A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

SPELLBOUND (1945)
Alfred Hitchcock

Par Alexandre Fontaine Rousseau

«Quand nous sommes arrivés aux séquences de rêves, j'ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus.»
- Alfred Hitchcock

Dès Downhill, Alfred Hitchcock tente d'intégrer le rêve de manière tangible à la réalité de ses films. Il cherche même à rendre ses séquences oniriques plus nettes et précises que ses segments réels. Comme le souligne avec une certaine justesse François Truffaut lors de ses légendaires entretiens avec le maître du suspense, plusieurs de ses films de Notorious à Vertigo entretiennent une impression de rêve éveillé et confèrent au réel une qualité irréelle. Qui plus est, les personnages névrosés et psychotiques ainsi que les phobies de toutes sortes sont monnaie courante dans son oeuvre. Le thème de la folie et les psychés troublées sont deux constantes d'une filmographie portée au gré d'un certain voyeurisme sur les anomalies et les déviances qu'elles soient d'ordre psychologique ou sexuel. Tandis que Rope propose pour l'une des premières fois au cinéma des personnages implicitement homosexuels, le classique Vertigo est décrit par le maître lui-même comme une expérience de pure nécrophilie où un homme est hanté par le désir de coucher avec une morte.

Spellbound est une tentative d'accoucher du premier film purement psychanalytique. À sa sortie en 1944, André Breton a rédigé un premier Manifeste du surréalisme depuis vingt ans déjà et le père de la psychanalyse Sigmund Freud est mort il y a de cela cinq ans. Cependant, leurs découvertes et leurs théories ne font que commencer à envahir la conscience collective. Au sein de cette vague de réflexions sur le sexe et les rêves, les lubies d'Alfred Hitchcock deviennent plus pertinentes que jamais. Ses ambitions se précisent pour Spellbound. Il désire réaliser un suspense autour de son sujet de prédilection, l'homme injustement accusé d'un crime qu'il n'a pas commis, se déroulant dans une institution psychiatrique. Mais, surtout, il veut l'aide de Salvador Dali pour concevoir des séquences oniriques d'inspiration surréaliste d'un raffinement sans précédent.

Si ce fameux segment d'à peine quelques minutes est encore reconnu de nos jours, le film dont il est tiré n'est pas le plus réputé du canon hitchcockien pour de bonnes raisons. Désirant présenter une oeuvre crédible et authentique basée sur certaines percées scientifiques de son époque, Hitchcock étouffe quelque peu son légendaire aboutissement technique au profit d'innombrables dialogues didactiques et plaqués. Se faisant, le réalisateur frôle par moment ce qu'il déteste plus que tout au monde c'est-à-dire le cinéma en tant que «photographie de gens qui parlent».

Tout cela ne signifie pas pour autant que Spellbound soit un mauvais film, loin de là. En plus d'explorer de manière plus appliquée qu'à l'habitude certaines des idées fétiches d'Hitchcock, il annonce à certains niveaux plusieurs oeuvres ultérieures et autrement supérieures à celle-ci telles que Psycho et Vertigo. Néanmoins, ce sont quelques trouvailles de réalisations ingénieuses et le morceau de bravoure filmique que demeure à ce jour la séquence élaborée par Salvador Dali qui permettent à Spellbound de se distinguer. Il est fâcheux de penser que cette dernière a été charcutée au montage bon nombre de fois. Il faut dire qu'à l'époque Hitchcock est encore sous la tutelle du super producteur hollywoodien David O. Selznick et que celui-ci a l'intention de cartonner au box-office. Dès 1948, Hitchcock remédiera à la situation en produisant lui-même ses films.

Pour le moment, il doit encore satisfaire le puissant Selznick qui lui impose quelques changements afin de répondre aux canons esthétiques et aux formules en vigueur à l'époque. Ceci n'empêche pas Hitchcock d'insérer un flash en couleur saisissant à la fin d'un film en noir et blanc qu'il clôt sur le spectaculaire plan subjectif d'un suicide, et de matérialiser avec une exactitude hallucinante l'univers excentrique du peintre espagnol grâce à quelques plans d'une beauté plastique remarquable. Encore une fois, ces trouvailles stylistiques ne sont pas de vulgaires effets de style et servent d'abord l'intrigue et l'atmosphère du film.

Somme toute, Spellbound a très bien vieilli malgré les coupes et les réserves dont il fût victime à l'époque. Lors de leur échange, Truffaut et Hitchcock s'entendront pour dire qu'il s'agit d'un film mineur et n'y consacrent que quelques minutes. Il est facile pour un tel géant d'écarter un film de ce calibre, mais les cinéphiles seront récompensés s'ils y consacrent un tant soit peu leur attention. Sans être fignolé avec le même soin que les grands crus d'Hitchcock, ce film policier sur fond de psychologie demeure marqué par le sceau de qualité du maître.




Version française : Spellbound
Scénario : Ben Hecht, John Palmer & Hilary St. George Sanders (roman)
Distribution : Ingrid Bergman, Gregory Peck, Michael Chekhov, Leo G. Carroll
Durée : 111 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 10 Mai 2006