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HELLBOY II : THE GOLDEN ARMY (2008)
Guillermo Del Toro

Par Louis Filiatrault

Rendu au point où il en est, l'instance la plus susceptible de mettre de sérieux bâtons dans les roues de Guillermo Del Toro devrait être... Guillermo Del Toro. En effet, après avoir accouché d'un nouveau classique du cinéma fantastique (Le Labyrinthe de Pan) et connu une adulation internationale rarement égalée (de Cannes aux Academy Awards, en passant par le club vidéo le plus près de chez vous), le réalisateur trône désormais quelque part au sommet de la pyramide hollywoodienne, courtisé par Peter Jackson en vue d'un projet des plus alléchants (The Hobbit). Mais plutôt que de chevaucher cette réputation très enviable et de virer sens dessus dessous la formule du divertissement estival, Hellboy II voit plutôt le cinéaste prendre une pause et profiter de ses jouets avec un plaisir contagieux. Ce qui en soi n'est en rien reprochable ; sans aucun doute, The Golden Army est le fruit d'une maîtrise technique éblouissante, d'autant plus heureuse qu'elle s'accompagne ici d'un sens de l'humour et d'un parti pris créatif des plus réjouissants. Ceci étant dit, s'il n'est en rien décevant, livrant la marchandise avec un aplomb salvateur, le présent opus laisse tout de même en suspens trop de pistes enthousiasmantes pour ne pas laisser traîner sur son passage un certain sentiment d'inachèvement.

En tant que suite, The Golden Army se passe des présentations d'usage pour entamer au plus vite sa fiction imaginative, à la fois traditionnelle (proche de l'univers du conte) et originale (face au paysage actuel). Introduisant avec concision et grande clarté (par un prologue de toute beauté) un univers parallèle manifestement merveilleux, il retrouve le patibulaire Red et son entourage coloré là où on les avait laissés dans le détour (c'est-à-dire sans l'agaçant Myers, et dans la consécration d'une liaison amoureuse). À un degré supérieur au film précédent, l'un des grands plaisirs (et des plus belles excentricités) de Hellboy II est de donner à voir des héros mêlant constamment besogne et expression de leur caractère particulier, s'exécutant avec nonchalance à des tâches peu ordinaires. Ce détachement professionnel, Del Toro lui rend la pareille en filmant de façon détendue des séquences pourtant fort mouvementées comme l'affrontement d'une armée de sinistres fées des dents (rien de moins). C'est dans ces moments savoureux, ceux où le doigté de la mise en scène s'harmonise avec la dynamique des personnages, que le film fonctionne à son meilleur, l'amour évident pour le matériel se manifestant à travers le développement fort satisfaisant du tendre Abe, la place plus grande accordée à Liz (défendue par Selma Blair avec au moins autant d'assurance qu'auparavant) et l'intégration humoristique d'un personnage pour le moins hors du commun. Le tout en laissant une ample visibilité à la populaire composition de Ron Perlman, gros nounours aux mille défauts parmi les combattants fantastiques.

Ces éléments, encore mieux articulés au second tour, étaient essentiels au succès du premier Hellboy, et ne s'avèrent à la limite que les fondations sur lesquelles Del Toro se devait de construire quelque chose de plus intéressant. Et c'est justement à cet égard que l'auteur, s'il surprend initialement, ne semble pas parvenir au bout de ses ambitions. En effet, l'essentiel de son intrigue, et particulièrement le dénouement indéniablement surprenant de son deuxième acte, laisse entendre la volonté de faire de la dissolution du monde fantastique (et de sa nécessité dans un monde corrompu) un thème non seulement majeur, mais aussi parfaitement cohérent avec le propos artistique soutenu à ce jour par le Mexicain. L'intention apparaît d'autant plus manifeste que la première partie du récit, au gré d'une progression très habilement gérée, entretient l'appétit du spectateur jusqu'à la plongée au coeur d'un bazar de mutants dont la présentation s'avère tout bonnement spectaculaire. Déjà abondamment comparé à la célèbre taverne du premier Star Wars, l'endroit constituerait le réquisitoire ultime de cette étincelle de fantaisie en arrivant à manquer à l'esprit des hommes. Ainsi est-il quelque peu navrant de voir la défense d'un univers présenté avec autant de force réduite essentiellement au propos d'un méchant complexe, mais tristement solitaire (auquel le peu connu Luke Goss donne panache et crédibilité). Il en va de même de l'esquisse du comportement de l'humain avide de sensations fortes, dessiné rapidement et sans grande profondeur à travers une quête de célébrité condamnée à décevoir. Frappant un sommet au milieu de son déroulement, The Golden Army peine à reprendre la route et finit par s'égarer dans des prophéties apocalyptiques peu originales, dans des détails superflus éclipsant un discours fort et bel et bien réitéré à un moment crucial du dénouement.

En somme, au moment de vérité, tout laisse croire à l'intervention des investisseurs réclamant leur droit à l'aseptisation des produits estivaux ; neutralisation de contenu apparaissant particulièrement déplacée à la suite d'un tel étalage de sensibilité artisanale. À une résolution substantielle d'enjeux artistiques pertinents, Del Toro préfère (ou se voit contraint à) des combats artificiels et routiniers, apparaissant d'autant plus irritants qu'ils succèdent à une suite de scènes à caractère plutôt intimiste, voire touchantes. L'« humanisation » des héros, si elle ne s'extrait jamais au domaine du convenu (s'attardant principalement à des enjeux de nature sentimentale), demeure en effet l'atout le plus sûr de la franchise Hellboy, excluant bien sûr une réalisation reléguant au bas de l'échelle tous les tâcherons de la Ville des Rêves. Exploitant à fond une caméra toujours mobile, multipliant les références féériques et les machines étranges peuplant son oeuvre depuis Cronos et s'exerçant dans une variété de genres, de tons et d'échelles, Guillermo Del Toro donne la pleine mesure de son talent de conteur, également appuyé par un Danny Elfman signant une partition autrement plus subtile que celles de Hulk ou Spider-Man. Mais le sympathique réalisateur semble encore trop respectueux des convenances (ou restreint par le système) pour élever son Hellboy II au statut d'essentiel que ses plus belles inspirations auraient pu justifer. Il nous confirme à tout le moins sa place parmi les réalisateurs de fiction incontournables de son époque, dans l'espoir qu'il arrive un jour à mener ses préoccupations jusqu'à l'expression qu'elles méritent.




Version française : Hellboy II : L'Armée d'or
Scénario : Guillermo del Toro, Mike Mignola (bande dessinée)
Distribution : Ron Perlman, Selma Blair, Doug Jones, James Dodd
Durée : 120 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 11 Août 2008