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MO' BETTER BLUES (1990)
Spike Lee

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le jazz est un art merveilleux capable de saisir la vie en mouvement. Le dialogue entre musiciens qu'implique l'improvisation est un instant présent fugace, à l'instar des grands moments de la vie que s'applique à célébrer avec candeur Mo' Better Blues. Gringalet excentrique aux allures de blague ambulante, le jeune Spike Lee allait sérieusement altérer le paysage cinématographique américain et donner à la minorité majeure du pays une voix aussi forte qu'unique sur la place publique. Suite à Do The Right Thing, une chronique plus sérieuse abordant le thème complexe des tensions ethniques, le réalisateur décide pour marquer son arrivée dans la ligue majeure du cinéma par l'entremise d'une comédie romantique pétulante sur les troubles amoureux d'un trompettiste égocentrique (Denzel Washington) et sur les tensions qu'installe au sein de son groupe les ambitions d'un saxophoniste arrogant (Wesley Snipes).

Marquant le début de la fructueuse collaboration entre Lee et Washington, le généreux Mo' Better Blues est une oeuvre visuellement inspirée dont l'enthousiasme débonnaire arrive à éclipser les quelques lacunes dont souffre son scénario. À vrai dire, Mo' Better Blues ne s'efforce pas de raconter une histoire mais plutôt d'épouser la forme d'une vie. Débutant en 1969 sur des images de la jeunesse de son personnage principal, Lee va jusqu'à boucler la boucle en étirant son film jusqu'à l'enfance du fils de celui-ci. De toute évidence, le créateur est en amour par-dessus la tête avec ses créations. Tant et si bien qu'il est prêt à sacrifier le rythme de son film pour passer un peu plus de temps en leur compagnie.

Cette habitude chaleureuse que Spike Lee a de garder des scènes que d'autres auraient coupées au montage joue en sa faveur à titre d'auteur tout en brouillant l'efficacité de ses films. C'est grâce à celles-ci que nous nous attachons fermement aux personnages que dépeignent ses histoires, mais cet attachement se crée au profit d'un rythme implacable que pourrait imposer un réalisateur de la trempe de Lee. Techniquement aguerri, le cinéaste afro-américain maîtrise sa caméra avec un aplomb époustouflant. Il filme de tous les angles possibles ses protagonistes et déplace sans cesse sa caméra. Ses mouvements amples sont à la fois choix esthétique et impact viscéral. On sent l'influence du vidéoclip sur la forme du cinéma de Spike Lee, mais le réalisateur intègre cette inspiration visuelle à un langage filmique éloquent.

Exploitons un instant ces clichés médiatiques qui ont coller à la peau de Lee à ses débuts. Son cinéma est jeune et dynamique, cool et branché en plus d'être fièrement afro-américain. La facilité de ces formules reflète tout de même le côté direct de même que le vent de fraîcheur que faisait souffler sur une industrie en mutation le jeune homme de Brooklyn. En fait, le succès de Spike Lee est extrêmement représentatif de ce mouvement culturel américain du début des années 90 tendant à valoriser les minorités de toutes sortes afin de consolider la grande ouverture d'esprit célébrée par la rectitude politique excessive. Mais Spike Lee, pour sa part, rejette avec humour la rectitude politique. L'hilarant personnage de Juif radin qu'interprète ici John Turtorro le prouve avec brio.

Heureusement pour nous, l'oeuvre de Spike Lee a survécu à l'épreuve du temps bien quelle soit généralement associée à l'esprit - et aux couleurs flamboyantes - de son époque. On aura beau à tout bout de champs tirer à bout portant sur cette idéologie vaguement hypocrite qui faisait de l'acceptation propre et souriante de la différence une priorité sociale primordiale, il faut savoir faire la part des choses. L'expression multiculturalisme n'est pas réservée aux tenants de l'unité canadienne, et l'arrivée de Spike Lee dans le paysage cinématographique aura permis d'enlever au cinéma noir sa connotation d'exploitation propre aux années 70. Le temps de Shaft et de Superfly est révolu. Avec Spike Lee, le cinéma afro-américain sort de l'enfance et atteint l'âge adulte.

Bien sûr, Mo' Better Blues est loin d'être le meilleur film de son auteur. Mais par sa célébration vibrante du jazz, de l'amitié et de l'esprit de communauté qui unit les gens d'une même culture, le quatrième film de Spike Lee poursuit dans la joie et l'allégresse une oeuvre consacrée aux richesses des cultures distinctes. Appuyé par une direction photo des plus soignées, Spike Lee signe un film par définition secondaire et légèrement frivole. N'en demeure pas moins que cette histoire d'amour sur fond de musique confirme le talent d'un réalisateur capable de nous captiver même lorsqu'il ne se penche pas sur les grandes questions de la vie. Mais, entre nous, comment un film superposant l'immortelle Acknowledgement de John Coltrane à la naissance d'un enfant pourrait-il être raté?




Version française : -
Scénario : Spike Lee
Distribution : Denzel Washington, Spike Lee, Wesley Snipes, Giancarlo Esposito
Durée : 130 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 7 Avril 2006