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A WOMAN UNDER THE INFLUENCE (1974)
John Cassavetes

Par Alexandre Fontaine Rousseau

C'est inévitable: le pauvre Peter Falk restera éternellement associé au personnage du détective privé Columbo. Pourtant, son jeu dans A Woman Under the Influence de John Cassavetes s'avère tout bonnement formidable, et le place sans équivoque dans cette classe à part des acteurs capables de sonder un personnage jusqu'au plus creux de son âme pour en faire ressortir toute la tragédie. De même, Gena Rowlands offre ici une performance tout simplement bouleversante là où une actrice moins talentueuse aurait pu sombrer dans la facilité ou dans les éclats mélodramatiques mielleux. Telle est la magie de John Cassavetes, directeur d'acteur génial et auteur accompli de surcroit. Sachant faire ressortir toutes les contradictions de ses personnages, de leur donner ainsi une vie propre, Cassavetes ne cultivait pas l'illusion cinématographique. Il la brisait, s'y attaquait en détruisant ses racines ancrées jusque dans la façon de faire travailler les acteurs. Plutôt que de leur imposer une façon de jouer, l'Américain laissait ses acteurs improviser dans un cadre défini. Il en résulte des films qui respirent le réalisme, qui transcendent la simple expérience cinématographique pour devenir des expériences de vie.

Celle qu'il nous offre avec A Woman Under The Influence n'a rien de bien invitant, il faut bien l'avouer. En plein coeur de l'Amérique moyenne, Nick (Falk), un mari brutal mais foncièrement aimant, tente de s'occuper de ses trois enfants et de sa femme Mabel (Rowlands), qui souffre d'un déséquilibre mental assez imprévisible. L'état de celle-ci s'aggravant à vue d'oeil, la mère de Nick devient de plus en plus concernée par la situation. On finit par envoyer Mabel dans une institution psychiatrique pour six mois. Son retour sera des plus difficiles, surtout que Nick est tout aussi responsable qu'elle de cette condition dont elle souffre.

Il faut du courage pour plonger dans A Woman Under The Influence, film d'une cruauté psychologique intense non pas parce qu'il exploite les effets de chocs à outrance mais justement parce qu'il tempère ceux-ci en faisant ressortir toute la complexité des sentiments de ses personnages. Il aurait été facile de transformer Nick en un vulgaire monstre, mais la vérité fondamentale du personnage est toute autre. Cassavetes préfère les zones grises au blanc et au noir. Elles sont beaucoup plus dures à accepter et ébranlent véritablement le spectateur plutôt que de lui offrir une cible facile à accuser. Heureusement, son film n'excuse pas pour autant les gestes de Nick. Il les explique, ce qui les rend ironiquement plus durs à comprendre.

Pour sa part, Mabel n'est pas tout bonnement la victime de service. Même si son mari est l'une des causes de son instabilité, il n'en est pas le seul et unique responsable. Difficile à suivre, c'est une femme complexe et foncièrement coupée de la réalité même si c'est en partie parce qu'elle tente d'y échapper. Les horreurs dont elle est victime ne doivent pas supprimer cette vérité du portrait que dresse le spectateur de la situation. Rowlands offre ici une interprétation formidable, incarnant avec un naturel troublant ce personnage exigeant. De son côté, Falk est brillant dans un contre-emploi des plus difficiles. Il fallait un certain cran pour accepter un tel rôle, et encore plus pour le vivre avec une telle intensité.

En évitant de grossièrement définir le bien et le mal, John Cassavetes offre l'un des films les plus déstabilisants sur la violence conjugale qui ait à ce jour été réalisé. Le fait est qu'A Woman Under The Influence présente des être humains plutôt que de simples archétypes faciles à caser. Les jugements de valeurs deviennent ainsi plus difficiles à poser. Le spectateur se retrouve face à une situation beaucoup plus complexe qu'il ne la voudrait. Soudainement, il n'existe plus de bons et de méchants, de repères manichéens convenus, seuls des êtres humains subsistent. Cassavetes laissait la facilité racoleuse à d'autres. Son approche n'a rien d'agréable, son film n'est pas divertissant. Mais, avec un tel sujet, pouvait-il honnêtement en être autrement?




Version française : Une Femme sous influence
Scénario : John Cassavetes
Distribution : Peter Falk, Gena Rowlands, Fred Draper, Lady Rowlands
Durée : 155 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 24 Mars 2005