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RED ROAD (2006)
Andrea Arnold

Par Jean-François Vandeuren

Au Royaume-Uni, les faits et gestes d’un citoyen ordinaire sont captés par 300 caméras de sécurité en moyenne chaque jour. Cette surveillance omniprésente nous rapprochant un peu plus des inquiétudes soulevées par l’auteur Philip K. Dick dans A Scanner Darkly permit évidemment aux autorités britanniques d’édifier un système de prévention des plus efficaces. Ces dernières peuvent ainsi réagir plus rapidement face à certains incidents, remonter à la source pour en découvrir les causes et suivre à la trace le ou les responsables par la suite. Le boulot de Jackie (Kate Dickie) est justement d’effectuer la surveillance d’un quartier en particulier et d’aviser les services d’urgence au besoin. Un jour, elle reconnaîtra un individu sur l’un des moniteurs qui lui sont assignés. Un curieux hasard qui viendra littéralement chambouler son existence. Jackie commencera alors à épier et se rapprocher tranquillement de ce mystérieux individu, allant même jusqu’à s’infiltrer à l’intérieur de son appartement. À quelles fins exactement? C’est ce que nous devons découvrir…

L a cinéaste britannique Andrea Arnold ne nous rend toutefois pas la tâche facile, elle qui cache brillamment son jeu du début à la fin en nous révélant les points nécessaires à la résolution de son intrigue par bribes disparates qui eux-mêmes tendent à nous envoyer dans la mauvaise direction. Ce qui est clair par contre dès le début de Red Road est que nous avons affaire à une protagoniste ravagée par des événements passés dont elle ne s’est pas complètement remise. S’alimentant parfaitement des nuances du scénario d’Arnold, Kate Dickie livre une performance exceptionnelle. À la fois prenante et énigmatique, l’actrice donne vie à une héroïne solitaire, peu bavarde et désespérément à la recherche d’une nouvelle raison de vivre, mais dont l’esprit semble étrangement assoiffé de vengeance. La cinéaste illustre également cette tension par une mise en scène d’une froideur ahurissante par laquelle elle définie du même coup l’environnement urbain de son premier long-métrage comme une source de problèmes éloignant beaucoup plus les individus qu’elle ne les rapproche.

La réalisation à la fois rigide et méticuleuse d’Andrea Arnold impose un rythme réglé au quart de tour positionnant les enjeux dramatiques du récit dans une situation de constante évolution. La cinéaste dose d’autant plus parfaitement la quantité d’informations qu’elle laisse passer tout au long du film plutôt que de nous assommer d’une conclusion soi-disant spectaculaire devant compenser pour l’inefficacité d’un développement beaucoup trop opaque comme c’est parfois le cas dans ce genre de scénario. Chaque détail qui nous est révélé s’inscrit donc subtilement dans la dynamique de l’effort et appuie une logique se rapprochant davantage de la réalité, en particulier en ce qui a trait aux comportements des différents personnages et aux dialogues. Il devient alors de plus en plus facile de s’identifier à la protagoniste et à sa cause. Sans chercher à inspirer la pitié chez le spectateur, Arnold joue de finesse en formant une sorte de huis clos autour de l’état émotionnel de Jackie, lequel ne pourra au final qu’être sérieusement écorché. La cinéaste parvient ainsi à mettre sur pied un formidable débat sur l’autojustice en remettant sérieusement en question les actions de son sujet désormais guidés par ses instincts primaires et non son jugement. Arnold donne également une voix aux responsables de ce type d’événements tragiques en soulignant leur difficulté à réintégrer la société après coup sans avoir constamment à faire face au passé.

Comme pour A Scanner Darkly, la polémique entourant la démesure des systèmes de surveillance vers laquelle se dirige tranquillement l’occident alimente davantage la mise en contexte du scénario de Red Road que son discours. Bien qu’elle s’intéresse en partie au voyeurisme pouvant en découler, ce premier long-métrage d’Andrea Arnold ne cherche pas à questionner l’impact d’un tel réseau sur le droit à la vie privée de chaque individu. Arnold confère ainsi à sa protagoniste les traits d’une sorte de divinité veillant sur le bon fonctionnement d’un quartier, s'imprégnant du quotidien de certains de ses habitants dont les problèmes de la vie de tous les jours l’inspireront éventuellement à finalement faire avancer sa propre existence. Si la vie s’avère souvent trop fragile, il faut néanmoins apprendre à ne jamais laisser les moments plus difficiles avoir raison de nous. Une morale qu’Arnold présente de façon nuancée grâce à un récit d’une force dramatique hallucinante annonçant un avenir des plus prometteurs pour la réalisatrice déjà lauréate d’un Oscar pour le court-métrage Wasp.




Version française : -
Scénario : Andrea Arnold
Distribution : Kate Dickie, Tony Curran, Martin Compston, Nathalie Press
Durée : 113 minutes
Origine : Royaume-Uni, Danemark

Publiée le : 10 Novembre 2006