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THE QUEEN (2006)
Stephen Frears

Par Nicolas Krief

Comment réagi-t-on à la mort de la Princesse du peuple? De notre côté de l’Atlantique, dans cette belle province anti-monarchique qu’est le Québec souverainiste, plusieurs se sont contentés d’un simple «ah», ayant épuisé leurs réserves de larmes pour Marie-Soleil et Jean-Claude. Partout ailleurs sur la planète Terre, les peuples pleuraient à chaudes larmes la mort de la Princesse Diana. Sa participation à des causes humanitaires et son attitude de vedette rock lui ont valu la sympathie de millions de gens à travers le monde. Mais une si grande popularité a son lot de complications; avant Paris Hilton, c’était Diana Spencer la femme la plus chassée par les paparazzis. Ces derniers ont d’ailleurs joué un important rôle dans toute l’histoire de son décès, ils en sont très probablement la première cause. Cet accident de voiture fut probablement le plus médiatisé des années 90, car par sa faute, l’opinion publique, représentée par Tony Blair et son parti travailliste, fraîchement élu, s’est heurté aux traditions monarchiques de la Grande-Bretagne; s’en suivi une bataille entre la modernité et les traditions où tous les coups étaient permis.

L’œuvre de Stephen Frears (My Beautiful Laundrette, High Fidelity) décrit avec un immense souci d’authenticité les quelques jours qui suivirent la mort de la Princesse à l’intérieur du Buckingham Palace ainsi qu’au château de Balmoral (le Camp David de la Reine d’Angleterre). La Reine Elizabeth II, admirablement interprétée par Helen Mirren, essai tant bien que mal de faire régner un esprit de tradition dans une Angleterre qui, en élisant avec une écrasante majorité le Labour Party de Tony Blair, semble se diriger vers la voie de la modernité. Toute la dramatique de ce docu-fiction est axée sur l’affrontement que se livrent sa Majesté et le premier ministre, l’affrontement entre le confort des coutumes et l’égalité sociale qu’on associe au progressisme.

Au-delà de cette bataille, il y a le message que Frears nous livre; nous sommes tous fais de chair et se sang. Derrière la couronne, le château et les simagrées qui semblent un peu désuètes, derrière cette allure hautaine et ce regard froid se cache une femme complètement dépassée par les événements. Elisabeth Windsor est l’un des derniers représentant de l’Angleterre monarchique; l’arrivée d’un parti de gauche au pouvoir dans son royaume va à l’encontre de ses valeurs et met en péril sa crédibilité en tant que souveraine. La mort de Diana lui fait rendre compte que le monde a changé et que les valeurs qu’elle représente sont en train de s’éteindre peu à peu. Le peuple manifeste ouvertement son désaccord avec l’attitude qu’adopte la royauté face au décès de Diana et acclame son premier ministre qui confronte la Reine en déclarant des funérailles publiques. Le profond désir de la Reine étant d’assurer le bien-être de sa famille et de ses sujets, celle-ci a beaucoup de difficultés à comprendre les critiques qu’on lui envoie de toute part, elle croit savoir exactement ce que le peuple britannique désire, mais se rend compte qu’elle se trompe et s’en trouve énormément affaiblie. Stephen Frears a voulue dresser le portrait d’un être humain, et il a très bien réussi.

Les personnages du film représentent évidement tous des valeurs, mais au lieu de rester ancrer dans une froide allégorie de la politique britannique, Frears réalise, au-delà des institutions, un film profondément humain sur des gens qui ont un lourd poids sur les épaules dû à leur titre ou leur rang. Jamais on ne verra la Reine pleurer, jamais on ne la verra embrasser son mari, et pourtant, la reine pisse! On voit aussi chez Tony Blair un côté humain que sa récente alliance avec le Président Bush nous a fait oublier. Blair joue le rôle du médiateur entre la royauté et le peuple, dont il est le représentent élu. C’est un rôle qu’il n’a pas choisi et qui est difficile à jouer pour un jeune premier ministre tout juste remis de sa victoire électorale; il a un évident respect pour la Reine, mais les valeurs qu’il représente l’obligent à lui faire face, afin d'affirmer son autorité de chef du gouvernement et d’intégrer du progrès dans le pays. Cette tâche est d'autant plus difficile car les personnages qui gravitent autour de lui sont en majorité contre les valeurs traditionnelles qu’incarne la Reine et poussent le jeune chef d’état à contredire cette dernière.

Stephen Frears utilise beaucoup d’archives télévisuelles, les combinant à des images fictives tournée dans un style télé; il signe un film aux qualités réalistes plutôt irréprochables. À part quelques beaux plans de paysages, la photographie est sobre mais très efficace; Frears film de façon à ce que jamais on ne se sente voyeur. Mais The Queen est d’abord une prouesse scénaristique; Peter Morgan a transformé avec brio ce fait divers en une fiction documentarisée et réussi à aborder plusieurs thèmes sans ajouter de longueurs inutiles. Dans la forme comme dans le contenu, The Queen est un digne descendant de la lignée du Free-Cinema.

D’abord un film de concours, The Queen est vite devenue un succès commercial, et avec raison, car tous les gens ayant suivi avec attention cette affaire ont retrouvé dans ce film l’autre côté de la médaille, ce que les médias n’ont pas montré durant cet été de 1997. La performance d’Helen Mirren a beaucoup aidé à la popularité du film; elle est en effet remarquable et mérite franchement son Oscar. Notons que la présence de James Cromwell, qui joue encore une fois un vieux grincheux conservateur, est très réjouissante.




Version française : Sa Majesté la reine
Scénario : Peter Morgan
Distribution : Helen Mirren, James Cromwell, Alex Jennings, Roger Allam
Durée : 103 minutes
Origine : Royaume-Uni, France, Italie

Publiée le : 19 Juin 2007