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STRANGERS ON A TRAIN (1951)
Alfred Hitchcock

Par Alexandre Fontaine Rousseau

«La vraisemblance ne m'intéresse pas. C'est ce qu'il y a de plus facile à faire.» - Alfred Hitchcock

Certains cinéphiles tendent à disséquer un film comme s'il s'agissait d'une oeuvre de logique monolithique. Hitchcock, pour sa part, percevait le scénario et par le fait même le cinéma comme étant prétexte à une expérience sensorielle primaire dont la matière première serait le suspense. S'il est une raison pour laquelle le maître préférait s'inspirer de romans mineurs plutôt que de chefs-d'oeuvre consacrés du patrimoine littéraire mondial, c'est qu'il comprenait que les deux formes d'art sont des antithèses bien qu'elles partagent certains mécanismes de base. Les mots et les images n'expriment rien de la même manière. Si Hitchcock est d'abord un cinéaste de la forme et de la technique - au détriment, diront certains, du fond et du contenu - c'est qu'il a compris que la technique est l'unique vocabulaire propre au cinéma. La substance d'Hitchcock se quantifie uniquement par l'impact direct qu'il procure au spectateur par l'entremise de stratégies telles que la dilatation temporelle. Avec humour, François Truffaut souligne que «reprocher à Hitchcock de faire du suspense équivaudrait à l'accuser d'être le cinéaste le moins ennuyant du monde.»

D'autres reprochent à Hitchcock d'avoir peaufiné à la perfection certains des stratagèmes les plus bassement manipulateurs employés par la suite à outrance au grand écran, comme celui de l'identification. Encore une fois, l'homme qui disait prendre le public en considération avant toute autre chose l'aurait sans doute perçu comme un compliment. Ce qu'il recherchait plus que tout, c'est une réaction chez son auditoire. Il n'aspirait qu'à imposer des sensations et à créer des tensions. Bref, il n'aspirait qu'à manipuler.

En ce sens, Strangers on a Train est l'un des films les plus formidables qu'il ait orchestrés. Si les cinéastes de la Nouvelle vague ont décerné à Hitchcock le titre privilégié d'auteur avant son temps, alors qu'au contraire son cinéma était reçu avec peu d'entrain par les critiques américains, c'est qu'il s'efforçait de tourner ses films d'une manière si étroitement ficelée qu'il serait impossible de les dévier de sa vision originale à l'étape du montage. La marque d'Hitchcock s'impose à même l'image. Dans Strangers on a Train, on la ressent dès le premier plan. Toujours prêt à jouer avec le spectateur, il fixe cette fois sa caméra sur la trajectoire de deux paires de chaussures condamnées à se rencontrer. Tout se passe au niveau du sol jusqu'à la collision fatale qui permettra à Bruno Anthony (Robert Walker) de rencontrer Guy Haines (Farley Granger) par hasard (?).

Dès ce moment, l'intrigue entame sa fascinante descente dans le monde des coïncidences et des déraillements. Dès lors, la vraisemblance est abandonnée au profit du cinéma à l'état pur pour notre plus grand plaisir. Bruno est un timbré de la pire espèce qui a conçu sans grand raffinement ce qu'il croit être le crime parfait, mais il a besoin de Guy pour mener à bien son projet dément. Fils blasé d'un riche père qu'il méprise, le jeune homme espère échanger son meurtre avec celui d'un inconnu question d'évacuer toute la notion d'un motif et le risque d'être démasqué. Il verra en la personne de Guy, tracassé par son actuelle femme, la parfaite occasion de procéder à cette interversion criminelle.

À plusieurs niveaux, Strangers on a Train est l'une des oeuvres, les plus tordues et dérangées de la filmographie d'Hitchcock. Carnavalesque dans son atmosphère dès qu'apparaît la figure torturée de Bruno, c'est un délirant film noir cauchemardesque doublé d'une grinçante comédie absurde. C'est aussi un authentique retour à la forme pour Hitchcock dont la carrière, en 1951, faisait du surplace depuis quelques années. À partir de Strangers on a Train, le réalisateur entame définitivement le pan le plus abouti de sa carrière. Ses meilleurs films verront le jour dans les neuf prochaines années : Vertigo, Rear Window, Psycho et North By Northwest pour ne mentionner que les plus connus.

En attendant, Hitchcock sympathise ouvertement avec son méchant pour ensuite torturer le spectateur lors de véritables tours de force de tension. Dans une séquence particulièrement mémorable, il monte en parallèle un match de tennis qui se corse et les tentatives de récupérer une pièce à conviction échappée dans une bouche d'égout. Hitchcock s'amuse follement à jouer avec le spectateur et se permet tous les excès au nom de la tension. Strangers on a Train est un chef-d'oeuvre suprême en son genre. De toute évidence, Hitchcock a une bonne foi pour toutes le contrôle absolu sur les rouages du thriller et entend bien s'en servir de toutes les manières possibles. Décuplé par la performance joyeusement dérangée de Robert Walker et par les intrusions constantes d'un humour noir à souhait, le plaisir que procure Strangers on a Train est infini. Chez Hitchcock, c'est tout ce qui compte réellement.




Version française : -
Scénario : Raymond Chandler, Czenzi Ormonde, Patricia Highsmith (roman)
Distribution : Farley Granger, Ruth Roman, Robert Walker, Leo G. Carroll
Durée : 101 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 10 Mai 2006