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LAST DAYS (2005)
Gus Van Sant

Par Jean-François Vandeuren

Après la fusillade de l’école Columbine, Gus Van Sant visite une autre tragédie mythique qui marqua à sa mesure l’histoire récente des États-Unis, la mort de Kurt Cobain. Il n’est pas vraiment surprenant que pour ce troisième et dernier volet de sa trilogie expérimentale, le réalisateur américain ait choisi d’attribuer à son personnage principal un nom fictif plutôt que celui de Cobain. Une décision qui souleva une certaine polémique au départ étant donné que cet opus traite d’une personnalité connue, mais il s’agit d’un choix qui se comprend facilement si l’on prend en considération l'une des idées de base de Van Sant pour cette série où, malgré toutes les ressemblances entre le personnage de Blake, interprété par Michael Pitt, et Kurt Cobain, le cinéaste tend à faire sortir son récit du cadre biographique des évènements relatés. Car Last Days, qui est aussi dédié à la mémoire du défunt chanteur de Nirvana, ne fait que s’inspirer de ses derniers jours sans chercher à les raconter avec exactitude.

Ce troisième acte traite donc une fois de plus d’une forme de meurtre où dans ce cas-ci, la victime et l’assaillant sont la même personne. Offrant un raisonnement assez différent de celui des films précédents, Last Days se positionne tout de même assez bien dans cet ensemble, faisant état lui aussi d’un individu à bout de nerfs, pris dans une situation qu’il perçoit comme étant insoutenable et qui lui fera perdre éventuellement sa raison. Encore une fois, Van Sant forme lentement un schéma dans lequel on aperçoit de loin l’inévitable qui s'approche tranquillement des personnages sans que le ton ne s’alourdisse pour autant. Son personnage d’avant-plan se veut d'ailleurs beaucoup plus errant que ceux des essais précédents, le présent effort se retrouvant de ce fait à l’opposée de Gerry et Elephant par son absence de contexte physique, mais aussi humain. Si les principaux protagonistes des deux premiers films marchaient par paire, Van Sant ici isole son sujet, lequel n’entre en contact que brièvement avec son entourage, qui semble pour sa part vouloir se détacher de la suite des évènements pour ne pas avoir à en assumer le fardeau.

Michael Pitt se promène ainsi confus et vêtu de manière absurde entre les murs d’une vieille maison délabrée et le boisé avoisinant, usant d’une démarche molle et spectrale et murmurant des idées déconstruites ou tout simplement inaudibles. En ce sens, si vous n’avez trouvé aucun intérêt en Gerry ou Elephant, il est évident que vous n’apprécierez guère davantage Last Days. Car Van Sant reprend ici une formule identique à celle de ces deux productions, dont les plans prennent forme sensiblement de la même manière, usant de travellings suivant au pas ses personnages et de plans fixes s’étirant même lorsqu’il n’y a plus rien à filmer. Last Days s’exécute également par un montage prenant la forme d'une sorte de labyrinthe, composé de retours en arrière et de présentations sous différents angles d'une même scène. On ne peut évidemment pas passer sous silence l’importance de la musique dans le récit de Van Sant, accompagnant et reflétant les états d’âme de Blake, où ce dernier improvisera une maquette chaotique en jouant d’un peu de tous les instruments un à la suite de l’autre, ou s’exécutera à la guitare acoustique dans ce qui s’avèrera une des scènes les plus prenantes du film, aux abords de l’accompagnement d’un des autres membres de la formation de l’éternellement envoutante Venus in Furs du groupe culte The Velvet Underground. Une scène assez chargée sur le plan symbolique venant appuyer, principalement par les paroles de la chanson, une séquence précédente un peu plus inronique qui nous montrait la faiblesse grandissante de Blake sous le poids de la musique, de la célébrité et de ses relations avec autrui, en particulier par le biais de similarités entre certains bribes de paroles (on bended knees) mis en évidance entre la chanson de la "légendaire" formation pop Boyz II Men et celle de la troupe de Lou Reed, mais dans un contexte lyrique totalement différent, cela va de soi.

Ne réinventant pas l’approche de sa série, Gus Van Sant nous offre plutôt avec Last Days une œuvre qui effectue brillamment la synthèse des deux opus précédents. Le présent effort marque tout de même une certaine évolution face à Elephant, au même titre que celui-ci semblait de loin mieux dirigé que Gerry. Le cinéaste abandonna de ce fait la force d’impact du deuxième épisode au profit d'un contexte beaucoup plus lyrique, se jouant d’un travail phénoménal au niveau du son, autant dans les moments accompagnés de bruits ambiants que ceux où la musique en vient à jouer un rôle assez imposant. Mais Van Sant s’illustre avant tout dans la manière dont il (ne) présente (pas) le suicide de Blake à son auditoire, rappelant le traitement magnifique de la mort d’Ian Curtis par Michael Winterbottom dans 24 Hour Party People. Relatant cet évènement en y allant d'une modestie absolument foudroyante, Van Sant célèbre une fois de plus la caractéristique première de son entreprise exceptionnelle grâce à un souci prononcé du réalisme et un regard particulièrement critique qu'il porte sur le rôle de sa caméra, et donc sur le cinéma en soi, reflétant du même coup l’apparence plutôt monotone d’une tragédie en dehors de sa couverture médiatique.




Version française : Les Derniers jours
Scénario : Gus Van Sant
Distribution : Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento, Scott Green
Durée : 97 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 10 Août 2005