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VIVRE SA VIE : FILM EN DOUZE TABLEAUX (1962)
Jean-Luc Godard

Par Jean-François Vandeuren

On nous mentionne souvent ces mots : « modernité » et « évolution ». Certains vont même jusqu’à les employer pour parler de la société et de la condition humaine. Pourtant, si nous portons un regard moindrement attentif sur ce qui nous entoure, nous constatons, plus souvent qu’autrement, que tout ce beau changement ne sert qu’à en dissimuler l’absence. La structure de l’état et l’allure des édifices ont certes été modifiées, tout comme notre confort qui a aussi grandement augmenté en l’espace d’un siècle. Malgré tout, nous devons continuer de nous battre d’une façon ou d’une autre pour survivre. Dans Vivre sa vie, Jean-Luc Godard expose douze portraits d’un même sujet : Nana (Anna Karina), une jeune femme qui, ironiquement, recourut à la prostitution pour ne pas se retrouver à la rue. À défaut de pouvoir enfin subvenir à ses besoins, cette dernière sera plutôt réduite à l’esclavage. Dans le cas de la prostitution, cette pratique est même régit par le gouvernement.

Godard sait pertinemment qu’il n’est pas le premier cinéaste à aborder ce genre de problématique. Et c’est d’ailleurs ce qui le préoccupe. Les choses ne devraient-elles pas avoir changé depuis le temps? Le réalisateur s’enfonce alors dans un savant travail de réflexivité où les citations sont imposantes, mais toutes habilement choisies. Godard ne passe pas non plus par quatre chemins pour mettre en évidence la gravité de la situation et confère à son récit un caractère moyenâgeux qu’il n’évoque pas à partir des livres d’histoire, mais plutôt du cinéma. En soi, ce n’est pas une surprise de voir Godard citer si directement le chef d’œuvre de Carl Th. Dreyer La Passion de Jeanne D’Arc vu son recours continue aux gros plans. Le réalisateur français pousse par contre les hostilités un peu plus loin en positionnant certaines de ces références au cœur même de son scénario. Nana se retrouvera ainsi à la merci d’un monde d’hommes qu’elle tentera de servir du mieux qu’elle peut, mais elle finira malgré tout par s’exposer à une série de jugements qui finiront par avoir raison d’elle. Une Anna Karina au cheveux courts endosse les traits de ce personnage qui, dans la vraie vie, n’aurait sûrement pas eu droit à un traitement aussi grandiloquent. Le jeu absolument bouleversant de cette dernière entretient d’ailleurs quelques airs de famille avec le tour de force majeur de Maria Falconnetti dans La Passion de Jeanne D’Arc.

Une caractéristique qui distinguera toujours les films de Jean-Luc Godard, particulièrement ceux des années 60, est la force avec laquelle le cinéaste parvint si naturellement à insuffler la vie à sa mise en scène pour aborder des sujets qui, à l’opposée, n’avaient souvent rien de bien réjouissants. Ce coup d’éclat repose dans ce cas-ci sur les épaules d’une caméra qui ne se retrouve jamais complètement au service des protagonistes, esquissant plutôt de longs travellings et des plans assez approximatifs pour scruter les lieux comme si elle était un personnage en soi. Cette idée sera d’ailleurs reprise et poussée beaucoup plus loin par Godard dans 2 ou 3 choses que je sais d’elle.

Bien que son approche soit en constante progression, Vivre sa vie place Godard à un moment où il lui manquait encore quelques cordes à son arc pour devenir le cinéaste aussi désinvolte que réfléchi que certains élans grandioses suggéraient déjà. Ce dernier mettra néanmoins en valeur au fil des 12 tableaux de son troisième long-métrage des qualités de metteur en scène pour le moins surprenantes, dont certaines lui permettront déjà d’infliger diverses cassures importantes au niveau du rythme sans que rien n’y paraisse. La plus flagrante demeure celle s’affichant comme une sorte de préambule à 2 ou 3 choses que je sais d’elle dans laquelle Nana discute des liens unissant le langage et la pensée avec le client d’un bistro qu’elle aborda par hasard. Godard fige du coup complètement le temps de son récit pour isoler une séquence qui semble alors devenir rien de moins que le centre de l’univers.

Vivre sa vie s’impose comme un des films les plus accessibles de la filmographie de Godard et, par le fait même, un des choix les plus appropriés pour s’initier à l’univers du réalisateur. Le film débute d’ailleurs sur une note précisant qu’il est dédié aux films de série b. À cet effet, Godard ne nous a pas menti, commettant le même types de fautes que ce genre d’essais, mais à des fins réellement justifiables. L’une des plus essentielles est évidemment cette finale éclaire par laquelle Godard scelle le destin de Nana en quelques secondes avant de tirer le rideau sur son spectacle sans nous laisser le temps de reprendre notre souffle. Il faut dire qu’il ne pouvait pas vraiment faire autrement. Pas pour un tel personnage au beau milieu du vingtième siècle. S’il n’y avait qu’un seul moment où Godard ne pouvait tisser de parallèles avec la portée épique de l’œuvre de Dreyer, il était bien là.




Version française : -
Scénario : Jean-Luc Godard, Marcel Sacotte (livre)
Distribution : Anna Karina, Sady Rebbot, André S. Labarthe, Guylaine Schlumberger
Durée : 85 minutes
Origine : France

Publiée le : 9 Juin 2006