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MY WINNIPEG (2007)
Guy Maddin

Par Alexandre Fontaine Rousseau

«Le cinéma canadien se résume aux oeuvres d'Atom Egoyan et de David Cronenberg», profère-t-on souvent à la blague. Quoique toute bonne farce ait son fond de vérité, on oublie souvent d'ajouter à cette boutade le nom de Guy Maddin; le cinéaste manitobain, pourtant, défend une vision férocement originale du septième art depuis la fin des années 80. Anachronisme et modernité, ces deux pôles en apparence dichotomiques s'interpellent et se répondent depuis l'excentrique Tales From The Gimli Hospital de 1988. Ce premier long-métrage, déjà, révélait la fascination de son auteur pour la fable ainsi qu'un parti pris formel en faveur d'esthétiques vétustes empruntées à l'ère du muet. Maddin s'attira des comparaisons, alors fort méritées, au David Lynch d'Eraserhead. Mais son surréalisme était d'abord teinté d'une profonde nostalgie pour une époque révolue, animé par un amour dévoué pour Buñuel, Lang et Murnau. Au fil des ans, c'est ce romantisme un tantinet dérangé qu'il a cultivé; Maddin serait analogue en plein coeur d'un monde numérique, et ses films autant de bricolages issus d'un passé imaginé et idéalisé.

Documentaire sans vraiment l'être, My Winnipeg est une manière pour ce cinéma extra-terrestre de prendre racine dans le réel. Maddin n'y sacrifie aucunement l'étrangeté qui a fait sa réputation; il se contente d'ancrer sa fantaisie dans un cadre physique moins insulaire. Mais la notion de réel, chez Maddin, n'est pas que simple correspondance aux faits. Il s'agit plutôt d'une forme d'intégrité psychologique, selon laquelle le mythe et le mensonge peuvent être plus « authentiques » que la réalité historique. En ce sens, le regard documentaire devient pour Maddin une supercherie de plus dans le grand théâtre de l'existence; son exercice est auto-mythologique, un peu comme lorsque Werner Herzog relate sa relation avec Klaus Kinski dans My Best Fiend à grand renfort de bluffs délirants. Les fabulations se mêlent à la fidélité, l'imagination devenant le laboratoire où se fabrique un canular dont la justesse est métaphorique. L'exercice de la vérité y devient l'organisation de l'abstrait en un concret purement subjectif, parfois faussé pour les besoins de la cause; mais la manipulation, chez Maddin, a le mérite d'être admise, exagérée même.

Ce qu'affirme Guy Maddin avec son plus récent film, c'est que chaque homme est la somme des lieux qu'il a habité. À mi-chemin entre le documentaire expérimental et le film personnel, l'hommage qu'imagine le Canadien à sa ville natale s'affaire à dresser le portrait parfaitement subjectif du bout de pays réputé le plus plate de la Confédération. Détails géographiques élevés au rang d'allégories et potins historiques sulfureux ou simplement étranges s'agglomèrent autour de l'intimité et de l'enfance de Maddin. Le cinéaste et sa ville ne font alors plus qu'un par l'entremise d'un puissant lien charnel, rapport exacerbé par un montage qui semble épouser le mouvement fiévreux de l'esprit. Or, l'auteur atteint par l'entremise de ce cheminement individuel - qui semble parfois tenir de l'exorcisme personnel - une forme de vérité universelle. Comme si, à force d'exposer détails autobiographiques et anecdotes régionales, My Winnipeg révélait ce qui - en la distinguant - connectait cette ville à toutes les autres du monde: l'esprit des lieux, la mémoire des édifices, l'historicité immanente.

Histoires personnelle et collective s'entremêlent ici, existant en-dehors de toute chronologie conventionnée. Hilarant, le film tisse une toile de récits dont la folie jouissive est cumulative, construction narrative éclatée qu'accentue sa forme hybride. Les anecdotes se contaminent mutuellement au fur et à mesure que le portrait progresse et devient plus dense, que la mémoire de Maddin se fond à celle de Winnipeg. Le cinéaste contemple ici sa ville natale comme s'il s'agissait d'un gigantesque miroir, mais le « Je » reflété est hanté par un passé qui le dépasse. Images d'archives et séquences fantasmatiques se confondent, et l'Histoire devient fondation de l'identité. Au fond, c'est en-dehors de lui-même que Maddin se cherche d'abord. Mais sa quête le pousse aussi à confronter son propre passé en le reconstituant. Dans cet exercice, la tragédie côtoie au bout du compte la comédie burlesque.

En cette époque de mondialisation où s'accomplit selon plusieurs la prophétie du «village global» de McLuhan, Maddin se pose donc une fois de plus en tant qu'artiste anachronique - peintre régionaliste à l'époque d'une pensée internationale, comme il était jusqu'alors illusionniste à une époque où le réalisme devient Dogme. Maddin façonne un monde si subjectif qu'il en devient objectif, aux élans dramatiques si épiques qu'ils se transforment en gigantesque farce. À un premier degré, le spectateur ne peut qu'être amusé par cette ribambelle d'anecdotes livrées avec un enthousiasme dément. Toutefois, c'est la lucidité toute personnelle du film qui marque le plus. Un instant, le spectateur croira que Winnipeg est l'endroit le plus excitant - le plus singulier - sur Terre. Mais, au fond, Maddin prouve surtout que c'est le regard que l'on pose sur les choses qui en définissent l'essence. En ce sens, chacun a «son Winnipeg», en plein coeur des Prairies ou ailleurs; reste à le protéger de ces forces extérieures qui veulent détruire le passé, au profit non pas de l'avenir mais d'un présent fort précaire. Cette menace, clairement articulée par le dernier tiers du film, est la triste vérité universelle que craint avec raison ce cinéma de l'individu.




Version française : -
Scénario : Guy Maddin, George Toles
Distribution : Darcy Fehr, Ann Savage, Amy Stewart, Louis Negin
Durée : 80 minutes
Origine : Canada

Publiée le : 26 Novembre 2007