux vraiment devenir
citoyen d'8th wonderland.
Pano : Est-ce que ça fonctionne bien?
Mach : En fait, on vient de le lancer. Il a été
lancé le 10 juillet. Et pour le moment, le webmaster,
il est en vacances jusqu'au 26 et donc, là, pour le moment, on
laisse tourner trois semaines, un mois, voir combien on a de connexions,
comment ça évolue, tout ça. Faire évoluer
le site en fait.
Pano : Est-ce que les gens peuvent s'inscrire et participer
à des discussions?
Mach : Exactement. Il y a des forums. Là, premièrement,
il y a un problème technique dans le site, il n'y a qu'un seul
forum, mais normalement il y en a six, avec six questions.
Alberny : On aurait pu en faire huit.
Mach : Ouais, c'est vrai, ça aurait été
mieux. Et en fait, tu as la meilleure action qui est mise en place.
Et le dimanche, alors c'est marqué en-dessous, si tu veux tu
as une bande pour quand est le prochain vote et ensuite, c'est vraiment
mis au référendum et si ça passe, il y a une action
qui est faite. Ou une pseudo-action, les gens ne doivent pas savoir,
tu vois... Et on a déjà mis en place les motions qui ont
déjà été faites. Comme le site est très
récent évidemment, il n'y a pas eu de motions qui ont
été passées. On a mis en place celle du sida, avec
les distributeurs de préservatifs, c'est dans le film. Il y a
les journaux qui s'enchaînent avec les images.
Pano : D'un côté plus littéraire,
je sais qu'hier vous avez répondu à la question par rapport
à la métaphore des cafards qui ont été inspirés
par un truc vu à la télévision. Cette métaphore
en particulier, mais aussi l'esprit du film en général,
m'ont beaucoup fait penser aux écrits de Bernard Werber, je ne
sais pas si vous pensiez aux Fourmis, à la littérature
de science-fiction?
Mach : Je pense que Werber et nous, on a un peu la
même vision. Alors, toute modestie gardée, parce que Bernard
Werber, il a des millions de lecteurs avant nous, alors que nous, voilà,
c'est notre premier film, on est bien gentil, mais voilà! Mais
bon, en fait, on a la même manière de regretter que la
société soit si individuelle. C'est vraiment ce qu'on
voit quand on lit les Fourmis, il aimerait bien que les humains
aient tendance à plus axer là-dessus, voir l'aspect de
ce qu'on peut créer en étant en groupe. On peut créer
des grosses choses en étant en groupe plutôt que chacun
de son côté en train de faire quelque chose d'individuel,
ce qui se passe de plus en plus dans les sociétés humaines
actuelles. En tout cas, dans les pays occidentaux. Et donc, c'est vrai
que les cafards, c'est aussi histoire de montrer cet esprit d'équipe
qu'il peut y avoir, tout en disant : « On est pas plus que des
cafards. ». Pas en disant l'aspect péjoratif, un cafard
c'est un insecte sale, pas ça, non, juste une espèce parmi
d'autres sur la terre. On a beau être l'espèce la plus
intelligente, n'empêche qu'on est quand même qu'une espèce
parmi d'autres, rien de plus.
Alberny : Je suppose qu'il y a des influences conscientes
et d'autres pas conscientes et Werber doit en faire partie aussi.
Pano : C'est le fait aussi que ce n'est pas un film
qui essaie d'imposer sa vérité, il y a un ton ironique
souvent, c'est un film qui a de l'humour, qui fait rire, c'est ce qui
le rend d'autant plus crédible. Le 8th Wonderland en tant que
tel est un peu impossible. À en croire le film, les gens qui
participent à 8th wonderland sont les plus grands terroristes
du monde. [rires] Je me demande si vous avez décidé de
prendre un ton humoristique dans le scénario de départ
ou si vous l'avez pris en cours de route pour, je ne sais pas, ne pas
trop se prendre au sérieux?
Alberny : Faire passer certaines choses qui ne seraient
pas passées sans l'humour?
