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POULTRYGEIST : NIGHT OF THE CHICKEN DEAD (2007)
Lloyd Kaufman

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Sorte de croisement entre Hershell Gordon Lewis et Mel Brooks, Lloyd Kaufman est un véritable roi de la série B depuis la sortie en 1985 du classique culte The Toxic Avenger. D'abord producteur, il deviendra dans les années subséquentes réalisateur, malgré son absence totale de talent dans le domaine; Kaufman est surtout génial promoteur de son propre univers et maître incontesté des économies budgétaires en tous genres. Volontairement minables, ses films fonctionnent essentiellement parce qu'ils se plient sans résistance aux exigences d'un certain public tout en refusant systématiquement de se prendre au sérieux. Ce mauvais cinéma qui s'assume en tant que tel propose au goût de certains l'ultime remède à la nullité insidieuse de productions dont l'esthétique léchée cache une morale souvent répugnante: c'est l'indigestion à ciel ouvert d'une industrie qui entretient depuis longtemps le culte de la violence sous le couvert d'un bon goût hypocrite et trompeur. Le produit Troma - car il s'agit sans conteste d'un produit, assemblé selon certains paramètres fixes - parodie les conventions narratives hollywoodiennes dans le contexte d'un spectacle aussi grotesque que grossier. Kaufman et ses troupes se vautrent fièrement dans les égouts de la culture populaire, multipliant les blagues douteuses au service d'un second degré honnête mais peu nuancé. Le fruit de leur labeur survolte les initiés, laisse une bonne partie du public normalement constitué de glace, et choque profondément quelques bien pensants qui ne pigent strictement rien à l'exercice.

Poultrygeist: Night of the Chicken Dead est le nouvel avorton hideux et hautement corrosif de Lloyd Kaufman. Que peut-on dire de plus au sujet de ce film? S'agit-il de la première réalisation exemplaire du célèbre tâcheron? Non. A-t-on affaire à un scénario ingénieux, aussi étonnant qu'inspirant? Certes pas. Les coeurs sensibles à la recherche du prochain Fabuleux destin d'Amélie Poulain seront-ils enfin comblés? Puisqu'à toutes ces questions bidon la réponse est « non », et puisque ceux qui tiennent en horreur ce cinéma ordurier ont sans doute cessé de lire ce texte depuis quelques phrases déjà, passons directement aux choses sérieuses. À défaut d'être ce qu'il n'aspire pas de toute façon à devenir, Poultrygeist sustente avec une générosité de buffet chinois les appétits qu'il cherche à combler: l'humour très gras y vole très bas tandis que les portions de gore juteux s'y font copieuses à souhait. Exception faite des effets spéciaux, la technique y est tout aussi déplorable qu'à l'habitude. Bref, Kaufman est égal à lui-même, c'est-à-dire qu'il explore les bas-fonds de l'exploitation avec enthousiasme à défaut de le faire avec classe.

Lorsqu'une chaîne de restauration rapide servant du poulet frit construit sa succursale de Tromaville sur le site d'un ancien cimetière amérindien, elle s'attire non seulement les foudres de manifestants de tous les acabits mais déchaîne aussi une malédiction ancestrale. Bientôt, clients et employés se mettent à mourir dans de suspectes circonstances, déchiquetés par des broyeurs à viande ou dévorés par des poulets crus. Le « Général », propriétaire de l'entreprise et descendant d'une fière lignée de membres du Ku Klux Klan, désigne d'emblée comme coupable attitrée son employée musulmane; mais lorsque le problème de possession s'étend à l'ensemble de la population et que les incidents isolés virent à la pandémie de grippe aviaire carabinée, c'est sa nourriture aux critères sanitaires discutables qui est à placer sur le banc des accusés. Mais il est déjà trop tard, et une horde de voraces zombies-poulets investit le commerce maudit pour venger l'esprit bafoué des premières nations.

Sans conteste, les jouissives trente minutes de carnage démonstratif qui viennent clore Poultrygeist dans un coup d'éclat constituent le point fort d'un film qui démarre sous forme de critique sociale facile et puérile. Durant le premier tiers de son film, Kaufman ridiculise l'Amérique - qu'elle soit corporative, profonde ou libérale - à grand renfort de numéros musicaux aussi exubérants qu'aberrants. Malheureusement, ce segment qui rappelle, sans en égaler l'intelligence caustique, les élans créatifs du plus célèbre des protégés de Kaufman, Trey Parker, souffre de quelques longueurs déplorables. L'humour de Poultrygeist est constamment déplacé, mais il n'est pas systématiquement drôle. Il s'agit plus souvent qu'autrement d'une espèce de compétition, de pari relevé dans le but de découvrir jusqu'où peuvent être repoussées les frontières de l'absurde et de l'abject. À cet effet, le film s'avère d'une ignominie exemplaire. Reste à savoir si c'est là votre tasse de thé.

Tout comme le faisait The Toxic Avenger, Poultrygeist met en scène le triomphe du marginal sur sa condition sociale par l'entremise d'une parodie, plutôt décalée, des ficelles de la dramaturgie hollywoodienne classique. Ses héros sont les laissés pour compte et les souffre-douleur du rêve américain. Kaufman a ce mérite, essentiel à son succès, de comprendre parfaitement son public. Le cinéaste se fait complice des vices de son auditoire parce qu'il partage ses travers et ses aspirations. Car, derrière sa façade répugnante, ce cloaque cinématographique abrite une humanité certaine, peu conformiste mais authentique, à l’opposé des bons sentiments académiques et fabriqués proposés par un certain cinéma de masse américain. Il est facile de critiquer au premier degré ce spectacle bancal et offensant, mais toutefois impossible de nier la dévotion de Lloyd Kaufman à la cause de la production indépendante. Poultrygeist est la fière continuation de cette vision atypique, la preuve incarnée qu'il est possible d'ériger un empire de la distribution sans capituler aux pressions des majors et sans cajoler les sensibilités modérées de la majorité. En ce sens, cette fable odieuse mais parfaitement ludique est une nouvelle manière pour Kaufman d'affirmer que la réussite n'est qu'une affaire de volonté... et de réaffirmer son propre mythe par la même occasion.




Version française : -
Scénario : Daniel Bova, Gabriel Friedman, Lloyd Kaufman
Distribution : Jason Yachanin, Kate Graham, Allyson Sereboff, Robin L. Watkins
Durée : 100 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 24 Juillet 2007