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THE SHINING (1980)
Stanley Kubrick

Par Pierre-Louis Prégent

Le cinéma d’horreur, malgré l’étiquette peu élogieuse qu’on lui attribue couramment, est sans contredit très vaste. Parmi les rejetons engendrés par le septième art, le film d’épouvante est notamment perçu comme le mouton noir. Le problème majeur est que plusieurs cinéastes ont aujourd’hui énormément de difficultés à se remémorer un principe de base : l’horreur est d’abord et avant tout une branche du fantastique. Souvent remplacé par le grotesque ou le sanglant, le fantastique dans les films d’horreur est l’élément qui, certes, ne frappe pas l’auditoire instantanément (comme le ferait une scène gore), mais cultive en lui un détachement de la réalité et par conséquent, crée une captivité du spectateur et réussit à le plonger entièrement dans l’atmosphère patibulaire et fantastique du récit. C’est là l’essence la plus pure de l’horreur, et les films qui en bénéficient sont très rares, croyez-moi.

Stanley Kubrick, sans aucun doute l’un des artistes les plus géniaux de tous les temps, a compris et maitrisé cet atout d’une force inimaginable. Son film intitulé The Shining le prouve de façon grandiose. Combinant une vaste gamme de thèmes propres au fantastique (spectres, visions, folie, disparitions, apparitions, labyrinthes, télépathie, etc.), Kubrick manipule avec tact ces ingrédients multiples et les insère intelligemment dans une histoire à elle seule parfaitement terrifiante : un écrivain isolé dans un hôtel avec sa femme et son fils devient complètement fou.

Utilisant la fameuse diégèse de l’excellent bouquin de Stephen King, Kubrick vient encore une fois solidifier les racines de l’horreur de son film. Le film se déroule dans l’immense Overlook Hotel, qui se trouve dans un coin isolé des États-Unis. Chaque année, pendant l’hiver, on confie la responsabilité du gigantesque bâtiment à une personne qui y vivra pendant quelques mois, alors qu’il ne sera aucunement fréquenté. Bref, c’est l’isolement total. Jack Torrance (Jack Nicholson), un écrivain, signe le contrat. Accompagné de sa femme Wendy et de son fils Danny, il croit avoir finalement mis la main sur l’occasion rêvée : être complètement isolé du monde extérieur pour s’adonner mieux à ses écrits. Toutefois, les murs de l’Overlook Hotel renferment un secret obscur : il y a plusieurs années, le responsable de l’hôtel est devenu complètement fou et a tué sa femme et ses deux fillettes. C’est d’ailleurs ce que Danny, le fils de Jack, apprendra par des visions et par un don étrange dont il a hérité : la télépathie. Peu à peu, Jack devient complètement fou, et Danny, ainsi que son ami imaginaire, Tony, en perçoivent progressivement le danger et l’horreur. Inutile de dire que la terreur s’installe progressivement, jusqu’à atteindre son paroxysme à la toute fin du film, qui est, comme l’ensemble, simplement percutante.

Kubrick est un réalisateur invaincu, tout bonnement. Chacun de ses plans est d’une solidité et d’une beauté ahurissantes. Kubrick était un perfectionniste, et c’est évident (il détient même le record du nombre de prises pour une scène, 187 pour la scène de l’escalier). Que ce soit son utilisation de la steady cam, ou encore de simples plans fixes ou très peu mouvementés, sa réalisation de maître est une contribution cruciale à la terreur véhiculée par le film. Le champ/contre-champ y prend ici toute sa définition et son utilité filmique. La lenteur du rythme est parfaitement agencée avec l’horreur qui s’installe, il s’agit là d’un vrai boulot de maestro. Le tout agrémenté de la musique fantomatique de Wendy Carlos, Rachel Elkind, Béla Bartók, György Ligeti et Krzysztof Penderecki, le spectateur sent l’ambiance terrifiante de l’hôtel envahir son esprit et ses émotions. Encore une fois, c’est le signe ultime d’un film d’horreur réussi, la lenteur est à remercier. Les «sursauts» dans les films d’horreur constituent un moyen facile d’effrayer le spectateur, mais tout cela reste purement superficiel. On a la mauvaise habitude de multiplier rapidement les occasions de faire sursauter les garçons et crier les filles dans les cinémas nord-américains (je ne sais trop pourquoi, mais le titre The Ring me vient à l’esprit). On n’en retrouve aucun dans The Shining, puisqu’on utilise plutôt le champ/contre-champ, absolument admirable ici. Et l’effet est réussi, puisque contrairement aux films d’épouvante habituels, on mise sur une anticipation plus recherchée, et qui ne crée pas une réaction physique, mais plutôt psychologique chez l’auditoire quand on dévoile finalement des images plus grotesques ou surnaturelles. On sent littéralement des frissons nous glacer le sang à d’innombrables reprises.