Pano : Ce que je veux dire, c'est que j'ai plus vu
le film comme une espèce de fable, un conte, une grande métaphore
sur notre société plutôt que comme un film militant
qui dirait : « Sortez... en fait, rentrez chez vous, allez sur
Internet et révolutionnez le monde ! »
Alberny : En fait, on peut voir la chose des deux côtés.
Mach : Disons que si on avait fait un truc vraiment
très très sérieux du style : « On a tout
compris à la vie. Suivez-nous, c'est exactement ça qu'il
faut faire. », ça aurait été extrêmement
prétentieux, extrêmement faux, puisque, bon, et extrêmement
chiant parce que les gens, au bout d'un moment... On a tous vus des
gens dans les conversations, qui connaissent tout sur tout, extrêmement
pénible très vite, tu as plus trop envie de discuter avec
eux. Le but c'était de pointer des choses qui nous semblaient
injustes, et dire : « Ben voilà, voilà notre solution,
ça passe par la suite de la discussion, la discussion des gens
entre eux. » Si le film marche comme on voudrait, les gens discutent
par rapport à ça en se disant : « Cette solution-là
nous convient? On pourrait peut-être faire ça, ou faire
ça. » C'est exactement ce qui se fait dans le forum, ils
sont là à avoir des discussions. Le film n'est finalement
qu'un truc intermédiaire entre : « Ben, on sait qu'il y
a des problèmes... Est-ce qu'on peut faire ça? Qu'est-ce
que vous en pensez? » Et ensuite les gens disent : « On
pense ceci, on pense cela. » Et après on évolue
vers quelque chose qui pourrait vraiment être une solution. On
a pas la science infuse. C'est pour ça qu'on a pas trop imposé
de choses.
Alberny : On va pas faire la morale non plus. C'est
pas le but. En ce qui me concerne, l'humour, comme le site commence
en faisant des petits canulars, des choses comme ça, pour amuser,
pour sensibiliser les gens à leur cause. L'humour, ça
sert aussi à rassembler. Dans le film, l'humour est présent
aussi au début, leurs canulars sont empreints d'humour. Ensuite,
quand les choses évoluent, on a conservé quand même
un humour dans tout pour pas qu'il y ait un changement trop total, mais
les choses deviennent de plus en plus grave et à la fin, ils
disent carrément qu'ils sont des militants, alors qu'au début
ils veulent sensibiliser les gens.
Mach : Comme dit Nico, il y a moins d'humour sur la
fin. On l'a quand même considéré. Habituellement,
on écrit en déconnant, voilà. L'humour, à
un moment donné, c'est aussi la manière qu'on a d'écrire
le scénario, ça fait partie du style. Ça fait plus
passer les choses. C'est plus marrant de parler de la peine de mort
en parlant d'une dinde. On voit une dinde avec un journal, comme si
ça avait été fait par Al Qaeda. Ça a déjà
été fait et très très bien fait dans plein
de films de parler de la dramatique de la peine de mort et on aurait
jamais réussi à faire quelque chose de meilleur que ce
qui se fait déjà.
Alberny : D'ailleurs, ce qui est très étrange,
je veux pas dévoiler la scène du Sida, mais c'est l'une
des plus marquantes, on dira, du scénario, mais les gens ont
ri. Et ri assez souvent. Je pense que c'est parce qu'on a injecté
aussi pas mal d'humour avant que les gens peuvent se permettre de rire
à ce moment-là, c'est un rire plus subversif.
Mach : C'est vrai qu'on a fait plusieurs projections
dans lesquelles la scène du Sida, ça rit pas du tout,
autant Paris et avant, quand t'arrive là, tu sens la pression,
la tension qu'il y a dans la salle, alors que là, il y a quand
même une majorité de gens qui ont continué à
rigoler sur la scène du Sida et ça nous a surpris. On
était content, c'est marrant, de voir ça.
