A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

JCVD (2008)
Mabrouk El Mechri

Par Jean-François Vandeuren

Quand ça va mal, ça va mal. Pour ce bon vieux Jean-Claude Van Damme, le calvaire débutera dans un tribunal de Los Angeles où il devra se battre corps et âme pour obtenir la garde de sa fille. La séance ayant finalement tourné en la faveur de son ex-femme, l’acteur s’envolera aussitôt pour Bruxelles où il découvrira non seulement que ses cartes de crédit ne fonctionnent plus, mais que le chèque qu’il avait expédié pour régler ses frais juridiques a lui aussi curieusement rebondi. Comme si ce n’était pas suffisant, le chevronné Steven Seagal a osé couper sa queue ce cheval pour lui ravir un important contrat au sein d’une production « extrêmement prometteuse ». Jean-Claude devra du coup se résoudre à accepter un rôle minable dans un projet tout ce qu’il y a de plus douteux afin de renflouer ses coffres le plus rapidement possible et ainsi éviter que son avocat n’abandonne sa cause en pleine procédure de divorce. La vedette de Suspense en prolongation se rendra alors dans un bureau de poste de quartier dans l’espoir de toucher son dû et de mettre fin à tout ce non sens. Comble de malheur, ce dernier arrivera sur les lieux au moment où l’institution se fera braquer par une bande de malfrats désespérés et peu expérimentés. Pour ajouter un peu plus d’huile sur le feu, un malentendu poussera les forces de l’ordre à croire que l’acteur serait même l’instigateur de cette prise d’otage. Une situation que les cambrioleurs chercheront évidemment à tourner à leur avantage, pendant qu’à l’extérieur se rassembleront des centaines d’admirateurs venus supporter leur idole en cette période particulièrement difficile.

Les temps sont durs pour les anciennes stars du cinéma de gros bras. Ceux qui n’ont pas eu la chance de faire le saut en politique ou de devenir l’objet d’un culte aussi absurde que disproportionné ont dû se rabattre sur le marché beaucoup moins prestigieux et lucratif des productions « direct-to-video ». Le plus opportuniste se sera permis de reprendre momentanément les traits de ses plus célèbres alter egos pour constater que le public était étrangement toujours au rendez-vous. De son côté, Jean-Claude Van Damme poussa l’audace un peu plus loin en acceptant de se soumettre à ce savant exercice d’autodérision des scénaristes Frédéric Bénudis, Mabrouk El Mechri et Christophe Turpin. Ces derniers ne se contentèrent fort heureusement pas que de reprendre pour une énième fois le cas typique de l’acteur en chute libre se voyant offrir une chance unique de goûter de nouveau à la gloire. À l’opposée, le trio positionna plutôt son sujet face à une situation qu’il est habitué de confronter à l’écran, mais dans une réalité dans laquelle ce dernier se veut évidemment beaucoup plus vulnérable. Les trois auteurs inverseront d’ailleurs tout aussi intelligemment les rôles alors que ce sera le champion de Bloodsport qui se retrouvera cette fois-ci dans la peau de la victime - et de la menace. Mais ce curieux objet cinématographique n’a toutefois pas que des aspirations humoristiques. Bien au contraire. Ainsi, plutôt que de ne chercher qu’à ridiculiser son sujet et ses apparitions publiques quelque peu maladroites, JCVD adopte un ton morose et étonnamment dramatique que le réalisateur Mabrouk El Mechri soutient avec assurance, et surtout énormément d’empathie.

Même s’il joue ici son propre rôle, Jean-Claude Van Damme se révèle on ne peut plus à l’aise sous les traits de cet individu à bout de nerfs et complètement dépassé par les événements. JCVD fait d’ailleurs preuve d’une grande sensibilité à l’égard de son personnage titre, lui qui sera la plupart du temps incapable de faire face aux moindres problèmes de son quotidien. Une dynamique narrative qui n’aura évidemment rien à voir avec cette séquence d’ouverture explosive dans laquelle Van Damme décimera la moitié d’un bataillon de soldats ennemis avant que ne s’effondre une partie du décor de cette « méga production » tout ce qu’il y a de plus fictive. Mabrouk El Mechri nous présentera à ce moment l’envers de la médaille alors que l’homme de 47 ans passera subitement de héros de guerre à acteur incapable de se soumettre aux caprices stylistiques d’un metteur en scène friand de longs plans-séquences. La star profitera ensuite de la situation pour faire le point sur sa carrière et sa vie privée, et ce, sans nécessairement chercher à s’attirer à tout prix la sympathie des spectateurs. Van Damme sera d’ailleurs bousculé de part et d’autre par les trois scénaristes jusqu’à un point il sera forcé de se replier sur lui-même et d’effectuer une profonde introspection, laquelle sera formidablement illustrée lors d’une scène particulièrement poignante dans laquelle l’idole des Belges s’élèvera soudainement au-dessus de l’action pour s’adresser directement à Dieu, voire à nous, son public. Le trio ira toutefois beaucoup plus loin que ce qui aurait pu n’être finalement qu’un simple étalage des lamentations d’un artiste en perte de vitesse en dressant à l’opposée le portrait d’un homme brisé, qu’il transformera peu à peu en un examen de conscience d’une impressionnante lucidité.

Il est évidemment assez difficile de ne pas critiquer les faits et gestes d’un individu aussi privilégié, surtout lorsque la majeure partie des accomplissements de celui-ci demeurent le fruit de l’imagination de quelques marchands de rêves plus ou moins compétents. Une situation dont le principal intéressé sera visiblement « aware » et que ce dernier abordera d’ailleurs d’une manière extrêmement sentie lors de cette fascinante et émouvante scène de confession. À défaut d’être très originale, la mise en image de Mabrouk El Mechri exprime à tout le moins un profond désir de faire les choses correctement et avec style. Au menu : un montage non-linéaire des plus efficaces, quelques retours en arrière totalement justifiés, et une série de plans-séquences impeccablement exécutés. El Mechri n’a également aucune difficulté à fondre ses quelques passages à saveur plus humoristique à cet ensemble essentiellement austère et dramatique - que la direction photo sombre et inquiétante de Pierre-Yves Bastard illustre d’ailleurs à la perfection. JCVD tient ainsi ses promesses en allant bien au-delà de son statut évident de simple divertissement. Le tout sera-t-il suffisant pour ramener la star sous les feux de la rampe ou pour lui décrocher un rôle dans une production un peu plus substantielle? Probablement pas. Mais cette curieuse expérience cinématographique aura néanmoins permis à l’acteur de se ressourcer et de rouvrir le dialogue avec son public. El Mechri et ses acolytes ont ainsi le mérite de ne pas avoir cherché à capitaliser que sur le caractère potentiellement culte de leur entreprise et de nous proposer au final un film sobre, intelligent et racé qui, ironiquement, pourrait bien être l’oeuvre la plus significative à laquelle ait participé l’acteur en près de trente ans de carrière.




Version française : -
Scénario : Frédéric Bénudis, Mabrouk El Mechri, Christophe Turpin
Distribution : Jean-Claude Van Damme, François Damiens, Zinedine Soualem
Durée : 96 minutes
Origine : Belgique

Publiée le : 18 Novembre 2008