A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

MALCOLM X (1992)
Spike Lee

Par Alexandre Fontaine Rousseau

En 1992, les émeutes de Los Angeles firent remonter à la surface la question raciale que l'Amérique moyenne avait repoussé jusqu'aux plus profonds confins de son subconscient. Entre 50 et 60 individus sont morts durant l'explosion de violence du 29 avril 1992, alors que la police procédait à plus de 10,000 arrestations en lien à cette révolte populaire. Débutant sur les fameuses images de Rodney King battu à mort par quatre policiers, Malcolm X dépasse le simple drame biographique et s'affirme fièrement à la fois comme un film politique et comme une hommage à la culture afro-américaine sous toutes ses formes. En raison de la réputation du personnage en question, Spike Lee aura eu toutes les misères du monde à mener à bon port le projet de présenter la vie de ce controversé militant de la cause des droits civiques. Il est toujours de bon goût de célébrer le pacifiste catégorique Martin Luther King. Mais, il est plus épineux d'aborder le sulfureux Malcolm X, prêt à utiliser les mêmes armes que ses ennemis s'il en sentait le besoin...

Le projet est ambitieux et le personnage complexe. Mais le besoin viscéral de faire ce film plane toujours sur la conscience de Lee. Le premier objectif du réalisateur est de corriger certaines des erreurs communément répandues au fil des ans au sujet de l'activiste afro-américain. Malcolm X détruit l'image simpliste du noir assoiffé de suprématie raciale car il dépeint en détails le parcours et surtout la progression intellectuelle de cette figure marquante de l'histoire des États-Unis. D'abord porte-parole du mouvement Nation of Islam d'Elijah Muhammad, Malcolm Little - devenu X pour rejeter son nom d'esclave - sera trahi par ceux qui se sont substitués à son Dieu. Sous-tendant un intéressant débat sur la nature de la spiritualité, le film de Lee présente un homme prêt à rejeter les institutions religieuses pour embrasser au contraire les enseignements de sa religion.

Dans un geste d'une grande intégrité morale, Lee s'efforce à la fin de son film de remettre les pendules à l'heure. Aussi talentueux soit-il, il refuse de substituer Denzel Washington au véritable personnage historique et vient commémorer la vie de son sujet à l'aide d'un montage inspiré d'images d'archives. Cette technique, que Lee répète à plusieurs reprises dans son oeuvre, est la preuve d'un grand courage de la part du cinéaste. Spike Lee est capable de brouiller la frontière entre la fiction et la réalité. Mais, d'abord et avant tout, il ose briser d'un coup sec l'illusion filmique pour respecter le monde réel. L'esthétique devient en ce sens une affaire d'éthique, et l'art retrouve son sens voire son utilité sociale.

Il est facile de rejeter le travail d'un cinéaste sur un tel film, de faire reposer le succès d'une telle entreprise sur la stature d'un personnage historique. Mais le travail de reconstitution et de célébration de l'histoire afro-américaine auquel s'applique Spike Lee est tout simplement admirable. Malcolm X est le produit d'une culture riche, marquée par la musique jazz et la ferveur religieuse, le fruit d'une résistance constante face à l'oppression parfois sauvage de la communauté blanche. On accuse parfois le début de Malcolm X d'être tapageur et frivole. Mais Spike Lee est un homme de chants et de danse investi de l'esprit de la fête. Il peut être sérieux sans s'interdire toute forme de plaisir. C'est pourquoi ses habituelles tactiques esthétiques qu'il emploie ici à bon escient ne semblent pas déplacées.

Controversé, le personnage de Malcolm X l'est. Sans aborder en profondeur toutes les questions qui ont fait de lui un objet de division, le film de Spike Lee s'efforce à tout le moins de les mentionner pour inciter comme il aime tant le faire à la réflexion. Lorsqu'une jeune étudiante blanche demande à l'activiste ce qu'elle peut faire pour assister la cause nationaliste noire, X/Washington répond par un «nothing » clair et net. Certains interprètent le personnage de Malcolm X comme une sorte de raciste inversé, haïssant les blancs comme les blancs haïssent les noir. Ne faudrait-il pas plutôt comprendre que ce fervent défenseur de l'union de son peuple savait instinctivement que l'émancipation est un processus d'abord personnel? L'évolution du personnage de son vivant démontre d'ailleurs qu'il prendra progressivement conscience de la nature relative de toutes les causes. L'homme blanc n'est pas le démon que sa rééducation musulmane lui avait imposé.

D'emblée, il s'avère impossible de couvrir en un seul film toutes les questions que soulève un personnage de la trempe de Malcolm X. Spike Lee arrive néanmoins à présenter les grandes lignes de son histoire sans sombrer dans la facilité et la vulgarisation excessive. Son film est d'abord un pamphlet populaire, soit. Mais sa puissance n'en souffre pas outre mesure. À tout le moins, le réalisateur aura été capable de monter, avec un budget somme toute limité, un puissant hommage au personnage en plus de pousser le grand public à s'informer plus en profondeur à son sujet. Pour toutes ces raisons, Malcolm X demeure une oeuvre clef dans sa filmographie et aspire à plus que le drame biographique moyen.




Version française : Malcolm X
Scénario : Arnold Perl, Spike Lee
Distribution : Denzel Washington, Angela Bassett, Albert Hall, Delroy Lindo
Durée : 202 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 7 Avril 2006