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JOURNÉES À LA CAMPAGNE (2004)
Raoul Ruiz

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Il serait prétentieux de juger Journées à la campagne de façon définitive suite à une seule écoute, de croire que l'on en a décortiqué ne serait-ce qu'une infime partie des subtilités en une plongée. On peut en dégager des impressions, quelques thèmes importants, des sensations, certes... On peut égratigner la surface de son symbolisme travaillé. Mais il est impossible de le saisir dans son ensemble. Cependant, le film de Ruiz commande instantanément le respect, attire inéluctablement l'attention et gagne sans peine cette promesse que fait un cinéphile de revenir sur ses pas maintes et maintes fois afin de découvrir les richesses d'un film digne de ce nom. Car on a véritablement l'impression d'avoir affaire à l'oeuvre d'un authentique auteur avec Journées à la campagne, une plume qui sans avoir la prétention de détenir toutes les clés de l'existence, transpire une sagesse certaine, une compréhension, ou du moins une perspective, de l'univers qui mérite vraiment d'être partagée.

On peut sentir quelques traces du grand Fellini dans cette histoire qui n'a pas de lieu ou même d'univers fixe, se situant à la fois dans les confins de la mémoire et dans le royaume des morts. Car c'est en effet de l'autre côté de celle-ci que l'on rencontre Don Federico. Et où se trouve-t-on? Dans un vieux café, où la foule ne saisit toujours pas notre poésie, aussi belle et sentie soit-elle, et applaudit chaleureusement le gâchis infect qu'offre n'importe quel pantin sans talent, pourvu qu'il ait un titre officiel pour le légitimer. Soudainement, cette seconde vie ne semble pas si différente de celle qui l'a précédée. Il y a bien quelques avantages à cette nouvelle existence, comme ce moment, d'un doux surréalisme similaire à celui, vivifiant, qui embaume la première moitié de certains romans de Boris Vian, où Don Federico présente une culture d'allumettes qu'il fait pousser dans des verres de vin. Dans l'ensemble, cependant, les morts semblent dédier leur temps à se souvenir de la vie.

Journées à la campagne se situe donc dans la mémoire du romancier décédé, dans les fragments de sa vie sur une grande villa de campagne. C'est entre autre par la forme flottante et éclatée de son film que Ruiz fait penser à un Fellini plus austère. Mais ces comparaisons sont somme toute insignifiantes, car Ruiz est une bête en soi, un réalisateur méticuleux qui semble tirer son inspiration de l'impressionnisme et du surréalisme à la fois, doublé d'un scénariste raffiné qui sait jouer avec les émotions élémentaires tout aussi aisément qu'il peut fignoler un jeu symbolique subtil. En fait, le cinéma de Ruiz semble carrément sortir d'une autre époque; avec son rythme étiré, ses longs silences lourds de sens, ses miroirs à double sens et ses jeux d'ombres ingénieux, il appartient à une autre époque. Tous les éléments y sont pour faire baver ceux qui ne jurent que par la vieille école, les techniques classiques de raffinement cinématographique. Dans une scène mémorable, le jeune Federico parle à son incarnation ultérieure que l'on ne voit que par l'ombre qu'il projette sur le mur. Le plan, sublime, donne l'impression que l'ombre du vieillard est celle du jeune romancier et qu'elle vient presque l'englober.

À ce niveau, Ruiz est un maitre incontesté d'un cinéma à l'ancienne, un cinéma comme il ne s'en fait plus vraiment. C'est peut-être ce qui donne à Journées à la campagne cette qualité intemporelle presque surnaturelle. Les détracteurs pourraient accuser le réalisateur chilien d'être un dinosaure d'une autre ère, le dernier représentant d'une certaine philosophie cinématographique périmée. Mais son film superbe, rustique et chaleureux, échappe aux modes. C'est justement ce qui en fait une oeuvre si passionnante. Vraiment, il faudra plus d'une écoute pour savourer toutes les subtilités de ce film d'un autre monde...




Version française : -
Version originale : Dias de campo
Scénario : Raoul Ruiz, Federico Gana (livre)
Distribution : Marcia Edwards, Belgica Castro, Mario Montilles, Ignacio Aguero
Durée : 89 minutes
Origine : Chili, France

Publiée le : 22 Octobre 2004