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PLOY (2007)
Pen-Ek Ratanaruang

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Présenté dans la section Temps ø de l'édition 2006 du FNC, le dernier film de Pen-ek Ratanaruang Invisibles Waves n'a malheureusement pas fait l'unanimité auprès du public. Tandis que certains accusaient le réalisateur thaïlandais de sombrer dans la mystification par l'abstraction, d'autres qualifièrent l'exercice de bête répétition de son populaire Last Life In The Universe. Pourtant, le film - au par ailleurs excellent - confirmait l'émergence d'un auteur à part entière, à la fois maître de la subversion des genres et détenteur d'une signature stylistique éminemment personnelle. Aux antipodes de la cacophonie exubérante caractérisant le cinéma de son pays natal, Ratanaruang revendique un cinéma lent, du vide et de l'intériorité, qui n'est pas sans rappeler celui d'Antonioni. Ses personnages sont généralement en transit, à la dérive même, et ses histoires situées dans des espaces impersonnels et intemporels - voire en mouvement. Tout comme dans le cinéma du regretté maître italien, le couple est une cellule en érosion; dans Ploy, un personnage va même jusqu'à affirmer que l'amour se bute à une date de péremption - indéfinie mais inévitable.

Bien qu'il s'éloigne de l'errance formelle et thématique d'Invisible Waves, Ploy s'avère l'hommage le plus senti qu'a dédié Ratanaruang à l'héritage d'Antonioni. C'est aussi son film le plus confus à ce jour, sa trame narrative bifurquant au cours du dernier acte vers une sorte de polyphonie contradictoire dont les conclusions sont au mieux ambiguës. Dissolution du couple, amour platonique, violence sexuelle et passion charnelle: Ploy se déploie entre ces pôles sans vraiment dresser de parallèles intellectuels durables. Le double vide du film est à la fois existentialiste et cinématographique: à mi-chemin entre la volupté physique de Wong Kar-Wai et le coma émotif du Lost In Translation de Sofia Coppola, le film de Pen-Ek Ratanaruang ne visite que les lieux communs de la réflexion de ses contemporains sur l'état du sentiment amoureux avec, néanmoins, une verve visuelle indéniable. Accomplissement avant tout esthétique, Ploy réaffirme la capacité de Ratanaruang à tisser de manière formellement exquise ses récits; le son image et l'image affichent chez lui une remarquable flexibilité, se fondant en des raccords fins et inventifs. Encore faut-il trouver des idées à lier si habilement.

À ce niveau, le cinéaste Thaïlandais nage cette fois en eaux troubles. Son propos s'avère diffus, Ploy évoquant ce malaise indéfini, généralisé, à la limite total, qui semble hanter l'homme de la modernité. Ratanaruang y filme une impasse que même l'expression de ses plus déchaînés fantasmes n'arrive pas à oblitérer; son érotisme demeure éphémère et désincarné, même lorsqu'il s'exulte jusqu'à se chanter gaiement post-coït comme dans un film de Tsai Ming-Liang. Dans ce film où s'entremêlent tous les sentiments, des plus violents aux plus contemplatifs, l'homme n'est plus qu'un corps trouble véhicule de toutes les confusions. Or, cette mise en image très clinique du désarroi humain ramène finalement à cette question: qu'est-ce que l'héritage d'Antonioni pour Ratanaruang? Pour quelles raisons reproduit-il son esthétique du néant, de même que l'effacement de la narration propre à son oeuvre?

En les croisant à une facture publicitaire léchée, peut-être que Ratanaruang actualise les angoisses philosophiques des personnages de L'avventura en fonction de son époque. Si les individus, chez Antonioni, se définissaient par leur rapport à l'environnement, ceux de Ploy marquent le spectateur par leur relation aux objets: Wit (Pornwut Sarasin) est un paquet de cigarettes Lucky Strike écrasé que fixe un moment la caméra avant de le suivre jusqu'au bar de son hôtel, où il rencontre la jeune Ploy (Apinya Sakuljaroensuk). Elle, c'est un iPod dont la musique envahit l'espace jusqu'à englober dans sa bulle auditive le spectateur lui-même. Puis ce sera un collier portant son nom, qui lui est volé. Peut-être ce malaise indéfini planant sur le film est-il la conséquence indirecte d'une individualité fondée sur l'objet, comme l'avance dans Le système des objets le penseur Jean Baudrillard: « Dans l'acte de consommation personnalisée, il est clair que le sujet dans son exigence même d'être sujet, ne fait que se produire comme objet de la demande économique. » (Jean Baudrillard, Le système des objets, 1968, Gallimard, p. 213)

Mais tout ce que permet Ploy, c'est d'élaborer des théories, de débattre sur des possibles hypothétiques à la crédibilité douteuse; la conclusion du film situe le spectateur au coeur d'une crise qui, à la limite, semble trahir un réel manque d'idées de la part du réalisateur-scénariste. Les excentricités de sa mise en scène y semblent gratuites, tout comme ce repli de dernière minute vers la violence qui se justifie difficilement. La sensibilité de Ploy est visuelle, donc réellement cinématographique: ses meilleures images possèdent une force d'expression pure qui vaut réellement mille mots, que ce soit cette femme brisée dont le corps repose entre fragments de mannequins et de poupées ou cette jeune fille au regard perdu quelque part entre rêverie et réalité. Mais, au-delà de ces instants, que reste-t-il de ce film confus? Oeuvre sur la tentation, le désir et la jalousie, l'envoûtant Ploy se perd de belle manière sans pour autant égaler Invisible Waves, son humour insolite et ses fascinants revirements moraux. Grosso modo, Ratanaruang se retrouve cette fois dans une situation analogue à celle de ses personnages: situé à un carrefour, plongé dans l'incertitude, prisonnier d'une certaine matérialité.




Version française : -
Scénario : Pen-Ek Ratanaruang
Distribution : Ananda Everingham, Lalita Panyopas, Porntip Papanai, Pornwut Sarasin
Durée : 105 minutes
Origine : Thaïlande

Publiée le : 29 Octobre 2007