Pano : Je me demandais aussi, par rapport aux univers
virtuels, vous avez mentionné Second Life hier, il y
a aussi la communauté qui se crée autour des jeux en ligne,
comme World of Warcraft. Quelques films se sont déjà
attardés à la question des mondes virtuels, Ben X
par exemple. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser aux communautés
qui fonctionnent comme 8th Wonderland fonctionne et je crois que je
ne m'avance pas trop en disant que les terroristes fonctionnent un peu
comme ça. J'ai remarqué une bande dans le film qui disait
: « Oussama Ben Laden vient de fonder BombLand. » Quelles
sont les répercussions d'un film comme le vôtre ou d'un
mouvement d'expression libre sur Internet, vu que, comme vous le dites,
c'est un endroit où on peut s'exprimer librement. Jusqu'où
pensez-vous que ce genre de monde peut nous atteindre dans les prochaines
années?
Mach : Moi, j'aimerais bien que des pays virtuels se
créent, je serais très content. C'est intéressant
de voir qu'une minorité de gens, pour conserver un pouvoir, sont
capables de censurer un maximum de personnes. Est-ce qu'il existe une
démocratie totale, non, mais il existe une démocratie
qui approche. Ici, au Canada, ou en France, on est quand même
bien loti, on peut quand même s'exprimer, on peut avoir un avis
différent de celui du gouvernement, l'exprimer même s'il
y a quand même des choses qui sont passées par le gouvernement
alors que ça représente une minorité de gens. Ça
peut être en bien comme en mal. Quand je dis ça, c'est
un peu paradoxal, parce que si la majorité pense qu'il faut pas
le faire, il faut pas le faire, alors qu'en France, en 1981, quand François
Mitterand est élu, il a fait arrêter la peine de mort.
La majorité des Français voulaient que la peine de mort
continue, mais il a quand même fait ça, parce que c'était
une bonne chose. Maintenant, si jamais tu deviens un démocrate
total, tu vas pas le faire. Personne d'intelligent ne veut que la peine
de mort continue. Là, récemment, il y a récemment,
Nicholas Sarkozy, notre président actuel... on avait voté
contre l'Europe, à un référendum, sous Chirac,
et la réponse avait été non. Donc, en fait, on
avait dit non à la constitution européenne telle qu'elle
était présentée et donc à partir de là,
Sarkozy l'a fait passer il y a un an par députés directement.
Elle est passée, oui, lorsque la majorité des députés
sont représentés. C'est comme dire merde à tous
les gens qui se sont déplacés pour aller voter au référendum
un ou deux ans avant pour dire qu'ils étaient contre cette proposition-là.
Là, pour moi, c'est une très mauvaise chose, puisque que
ça prouve ce que la démocratie peut avoir comme faiblesse.
Alberny : Souvent, ce sont les gens qui font aussi
la démocratie. Alors, dans le cas de ce qu'on propose, puisque
ce sont des gens qui la font, il n'y aurait pas le désir de pouvoir
pour des raisons politiques, parce qu'ils sont plus intéressés
à la base. Dans le cas le plus utopique de la chose, ils seraient
plus intéressés par les problèmes d'injustice et
tout ça. Si ça se passe comme ça, c'est très
bien. C'est les gens qui font le pays.
Mach : C'est exactement ça.
Alberny : On peut pas vraiment savoir sur quelle dérive
ça peut continuer.
Mach : Alors en fait, ça peut évoluer
en bien ou en mal après. Comme on disait dans le film, ce qui
nous importait, c'était comment le pays se remet ce genre de
chose. Il ne nie pas avoir mal évolué. C'est comme MacKay
dans le discours, il dit : « Vous avez mal évolué,
vous avez mal évolué. » Quel pays, mais on n'a pas
vu? Il y a une période sombre dans son histoire. Alors nous,
durant l'occupation, on a eu une période sombre dont on n'aime
pas trop parler parce qu'on est pas particulièrement fiers. Et
je pense que dans n'importe quel pays, c'est le cas.
Alberny : Apprendre des erreurs que le pays a commises
aussi pour aller de l'avant.
Mach : Ce qui se passe avec l'Irlande pour les générations
finales, tu vois, ils ne veulent plus détruire bêtement
mais ils veulent construire à partir de ce qui existe et ils
reprennent ce qui existe et de le faire dévier vers ce qu'ils
voudraient avoir, en essayant d'être le plus constructif, et de
faire passer l'humain d'abord. Le message de la fin, c'est : «
faire passer l'humain avant l'économique. »
Retranscription: Émile Plourde-Lavoie