Côté interprétation, on a droit à un Jack Nicholson au sommet de sa forme. Je dirais qu’il s’agit ici de son second meilleur rôle, le premier étant indéniablement son rôle dans One Flew Over The Cukoo’s Nest. Nicholson est parfait, tout simplement. Son agressivité montante se ressent clairement à travers son visage et ses gestes. Il est hallucinant. Le jeune Danny Lloyd, qui interprète Danny, est tout aussi talentueux. Par contre, Shelley Duvall, qui joue Wendy, peut quelques fois laisser à désirer. Certes, on peut la trouver aberrante et hystérique, mais son quelconque excès de jeu ne vient aucunement gâcher le film. Au contraire, je dirais même que sa voix et ses cris assez aigus et portants viennent briser adéquatement le silence inquiétant du film tout en appuyant solidement certains moments intenses où l’horreur se dévoile de plein fouet. Parmi les quelques autres performances mémorables, il y a celle de Philip Stone, qui interprète Delbert Grady, le spectre du responsable fou de l’hôtel, exactement dans le ton et celle de Scatman Crothers, également excellente. Bref, l’interprétation et la direction d’acteurs sont absolument splendides.

Ceux qui ont lu le livre de Stephen King noteront d’importantes divergences avec le film. Kubrick a construit son film selon le point de vue de Jack plutôt que du point de vue de Danny. Disgrâce à l’original? Pas du tout, puisque le film est complémentaire à l’ouvrage de King. Comme toutes les adaptations de Kubrick, The Shining rend également hommage au cinéma. Dans le cas du film d’horreur (car il a fait des films de plusieurs genres), Kubrick a voulu faire ressortir les origines de l’épouvante avec le fantastique et le surnaturel, même si ceux-ci sont normalement moins présents et complexes dans les films du genre. Si vous tentez de comprendre sémantiquement The Shining, vous risquez d’être déçus, puisqu’il s’agit d’une fable sublime sur le fantastique et l’enfant qu’il peut si magnifiquement engendrer : l’horreur. C’est un peu le Mullholland Dr. de l’horreur, puisqu’il sert avant tout à susciter des émotions, des états d’esprit et même des idées subjectives avec lesquelles le spectateur peut nourrir en lui une terreur bien plus grande que ce qui est possible de créer avec des images et du son. Cela, comme dans plusieurs des films de Kubrick, fait de Shining une œuvre d’art plutôt qu’un simple film. La globalité de son excellence est renversante.

Somme toute, la différence entre un film d’horreur conventionnel et le film de Kubrick est que le premier vous fera sursauter au premier visionnement (sans oublier qu’au second, l’effet sera fort probablement désuet!) et que le deuxième continuera de vous hanter pendant des mois, voire même des années (c’est mon cas du moins). Un film absolument remarquable et énigmatique, qui s’inscrit sans aucun doute dans la liste des chefs-d’œuvre du cinéma d’horreur. Il s’agit définitivement de la figure emblématique de son genre. Brillant.




Version française : L'Enfant lumière
Scénario : Stanley Kubrick, Stephen King (roman)
Distribution : Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd, Scatman Crothers
Durée : 144 minutes
Origine : Angleterre

Publiée le : 8 Janvier 2004