A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

THE LAST TEMPTATION OF CHRIST (1988)
Martin Scorsese

Par Mathieu Li-Goyette

L’Américain Cecil B. DeMille avait son Christ idolâtré. L’Italien Pier Paolo Pasolini avait son Christ méditatif. L’Italo-Américain Martin Scorsese, lui, a son Christ déchiré.

S'inspirant du roman homonyme de Nikos Kazantzakis, Scorsese, épaulé par son équipe habituelle (Schrader au scénario, Schoomaker au montage, Ballhaus en chef-opérateur), parvint à faire une relecture plus qu’actuelle de l'histoire du Christ après que le classicisme du film biblique, déjà faible depuis Ben-Hur, ait tombé dans l’oubli à la veille du Nouvel Hollywood des années 70. Relecture controversée, film biblique s’il en est un, ce questionnement religieux long de 164 minutes reste encore aujourd’hui une oeuvre pleine de tabous à laquelle peu de jugements dévoilent son réel sujet. Présentant ici Jésus comme un charpentier artisan de croix de crucifixion à la solde des Romains, Scorsese choque en profitant d’un procédé de «foreshadowing» (indice sur les événements à venir) dans une histoire connue de tous depuis la petite enfance. Judas est ici un zélote aux accents italo-américains interprété par Harvey Keitel, Marie-Madeleine (Barbara Hershey), elle, est connue de Jésus depuis leur jeunesse et ira même jusqu’à lui donner un fils, les apôtres eux, sont presque invisibles et ne servent finalement que d’outils à l’achèvement de la réponse religieuse recherchée par le film. Et c’est précisément ici que ce dernier prend toute son importance.

Sans user de superlatifs non justifiés, il va s’en dire que les films dits “bibliques” racontent, pour autant, tous la même histoire. « Comment le Christ a-t-il rejoint son Père aux Cieux? ». Désamorçant immédiatement cette quête par la déformation complète des personnages du Nouveau Testament, le cinéaste se pose plutôt la question : « Comment croire? » ou plutôt « Pourquoi croire? ». Le Jésus brillamment interprété par Willem Dafoe est ici un personnage indécis, angoissé par sa mission à venir et désirant y renoncer pour pourvoir à ses besoins et finalement vivre sa vie comme bon lui semble. En remettant en question l’existence de son Père, le mettant même au défi, il se rendra jusqu’au seuil du malin pour finalement céder à cette dernière tentation: celle de ne pas vouloir souffrir pour l’humanité.

C’est d’ailleurs dans cette parcelle de vie que le cinéaste jouera avec les préjugés et les traditions en faisant de la scène d’amour entre Jésus et sa femme, Marie-Madelaine, l'un des climax de son film. Dans le même ordre d’idées, il y va ensuite d’un puissant discours entre l’apôtre autoproclamé, Paul, et un Jésus bien désillusionné. Le premier prêche avoir vu le Fils de Dieu dans un rêve qui lui a dit de répendre la Bonne Nouvelle tandis que le deuxième affirme qu’il est Jésus de Nazareth et qu’étant vivant, il n’a pu apparaître dans aucune vision. Paul (le jeune Scorsese?) proclame alors préférer son Christ glorifié au Christ humanisé devant lui. Difficile de ne pas y voir là la problématique numéro un (et de loin) de la religion catholique, si évidente mais si souvent évitée. Suite à cette discussion, Jésus continuera sur le chemin de l’humanité où il se fera finalement accuser de trahison par Judas (toujours vivant). S’apercevant bien qu’il ne peut vivre en simple humain, le Christ septuagénaire demande pardon et retourne sur la croix où finalement il n’aura plus qu’à s’exclamer : « Tout est accompli » quelques secondes avant que la pellicule ne se brise et que le générique défile. Osant même y aller avec une réflexion sur l’image, défensive certes, l’effet reste lyrique et la fin du visionnement nous confine au questionnement, que nous soyons croyants ou non.

Par le passé, nous répondions facilement aux questions existentielles cherchées par la croyance religieuse. Dès que la mort frappait aux portes, c’est les chapelets qui ressortaient des tiroirs. Époque de plus en plus révolue, la religion en soi demeure un riche témoignage de valeurs fondamentales au fonctionnement de toutes sociétés. L’oeuvre nous présente brillamment celles-ci sous l’angle insolite et subjectif d’un Christ étrangé à sa propre symbolique et écarté volontairement de sa destinée habituellement racontée. Néanmoins, cette réflexion sur les valeurs méritait-elle la modification frôlant le scandale? À malmener ainsi l’image de la Sainte-Trinité, Scorsese ne risquait-il pas de s’égarer dans ses propres démons intérieurs? Ses valeurs prodiguées ne se sont-elles pas finalement annulées?

Heureusement, non. Ne les brimant pas le moins du monde, mais plutôt en les affirmant en reclassant à sa façon ce qui est péché et ce qui ne l’est pas, cet Évangile selon «Saint»-Scorsese est judicieusement parsemé de remises en question typiques au cinéaste. Sa réalisation de marque (ici particulièrement rebelle) est tout à son honneur dans cette quête où seul quelques interprétations un peu inégales viennent brimer une distribution justement assemblée. Finalement, côté visuel, on visite une gallerie de tableaux du classicisme religieux de la Renaissance pour le plus grand plaisir de nos yeux.

Prêtre avant de devenir cinéaste, Martin Scorsese avait ici un projet taillé sur mesure dont les malheureux défauts de productions s’apparentent beaucoup plus au manque flagrant de budget (7 millions au lieu des 15 millions originels) plutôt qu’au manque de talent ou de passion. Cinéaste des obsessions nous ayant d’abord présenté son baptême personnel dans Mean Streets, il continua avec la tentation, la réflexion, puis l’expiation dans Taxi Driver pour n’atteindre la rédemption que dans Raging Bull. Son chemin de croix accompli, il ne lui restait finalement que la confession pour atteindre la délivrance.




Version française : La Dernière Tentation du Christ
Scénario : Paul Schrader, Nikos Kazantzakis (roman)
Distribution : Willem Dafoe, Harvey Keitel, Paul Greco, Barbara Hershey
Durée : 164 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 12 Mai 2008