A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

SYMPATHY FOR THE DEVIL (1968)
Jean-Luc Godard

Par Alexandre Fontaine Rousseau

En 1968, Jean-Luc Godard est à l'apex de sa pertinence en tant que figure de proue de la culture pop mondiale. Son cinéma est embrassé jusqu'en Amérique comme étant à la fois avant-gardiste et représentatif de l'ébullition culturelle d'une certaine jeunesse. Pour tout dire, Godard est à la mode et même les Rolling Stones veulent qu'il tourne un film traitant de l'enregistrement de leur nouvel album Beggar's Banquet. C'est ainsi que le réalisateur amorce le tournage de One + One ou Sympathy For The Devil, étrange mélange entre la fiction surréaliste et le documentaire musical qui annonce à plusieurs niveaux la métamorphose s'opérant dans sa vision du cinéma. Une transition qui, ironiquement, lui coûtera en bonne partie le public qui l'avait encensé pour la vigueur créative de ses films précédents.

Sur Week End, déjà, Godard se libérait définitivement de la forme classique qu'il avait sérieusement ébranlé avec À bout de souffle. Sympathy For The Devil reprend certains motifs de cette fresque vitriolée pour dresser un étrange portrait cynique de la politique, de l'art et de la contre-culture dans son ensemble. Fidèle à lui-même et aux théorèmes de son manifeste, Godard propose ici un film respectant ses idées tout en apposant sa signature personnelle à ce qu'un réalisateur moindre n'aurait pas pu élever au-delà du statut de publicité cool pour un groupe rock branché.

En ce sens, Sympathy For The Devil est une franche réussite qui arrive à transcender son sujet tout en lui rendant justice. Godard utilise avec brio le travail des Rolling Stones en studio afin d'illustrer la nature même du processus créatif. Sous nos yeux, un véritable classique du canon rock n' roll des années 60 prend forme. Nous assistons à la genèse de la composition, des premières répétitions bancales jusqu'à l'enregistrement d'une version définitive franchement magistrale. Le squelette initial devient lentement, mais sûrement une composition plus charnue. Godard ne saute aucune étape et ne censure rien du processus formatif, laissant même au montage final les moments où le groupe passe pour une bande d'amateurs.

Ainsi, le réalisateur s'amuse donc à démonter les mythes du vedettariat et de l'inspiration subite : son film présente la création musicale non pas comme un instant de grâce, mais plutôt comme une longue maturation difficile. De longs plans-séquences superbement orchestrés survolent le studio pour révéler la vérité que cache la version enregistrée de la chanson : de nombreuses erreurs, l'attitude parfois déplaisante et blasée des membres du groupe, diverses idées écartées au fil du temps...

Lorsque Godard s'aventure en dehors du studio, c'est pour retourner aux allégories politiques et esthétiques de Week End. Les scènes annoncent dans une forme condensée les thèmes chers au Godard des années à venir et récapitulent les idées de ses films précédents. À cet état d'ébauche, le propos est condamné à demeurer opaque à tous sauf aux habitués. Mais Sympathy for the Devil est, d'abord et avant tout, un joyeux fourre-tout expérimental, tant technique que théorique, qui parle aux initiés. Dans une cour à ferraille, des révolutionnaires noirs assassinent de jeunes filles blanches. Un homme souffle à un autre les répliques d'un manifeste. Au passage, Godard en profite pour souligner les origines afro-américaines du blues et du rock que pratiquent les Stones.

Ailleurs, une librairie consacrée aux vices de la société devient le théâtre d'un étrange rituel empruntant au nazisme et à l'automatisme. Dans une forêt, une jeune Française se prête à une entrevue filmée où elle ne répond que par oui ou non. Certes, ces plans-séquences viennent d'abord appuyer l'image révolutionnaire et révoltée que cultivent les Stones à l'époque. Pourtant, la grande maîtrise technique dont ils sont le fruit commande le respect. Qui plus est, Godard y glisse avec un certain humour décalé ses observations sur la nature mensongère de la communication moderne et sur l'esprit politique de son temps.

Toutefois, c'est le segment sur les Stones qui fonctionne le mieux. Par la franchise de sa forme, Godard arrive à éclipser sans problème la majeure partie des films tournés sur le thème de la création musicale. Sympathy For The Devil est un pur produit de son époque, tant et si bien que l'on en vient à se demander si Godard n'a pas consciemment créé un artefact historique. De la part d'un penseur qui affirmera plus tard que nous sommes notre propre historien, le contraire serait presque surprenant. Bien qu'il s'agisse d'un essai mineur dans la filmographie de Godard, Sympathy For The Devil propose assez de pistes intéressantes pour valoir la peine d'être écouté.

Il est à noter que la version disponible en Amérique du Nord, Sympathy for the Devil, ajoute dix minutes au montage reconnu par Godard, connu sous le nom de One + One.




Version française : -
Scénario : Jean-Luc Godard
Distribution : Mick Jagger, Keith Richards, Brian Jones, Bill Wyman
Durée : 100 minutes
Origine : Royaume-Uni

Publiée le : 9 Juin 2006