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SILENT LIGHT (2007)
Carlos Reygadas

Par Louis Filiatrault

À ne pas confondre avec ses réputés compatriotes s'efforçant d'équilibrer intelligence et accessiblité (Inarritu, Cuaròn et Del Toro), le Mexicain Carlos Reygadas pratique un cinéma s'adressant principalement aux festivals et aux cinéphiles plus téméraires. Mais avec trois longs-métrages à son actif en moins du double des années, celui-ci semble en voie de s'imposer d'ici peu en tant que véritable cinéaste incontournable. Révélé comme jeune prodige en 2002 avec Japòn, oeuvre absolument fascinante semblant prendre du cachet avec le temps, il divisait la critique trois ans plus tard avec le très différent Bataille dans le ciel, poursuivant le brassage de certaines thématiques dans un style plus clinique, en environnement urbain plutôt qu'en terrain sauvage. Avec Lumière silencieuse, récipiendaire du Prix du Jury de Cannes 2007, il affiche à nouveau une admirable capacité de renouvellement, sans pour autant délaisser son exploration des rapports entre l'érotisme et le sacré. Plus serein, plus soigné, ce dernier film s'avère probablement la proposition esthétique la plus aboutie de Reygadas à ce jour, mais demeure affligé de certaines lacunes restreignant son accès au statut d'essentiel.

D'emblée, le premier plan du film vaut sans doute à lui seul un petit détour. Authentique moment d'anthologie préparé avec soin et dilué sur plusieurs minutes (puis repris en miroir à la toute fin avec un impact considérablement moins grand), il s'agit d'un échantillon d'extase devant la beauté de la nature digne des plus grands virtuoses du cinématographe. Bien sûr, Reygadas n'a jamais caché son affection pour l'oeuvre d'Andreï Tarkovski, influence repérable dès Japòn sous la forme d'instants de lyrisme émergeant de l'intrusion d'éléments naturels, de mouvements d'appareil poétiques ou de musique bouleversante. Mais il est aussi heureux de le voir continuer d'affirmer son indépendance par rapport au modèle, notamment en ce qui a trait à ses choix de sujets. Là où le maître soviétique s'attaquait aux grandes questions existentielles par des moyens parfois lourds, le Mexicain filme avec affection et grande simplicité des gens modestes (et comédiens non professionnels), à la recherche de leur essence ; héritage avoué de Robert Bresson. L'intérêt humain est d'autant plus grand que la fiction est ici campée au sein d'un groupe de Mennonites, communauté religieuse aux racines germaniques, égalant au moins les montagnards frugals de Japòn pour ce qui est d'établir un sentiment de rupture avec le reste du monde.

Les premières scènes de Lumière silencieuse fournissent donc au réalisateur l'occasion de présenter son univers avec patience et poésie: aux petites heures, le bénédicité se dit en silence autour de bols de Corn Flakes, et les hommes démontrent la capacité de discuter avec autant d'aise d'affaires du coeur que de vilbrequins. Une séquence absolument remarquable de toilette en plein air témoigne d'un rapport intime et symbiotique entre acteurs et metteur en scène, captant un moment de vie avec une authenticité désarmante. Malheureusement, l'intérêt fluctue au cours de ce film long et contemplatif, trahissant les principales limites de l'auteur à ce stade-ci de sa carrière.

En effet, meilleur cinéaste que scénariste, Reygadas peine à alimenter la tension dramatique de son récit de perte et de mariage manqué. La faute n'est pas autant attribuable aux développements minimalistes qu'à leur présentation désagréablement frontale, évacuant à tout coup du portrait les autres éléments participant du contexte culturel ou du climat onirique. Ainsi, à des moments de cinéma d'une puissance pétrifiante (un long baiser au coucher du soleil, l'insertion insolite d'un enregistrement de Jacques Brel, un chant funéraire au son d'outretombe...), s'opposent des échanges torturés sur les vertus comparées de l'amour et de la fidélité, ou tout simplement leur résolution dans la tourmente et les pleurs. Pour émouvants qu'ils soient (Cornelio Wall fait preuve d'une chaleur étonnante dans le rôle principal), les interprètes ne parviennent pas à racheter complètement un traitement ne sachant où se positionner entre les modes familial et intime, étirant les angoisses et déchirements sans nécessairement en enrichir la substance. C'est dans ces instants où les caprices de la mise en scène passent près de l'emporter sur la pureté des personnages que le film menace de basculer, la matière esthétique ne suffisant pas toujours non plus à en gommer les béances.

Néanmoins, le tout débouche sur un morceau finement étudié de cinéma spirituel, ancré de toute évidence fermement dans la tradition religieuse placée sous observation; c'est le temps et le souci du détail consacré par le réalisateur à ce type d'épisode qui font de lui une présence unique et estimable, s'inscrivant hors de tous les codes, parmi les auteurs du cinéma actuel. Le dénouement à caractère mystique, citant trop explicitement l'un des chefs-d'oeuvre de Bergman (Cris et Chuchotements) pour que la correspondance soit fortuite, demeure quant à lui articulé avec intelligence et grande intensité. Il fournit aussi à la lecture de ce corpus léger l'une de ses clés les plus pertinentes: car au sein du cinéma de Carlos Reygadas se croisent bel et bien les spectres des grandes figures du cinéma moderne, dans une optique demeurant personnelle, sincère et passionnée. Il en résulte une oeuvre assurément belle, mais aussi un peu vaine, encore à la recherche de sa véritable raison d'être, de son originalité au-delà d'un exercice de romantisme trouvant preneur mais ne justifiant pas toujours l'investissement qu'il exige. Lumière silencieuse est ainsi un film qui ravira à coup sûr les amateurs de photographie, plaira aux cinéphiles friands d'un naturalisme devenu denrée rare, mais qui au final formule surtout la promesse de meilleures choses à venir.




Version française : Lumière silencieuse
Version originale : Stellet licht
Scénario : Carlos Reygadas
Distribution : Elizabeth Fehr, Jacobo Klassen, Maria Pankratz, Miriam Toews
Durée : 127 minutes
Origine : Mexique, France, Pays-Bas, Allemagne

Publiée le : 18 Juillet 2008