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INVISIBLE WAVES (2006)
Pen-Ek Ratanaruang

Par Jean-François Vandeuren

Dans la même veine que son envoûtant Last Life in the Universe, le réalisateur thaïlandais Pen-Ek Ratanaruang s’amuse une fois de plus à sortir le bon vieux personnage du gangster de son élément naturel pour le placer dans une situation le désarmant complètement tout en l’encerclant d’un contexte narratif qui ne saurait lui donner raison à tout coup. Ce dernier tentera évidemment de s’adapter à ce nouveau milieu, mais y parviendra de peine et de misère. La différence à ce niveau entre Last Life in the Universe et ce Invisible Waves est que le protagoniste du présent effort, Kyoji (interprété une fois de plus par Tadanobu Asano), cherche par tous les moyens à rester en vie et à conserver son titre d’homme de main d’un puissant mafieux de la région de Hong Kong. Fugitif malgré lui, ce dernier est envoyé en vacances forcées sur un bateau de croisière voguant lentement mais sûrement vers Phuket. C’est que, voyez-vous, Kyoji eut la mauvaise idée d’entretenir une relation amoureuse avec la femme de son patron. Lorsque ce dernier découvrit toute l’affaire, il força Kyoji à la tuer. Croyant au départ que ce meurtre sordide lui achèterait son pardon, Kyoji découvrira à ses dépends que son patron est en fait beaucoup plus rancunier que ce qu’il avait imaginé.

Ce personnage ordinairement appelé à se sortir intact d’une multitude de séquences périlleuses est donc pris au piège par une forme de vengeance beaucoup plus sournoise. Avant une arrivée hasardeuse en territoire thaïlandais, Kyoji se verra assigné une chambre au fond de la cale du navire à laquelle on donnerait difficilement une étoile. Son lit rétractable de piètre qualité se range sans avertissement et pour ajouter au calvaire, le robinet de la douche contrôle celui de l’évier et vice versa. Bref, tout semble avoir été mis en place pour que ce dernier vive le périple le plus désagréable qui soit. Kyoji, que Tadanobu Asano personnifie à nouveau de façon naïve et mélancolique, traverse ses obstacles à mi-chemin entre l’insignifiance et l’acharnement cruel sur ses pauvres nerfs comme si Buster Keaton s’était malencontreusement égaré dans un film de Wong Kar Wai. Invisible Waves plonge d’autant plus ce dernier dans un état de confusion palpable dont le rythme d’une lenteur savamment calculée auquel s’enchaînent ses embûches en souligne à tout coup la morosité.

S’il s’agissait d’une œuvre musicale, Invisible Waves serait assurément considéré comme un opus un peu trop prudent, mais duquel il faudrait néanmoins reconnaître les immenses qualités. Pen-Ek Ratanaruang reprend ainsi la même formule qui avait fait le succès de son effort précédent et tire une fois de plus merveilleusement profit d’atmosphères langoureuses qu’il créé d’une main de maître et d’un fond musical ambiant aussi sublime que discret. Invisible Waves solidifie la signature que le cinéaste thaïlandais présenta en 2003 par une œuvre de marque dont la mise en scène ne surpasse pas nécessairement celle de Last Life in the Universe, mais dont le mérite de bon nombre de prouesses lui revient entièrement.

Invisible Waves réunit d’ailleurs la même équipe responsable de la réussite de Last Life in the Universe. Pen-Ek Ratanaruang laissa par contre le scénariste Prabda Yoon agire seul cette fois-ci. L’histoire de vengeance élaboré par ce dernier prend d’ailleurs une tournure particulièrement bien orchestrée dont l’issu dévoile tranquillement les traits d’une autre. Le tout mène également à une deuxième partie au rythme beaucoup plus appuyé au cours de laquelle ce cinquième long-métrage du cinéaste thaïlandais élève une vision des événements empreinte de philosophie et de sérénité qui transcende les mécaniques auxquelles ce genre de scénario nous a habitué. Le film finit ainsi par présenter avant tout le côté humain de ses personnages plutôt que de constamment les associer à la froideur de leur réelle profession. Visuellement, l’ensemble est appuyé par l’incomparable direction photo de Christopher Doyle qui se veut toujours aussi léchée et confère toute la profondeur à laquelle aspire les jeux de caméra tout aussi méticuleux de Pen-Ek Ratanaruang. Le réalisateur signe à nouveau une mise en scène méditative au possible faites de très peu de mouvements et qui met une fois de plus en évidence son amour pour les plans inusités à l’intérieur desquels il emprisonne volontairement ses personnages dans leur environnement.

L’univers cinématographique de Pen-Ek Ratanaruang n’a donc pas tellement changé depuis Last Life in the Universe. Invisible Waves s’imprègne de la même lenteur guidant un récit s’effaçant autant que possible pour emprisonner son personnage principal dans un constant état d’errance. Un sentiment dont s’imprègne autant la caméra du réalisateur thaïlandais que l’hallucinante photographie de Christopher Doyle. Invisible Waves ne risque pas d’allier de nouveaux partisans à la cause du nouveau Pen-Ek Ratanaruang. Ceux qui s’était laissé envahir par les élans évasifs de son opus de 2003 seront pour leur part conquis d’avance. Ainsi, même s’il ne change pas de facture visuelle, le cinéaste thaïlandais solidifie malgré tout son univers par rapport auquel il se montre de plus en plus en contrôle tout en le laissant consciemment voguer à la dérive.




Version française : -
Scénario : Prabda Yoon
Distribution : Tadanobu Asano, Hye-jeong Kang, Eric Tsang, Maria Cordero
Durée : 115 minutes
Origine : Thaïlande, Hong Kong, Corée du Sud, Pays-Bas

Publiée le : 30 Octobre 2006