A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

NUIT NOIRE (2005)
Olivier Smolders

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Croisement insolite entre l'étouffante claustrophobie kafkaïenne de Cronenberg et l'onirisme sombre de Lynch, Nuit noire du Belge Olivier Smolders se distingue au sein de l'imprévisible volet Temps Zéro du Festival du nouveau cinéma de Montréal, consacré au «cinéma en mutation» donc expérimental, comme une oeuvre d'une maitrise formelle exceptionnelle. Cinéma de sensations, d'abord, ce festin visuel troublé auquel nous convie Smolders envoute d'abord les sens par sa surface opaque et intrigante à souhait avant de nous plonger dans un casse-tête symboliste déstabilisant et obsédant. Auquel, il faut bien l'admettre, on ne sait trop s'il manque quelques pièces même après la projection. Mais tout comme certains films de Lynch dont la substance est, de l'aveu même du réalisateur, insaisissable, Nuit noire captive parce qu'il joue pernicieusement avec notre esprit alors même que le rêve inquiétant se transforme dans notre esprit comme à l'écran en un fascinant cauchemar métaphysique ouvertement inspiré par L'heure du loup de Bergman.

De toute évidence, Nuit noire est ce genre d'oeuvre qui passionne les sémiologues amateurs mais laisse de glace les cinéphiles qui cherchent un cinéma qui répond plutôt qu'un cinéma qui pose. Alors que les premiers s'extasieront devant la richesse de ce premier long-métrage de Smolders, petit prodigue du circuit du court-métrage passant ici au stade supérieur, les seconds iront au bout d'une heure fabriquer leurs propres rêves dans les bras de Morphée. On peut déjà imaginer ce conflit animé entre les deux camps: d'un bord, ce contingent de cinéphiles qui défendra corps et âme le film de Smolders pour son atmosphère dense et son imagerie fouillé, de l'autre, ceux qui collerons au réalisateur l'étiquette d'obscurantiste charlatan prétentieux post-peu-importe.

Ce qui serait franchement injuste. Le travail d'orfèvre du directeur photo Louis-Philippe Capelle qui exploite le plein potentiel du numérique haute définition, un rythme engourdissant sa proie pour mieux la happer, un univers sonore imposant à la manière Lynch, une direction artistique détaillée et imaginative: tous ces éléments s'additionnent pour créer une expérience cinématographique unique franchement envoutante. Mêlant les obsessions entomologiques de son personnage principal à un amusant parti pris pour les références à l'univers bien connu de la bande dessinée belge, Nuit noire enchaine les visions fantastiques ou glauques et organiques à des situations plus absurdes pour créer un climat perpétuel d'incertitude voire d'inquiétude inconfortable. Sans jamais sombrer dans le piège des conventions, Smolders arrive subtilement à créer une tension malsaine qui éclate soudainement avec la détérioration de l'état d'esprit du personnage principal.

Mais au fait, ça raconte quoi ce truc? L'histoire de l'employé d'un musée d'histoire naturelle qui retrouve en revenant du boulot une femme noire enceinte dans son lit. Obsédé par son passé, psychanalysé par un thérapeute biscornu dont les méthodes auraient été des plus appropriées dans un film de Jeunet et Caro, cet homme vivra par l'entremise de cette femme enceinte mourante une expérience de maternité bizarre qui aboutira à sa renaissance sexuelle. En ajoutant à cela une multitude de références à la colonisation du Congo, le film de Smolders devient un potpourri d'idées et de sensations. Une rencontre entre la chaire et l'intellect que le cinéaste désire que l'on interprète de manière personnelle, en comblant à notre guise ces espaces qu'il a laissé volontairement flous dans sa narration flottante et élastique.

Bref, Nuit noire est le genre de mosaïque d'idées que l'on assemble dans toutes les configurations possibles ou que l'on abandonne par manque de patience. Un casse-tête en effet assez ardu, dont les divers morceaux sont cependant si luxuriants que l'on peut se fasciner sur leur beauté individuelle un bon bout de temps, sans même chercher à compléter le portrait qu'il suggère. Ce premier long-métrage d'Olivier Smolders compte parmi les meilleurs essais cinématographiques surréalistes des dernières années. Que les principaux intéressés se le disent.




Version française : -
Scénario : Olivier Smolders
Distribution : Fabrice Rodriguez, Yves-Marina Gnahoua, Marie Lecomte
Durée : 90 minutes
Origine : Belgique

Publiée le : 22 Octobre 2005