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WE ARE THE STRANGE (2007)
M Dot Strange

Par Jean-François Vandeuren

De plus en plus de concepteurs de jeux vidéo s’inspirent du septième art - de ses particularités techniques et narratives - pour donner du relief aux événements de leur récit, à l’essence de leurs personnages et à l’univers virtuel dans lequel ils interagissent. Ce sont d’ailleurs les grands studios de cinéma qui doivent désormais s’ajuster face à la popularité grandissante des consoles de salon s’ils désirent reconquérir la part de marché qui leur a été dérobée. Ce qui ressort jusqu’à maintenant de cet affrontement créatif et commercial est que l’un des deux camps prend visiblement plus son rival au sérieux que l’autre. Ainsi, si les concepteurs de jeux soumettent leur auditoire à des expériences vidéoludiques toujours un peu plus riches et immersives, les producteurs de films intéressés par cette forme d’art en devenir ne cherchent de leur côté qu’à capitaliser de façon paresseuse sur le succès de leurs nouveaux compétiteurs. Il en résulta une suite d’adaptations de qualité fort discutable et de piètres excès de style au niveau de la forme - telle la scène de combat d’un ridicule consommé qui tourna à la farce le déjà risible Les Rivières pourpres de Mathieu Kassovitz. Pour sa part, le cinéaste américain ne s’identifiant que par le pseudonyme de M Dot Strange partit seul au combat, muni que d’un maigre budget d’à peine 20,000$, pour présenter ses respects envers deux médiums dont la compatibilité reste encore et toujours à prouver. Ce dernier nous propose avec ce We Are the Strange une oeuvre visuelle tout à fait sublime, mais qui ne cache malheureusement que très peu de surprises sous son magnifique emballage plastique.

La fascination du cinéaste américain pour l’univers du jeu vidéo est mise en évidence dès les premiers instants du film. Une narratrice à la voix robotisée nous présente alors les différents personnages pouvant être incarnés pour cette aventure avant de nous forcer à prendre les traits d’une simple caméra, nous renvoyant ainsi au visage de façon humoristique les limites associées au rôle d’observateur passif que nous jouons habituellement dans une salle de cinéma. La progression du récit dans We Are the Strange se rapproche toutefois beaucoup plus de celle d’un scénario de jeu vidéo que de celui d’un film à proprement parler. Nous sommes ainsi invités à suivre le parcours de deux outsiders qui se rencontreront par hasard en des lieux peu cléments, soient Blue, une jeune femme pixélisée atteinte d’un mal étrange l’empêchant d’exprimer toute forme d’émotion, et eMMM, un pantin obsédé par la crème glacée. Il sera également question des exploits de Rain, un héros particulièrement sadique s’étant vraisemblablement donné pour mission d’éliminer les viles créatures peuplant ce sinistre royaume. À quelles fins exactement? Difficile à dire… Et il est là tout le problème de ce premier long-métrage de M Dot Strange. La tête pensante de cette entreprise pour le moins tordue n’arrive tout simplement pas à raconter son histoire d’une manière sensée ou à développer ses personnages au-delà du bref résumé présenté en voix-off avant même que le spectacle ne prenne véritablement son envol.

Le cinéaste américain nous laisse donc en plan avec une suite de séquences cacophoniques autour desquelles ne se forme pas la moindre parcelle de cohésion narrative. Un manque pour le moins désolant pour un projet qui avait pourtant tous les éléments nécessaires pour offrir une réflexion subtile et éclairée sur la forme actuelle du jeu vidéo et du cinéma d’animation - en particulier de ce côté-ci de l’Atlantique - et ainsi dépasser le statut de simple démonstration technique. À cet effet, nous devons tout de même reconnaître que l’astucieux mélange d’animation numérique, de stop-motion et d’effets spéciaux que propose M Dot Strange s’avère des plus fascinants. Une approche unique que le cinéaste baptisa « Str8nime » (Strange-8-Bit-Anime), question de souligner davantage son adoration déjà plus qu’évidente pour les jeux vidéo, les films de genre et le cinéma asiatique. Le film de M Dot Strange impressionne également par ses superbes environnements faits de pixels, de cartons et autres matériaux de bricolage, lesquels évoquent d’une manière stylisée - et surtout extrêmement pertinente - les influences vidéoludique, gothique et industrielle du réalisateur. Le tout est parfaitement appuyé par la trame sonore à la fois agressive et ambiante de Noise Inc. ainsi que par une direction photo des plus prodigieuses, conférant une profondeur de champ inouïe à l’ensemble des cadres du film tout en faisant ressortir de façon éblouissante les différentes teintes de rouge, de bleu et de noir dominant ces paysages on ne peut plus inquiétants.

Visiblement le fruit d’un travail acharné - et surtout passionné - il n’y a pas grand-chose que nous pouvons reprocher à ce premier long-métrage de M Dot Strange sur le plan esthétique. Le problème par contre est que ce spectacle hyperactif a étrangement tendance à s’étirer inutilement en longueur, le tout dans le but de diriger complètement notre attention sur l’immense valeur artistique de l’effort et de nous faire oublier les nombreuses carences d’une trame narrative particulièrement déficiente. Il est encore plus décevant de voir un tel tour de force visuel être mis au service d’aussi peu de matière, surtout lorsque celui-ci laisse continuellement paraître les traces d’un profond travail de réflexivité et d’un discours tout aussi objectif sur l’évolution chaotique de l’art à une époque où de plus en plus d’artistes cherchent à forger l’avenir de leur discipline en ayant pourtant les yeux rivés sur le passé. Mais aussi sublime et grotesque puisse être ce superbe projet d’art plastique, We Are the Strange demeure une oeuvre sans âme dont la substance ne dépasse jamais l’épaisseur des matériaux avec lesquels cet univers fantastique pourtant tout ce qu’il y a de plus intrigant fut érigé. Seul aux commandes de pratiquement toutes les sphères de cette modeste production, qu’il s’agisse de l’animation, de la mise en scène ou de la création artistique, M Dot Strange se présente tout de même à nous tel un artiste surdoué aux multiples talents. Il sera donc intéressant de voir ce que le jeune cinéaste sera en mesure d’accomplir avec un budget un peu plus généreux, et surtout un bon scénario sous la main.




Version française : -
Scénario : M Dot Strange
Distribution : M Dot Strange, Chaylon Blancett, David Choe, Halleh Seddighzadeh
Durée : 88 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 29 Août 2008