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REGARDE LES HOMMES TOMBER (1994)
Jacques Audiard

Par Jean-François Vandeuren

Même s’il fut réellement révélé au grand public qu’au début des années 2000 avec ses sublimes fables urbaines Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté, Jacques Audiard laissait déjà paraître l’étoffe d’un grand cinéaste dès son premier long-métrage, Regarde les hommes tomber. Audiard mit d’ailleurs ses intentions en évidence dès ses débuts avec toute la précision et l’assurance qui allait plus tard faire sa renommée. Son cinéma serait à la fois accessible et méthodique. Tout a peut-être déjà été raconté, mais pas sous tous les angles. Le cinéaste français concentre ainsi ses efforts avant tout sur l’élaboration d’un scénario aussi détaillé qu’efficace plutôt que de s’adonner à la déconstruction. Un point qui ne l’empêche toutefois pas d’aborder les genres cinématographiques auxquels il s’intéresse sous un autre jour. Audiard réussit avec ce premier film à captiver son public en usant d’une mécanique bien connue de celui-ci, mais en suivant une toute autre dynamique, accordant beaucoup plus d’importance aux causes qu’aux effets en soi.

Le tout débute lorsque l’ami policier d’un vendeur dans la cinquantaine (Jean Yanne) est plongé dans un profond coma, blessé par balles alors qu’il était en filature. Considérant le jeune homme comme son fils et fatigué de voir les forces de l’ordre prendre l’affaire à la légère, il décidera de mener sa propre enquête afin de retrouver le ou les coupables. Subitement, le film nous ramène en arrière et nous présente deux itinérants, un vieux qui boite (Jean-Louis Trintignant) et un jeune un peu simple d’esprit (Matthieu Kassovitz). Nous suivons dès lors parallèlement leur ascension dans la société, l’aîné y allant de combines qui les mettront progressivement dans de beaux draps, et son nouvel acolyte qui, par défaut, semble préférer le droit chemin.

Entre les mains d’un autre réalisateur, Regarde les hommes tomber aurait sûrement été traité comme un suspense. Mais entre celles d’Audiard, le présent effort nous renvoie plutôt au drame et au côté humain des circonstances entourant les événements du récit. Audiard s’intéresse du coup à la relation père/fils pouvant lier deux individus issus de génrations différentes. Un sujet qu’il revisitera plus directement par la suite dans De battre mon cœur s’est arrêté. Effort qui reprendra d’ailleurs brillamment tous les thèmes récurrents de la filmographie d’Audiard, déjà mis en évidence ici pour la plupart, en ce qui a trait à la dépendance des êtres humains envers les autres et leur milieu, et aux influences devant déterminer qui nous serons une fois adultes. Ainsi, le film ne présente pas une facture où le mystère plane jusqu’aux tous derniers instants, mais le cinéaste français parvient malgré tout à rendre imprévisible et prenant le cheminement vers l’inévitable des trois principaux personnages en faisant de ces derniers le moteur de son intrigue.

Ce point se veut d'ailleurs l’une des grandes forces du cinéma de Jacques Audiard. Ce dernier y va toujours d'une caractérisation des plus minutieuses de ses différents personnages, les rendant bien souvent uniques, voire plus vrais que nature. Le tout est appuyé par une distribution extrêmement talentueuse qui révéla au public le jeu désarmant de Matthieu Kassovitz, complétant à merveille celui d’acteurs qui n’ont plus rien à prouver depuis longtemps, soit Jean-Louis Trintignant et Jean Yanne. La mise en scène d’Audiard fait part également d’une sobriété tout à fait exemplaire servant avant tout la progression de son scénario et de ses personnages. Il faut dire que les effets de style ne sont visiblement pas la tasse de thé du cinéaste français et ce dernier n’en a de toute façon aucunement besoin dans le cas présent. Le réalisateur se démarque également de par la manière dont il traite le non-dit et les éléments qu’il ne fait que suggérer par l’utilisation fréquente de l’ellipse, nécessaire dans ce cas-ci vue la progression parallèle des deux versants de l’histoire. Cette idée est d’autant plus supportée par un montage époustouflant. Les transitions entre les deux parties de l’intrigue s’avèrent d’une impressionnante fluidité et tiennent particulièrement du génie en fin de parcours, au moment où elles sont finalement ramenées à une seule et même temporalité.

Avec Regarde les hommes tomber, Jacques Audiard signe un premier effort annonçant avec force les choses à venir pour le cinéaste. Ce dernier n’élabore peut-être pas des récits très complexes dans leur forme, mais la richesse et la profondeur de sa mise en scène et de ses personnages lui permet malgré tout de signer des œuvres se prévalant d’une foudroyante efficacité dramatique. Le fils de Michel Audiard s’affiche ainsi comme un scénariste de haut niveau grâce à un récit formidablement soutenu, et un réalisateur dont le grand méthodisme lui assure déjà un contrôle tout bonnement hallucinant sur son univers filmique.




Version française : -
Scénario : Jacques Audiard, Alain Le Henry, Teri White (roman)
Distribution : Jean-Louis Trintignant, Jean Yanne, Matthieu Kassovitz, Bulle Ogier
Durée : 100 minutes
Origine : France

Publiée le : 14 Mai 2006