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REVOLUTIONARY ROAD (2008)
Sam Mendes

Par Louis Filiatrault

Qu'en est-il de Sam Mendes aujourd'hui? Dix ans après American Beauty, le Britannique jadis pressenti comme le nouveau messie du cinéma américain semble s'être incrusté confortablement dans la tapisserie, s'associant à des productions de bon calibre, mais ne surprenant plus personne. En effet, on pourrait facilement spéculer qu'après le succès incertain de Jarhead, film intéressant mais quelque peu anecdotique, Mendes aura cru bon de s'en tenir à des activités plus sages. Mais une telle retenue peut aussi amener son lot de vertus, comme en témoigne dans une certaine mesure cette adaptation de Revolutionary Road, roman très respecté de Richard Yates. Oeuvre imparfaite et sans grande ambition esthétique, ce drame typique de la saison des Oscars a cependant le mérite de rafraîchir avec intelligence la thématique mise en vogue par Mendes lui-même en 1999, ainsi que d'extraire des qualités dramatiques remarquables d'un certain couple d'interprètes ayant aussi connu la consécration il y a une dizaine d'années. Retour en arrière à deux niveaux, en quelque sorte, Revolutionary Road explore la mentalité suburbaine des années 50 tout en faisant résonner son discours dans le présent avec une pertinence certaine.

La première qualité de Revolutionary Road, ou du moins la plus apparente, est le pouvoir d'évocation extraordinaire de sa peinture d'époque. Au-delà des meubles et costumes savamment sélectionnés, l'évidente sobriété qu'impose Mendes à l'ensemble traduit admirablement, par les comportements sévèrement codés de ses quelques protagonistes, les convenances de la société dont ils font partie. D'autres metteurs en scène se sont aventurés en territoire semblable, mais l'Anglais s'illustre par une attention particulière aux lieux de la routine et aux moeurs changeantes. En ce sens, montant la maison de banlieue solitaire et la ville impersonnelle en parallèle, les séquences d'ouverture excellent à mettre en lumière le gouffre séparant initialement les deux protagonistes. Sans surprise, Kate Winslet et Leonardo DiCaprio incarnent avec une formidable intensité ces parents habités de certains rêves fantaisistes, alternant les confrontations ouvertes et les complicités sans trahir leurs compositions respectives. Ce sont néanmoins les interprètes secondaires, dans les rôles des quelques voisins et amis, qui réussissent le mieux à faire sentir l'anomalie que représentent les aspirations de ces « rebelles » ordinaires, pourtant bien mous selon nos standards contemporains. Uniformément justes, les contributions de Kathy Bates, Michael Shannon ou encore David Harbour donnent lieu à des instants de malaise et de vulnérabilité fort éloquents, et secouent le film lorsqu'il menace de se refermer sur ses deux titans.

Ceci étant dit, Revolutionary Road commet certaines fautes qu'un faible degré d'ambition ne saurait justifier. Car si le professionalisme léché de la réalisation ne lui fait pas pour autant négliger une certaine attention aux détails, celui du scénario le mène à des raccourcis suspects, qui trahissent la vraisemblance cultivée sans relâche par les interprètes. Sans aucun doute plus étoffés dans le roman d'origine, certains développements importants du récit sont esquissés beaucoup trop rapidement pour être crédibles ; c'est notamment le cas de la réaction du mari à la prestigieuse promotion qui lui est offerte, ainsi que d'un revirement central qui dirigera l'un des époux vers l'adultère. Il est probable que ceux-ci paraîtraient déjà moins fabriqués si le film n'insistait pas autant sur l'innocente fantaisie du couple avant de la démolir avec une certaine cruauté. Le scénario aurait peut-être aussi gagné à suivre l'exemple de cette autre adaptation qu'est l'excellent The Reader, à savoir une construction plus elliptique et des scènes moins longues, soulignant davantage le passage du temps que les moments individuels, moins appropriés à une chronique s'étendant sur plusieurs mois. Dans un autre ordre d'idées, certains éprouveront sans doute un malaise en assistant à la série de disputes violentes meublant le creux de l'intrigue ; moments où DiCaprio canalise avec le moins de subtilité le type de jeu agressif qu'il a développé auprès de Martin Scorsese. On remarquera néanmoins que la tension de ces séquences particulières s'accumule de façon logique et mesurée, tout en préparant le terrain pour la suite des choses de façon remarquable.

En effet, s'il passe près de chavirer à quelques reprises au cours de ses phases plus agitées, Revolutionary Road s'achève sur un acte concis et discret, d'une puissance dramatique aussi forte qu'intelligente. Contrastant avec le volume déchaîné des scènes précédentes, cette dernière partie est largement composée de tristesse tranquille et de silences à travers lesquels les personnages se révèlent ou se dissimulent une dernière fois. Ainsi, dans un dénouement rappelant celui du remarquable The Hours (également scénarisé par David Hare), le film applique le dernier tour à un discours féministe plutôt nuancé, soulignant le caractère exceptionnel de sa protagoniste sans pour autant réduire son partenaire masculin au statut de vulgaire tortionnaire. Certes, la ménagère interprétée par Kate Winslet aura su conserver son intégrité face à des circonstances peu avenantes, mais les auteurs font preuve d'assez de jugement pour faire entrer dans l'équation les tabous de la société du moment, ainsi qu'une part de hasard et de malchance n'ayant pourtant rien à voir avec le fameux destin tragique. Il est simplement dommage que dans leur portrait de ces marginaux de banlieue, ceux-ci ne semblent pas avoir cherché à brasser des sous-thèmes rarement abordés par le cinéma américain, ni à renforcer leur récit par une forme particulièrement recherchée, comme avait pu le faire Todd Haynes dans Far From Heaven. Au final, on retiendra donc Revolutionary Road pour son interprétation, texturée malgré une faible marge de manoeuvre, ainsi que pour son classicisme réfléchi, faisant habilement le pont entre le passé et le présent. Sans être le plus réussi de sa cuvée ou l'égal de American Beauty, il n'en demeure pas moins un drame autoritaire, compensant par des choix pondérés un certain manque de personnalité. Qui plus est, avec Away We Go, Sam Mendes a déjà remis la table en suivant un filon que l'on annonce quelque peu différent. Le temps nous dira s'il saura maintenir la cadence et s'imposer à nouveau comme un esprit fort en son domaine.




Version française : Les Noces rebelles
Scénario : Justin Haythe, Richard Yates (roman)
Distribution : Leonardo DiCaprio, Kate Winslet, Michael Shannon, Ryan Simpkins
Durée : 119 minutes
Origine : États-Unis, Royaume-Uni

Publiée le : 17 Juin 2009