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THE MILLION DOLLAR HOTEL (2000)
Wim Wenders

Par Jean-François Vandeuren

Comme plusieurs artistes issus du monde de la musique, Bono décida un beau matin de faire du cinéma. Mais à l’opposée des stars du rap et de la pop commerciale tenant absolument à jouer les acteurs, c’est plutôt en tant que scénariste que le leader de la légendaire formation U2 décida de faire son entrée dans le septième art. Chose certaine, ce Million Dollar Hotel aura fait couler beaucoup d’encre, mais malheureusement pas pour les raisons que Bono espérait. La critique parla d’un Wim Wenders raté, d’une œuvre d’un ennui mortel. Même Mel Gibson, dont la maison de production Icon appuya le projet, tenta de se dissocier du film en affirmant qu’il s’agissait d’un navet. Il y a pourtant beaucoup de matière à puiser d’un tel effort. Les amateurs de films se basant avant tout sur le développement d’ambiances langoureuses seront conquis d’avance. Le plus intéressant dans ce cas-ci demeure par contre la façon dont Wenders se servit de ce point pour articuler les nombreuses thématiques des écrits de Bono et Nicholas Klein.

S’étant inspiré de l’hôtel du même nom où U2 tourna le clip pour la chanson Where the Streets Have No Name, Bono et Klein nous racontent ici les événements suivant la mort du fils d’un riche homme d’affaires dans un hôtel miteux de Los Angeles. Un agent du FBI est envoyé sur les lieux afin de trouver le responsable de ce que le père de la victime croit être un meurtre. Le détective en question devra alors faire son chemin à travers une horde d’individus plus étranges les uns que les autres. De leur côté, ceux-ci tenteront de profiter d’un « buzz » médiatique qui se créa autour du défunt, à qui l’on attribua par erreur la création d’une série d’œuvres d’art. Un malentendu qui pourrait bien rapporter aux locataires de l’hôtel une petite fortune.

Évidemment, The Million Dollar Hotel est ce que l’on pourrait appeler un film de personnages, à partir duquel Wenders livre un somptueux témoignage sur l’errance. Celui-ci est guidé par la narration en voix off plutôt simplette, mais on ne peut plus appropriée, de la part du personnage de Tom Tom, (Jeremy Davies). Mais le cinéaste d’origine allemande s’attaque plus particulièrement à travers cet univers dérangé au rôle et au pouvoir que possède les médias face à ce que la population considère être la réalité. Un contrôle impliquant évidemment l’omission et la modification de certains détails d’une histoire avant que celle-ci ne devienne un fait irréfutable, une fois diffusée sur les ondes. Klein et Bono profitèrent également de l’occasion pour élaborer un coup sanglant envers la façon dont l’art en général est jugé. Wenders traita malgré tout cet ensemble avec énormément de retenue, voir même d’une manière que l’on pourrait qualifier de bon enfant, encore une fois par le biais de Tom Tom.

Un film de ce genre implique forcément une distribution des plus solides, et The Million Dollar Hotel ne fait aucunement exception à la règle. Jeremy Davies incarne le personnage on ne peut plus passif auquel il nous a habitué en lui conférant un caractère quelque peu déjanté pour en faire l’une des meilleures interprétations de sa carrière. Milla Jovovich en profita pour mettre en évidence ses réels talents d’actrice, alors que Mel Gibson sortit provisoirement de son éventail habituel de rôles qu’il trimbale depuis plus de vingt ans. Mais on se souviendra avant tout du jeu inimitable de Peter Stormare qui ajouta une corde de plus à son arc déjà bien garni. Ce dernier interprète dans le cas présent un individu croyant être le cinquième Beatles en imitant John Lennon à s’y méprendre.

Évidemment, un projet où Bono participa à l’écriture signifiait la présence de quelques nouvelles chansons de U2. Il faut dire que le groupe irlandais et Wim Wenders collaborent depuis un bon moment déjà, ce dernier aimant bien garnir ses œuvres de pièces du répertoire de la bande à Bono. Et l’occasion ici était rêvée puisque le sens narratif du film se veut extrêmement dépendant de la musique, atteignant bien souvent le statut de science tellement la symbiose entre les deux médiums est parfaite lors de certaines scènes. En particulier la séquence d’ouverture qui brille de par la virtuosité de la mise en scène de Wenders et du caractère, à la fois simple et surréaliste, qui lui est conféré. Une idée par rapport à laquelle la musique joue encore un rôle primordial, nous proposant un mélange d’ambiant, de jazz, en plus de chansons figurant parmi ce que U2 a fait de meilleur en dix ans. En terme d’ambiances, l’effort ne se tient pas si loin de ce que le cinéma asiatique peut nous offrir de temps à autre, mais dans un moule entièrement occidental, marqué par la réalisation tout à fait sublime de Wim Wenders.

Fort heureusement, The Million Dollar Hotel réussit petit à petit à rejoindre un certain public parmi ses nombreux détracteurs. Sans être la pièce maîtresse de l’imposante filmographie de Wim Wenders, le cinéaste parvint malgré tout à harmoniser un récit s’aventurant dans bien des directions par le biais de cette chimie incroyable prenant forme entre le son et l’image. The Million Dollar Hotel se développe ainsi autour d’ambiances contagieuses rendues possibles grâce à des mouvements de caméra discrets, mais qui imposent tout de même leur forme, et une trame sonore des plus reposantes. Ce mélange parfaitement élaboré confère du même coup à l’effort la touche surréaliste nécessaire afin que deviennent effectives cette série de scènes dramatiques qui auraient été quelque peu banales autrement. Une initiative tentée à grande échelle par plusieurs artisans du cinéma indépendant américain depuis quelques années, mais dont le nombre d’opus réellement satisfaisant se compte plus souvent qu’autrement sur les doigts de la main.




Version française : L'Hôtel d'un million de dollars
Scénario : Bono, Nicholas Klein
Distribution : Jeremy Davies, Milla Jovovich, Mel Gibson, Peter Stormare
Durée : 122 minutes
Origine : Allemagne, Angleterre, États-Unis

Publiée le : 13 Janvier 2004