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FUNNY GAMES (1997)
Michael Haneke

Par Jean-François Vandeuren

Les films à suspense ne tentent étrangement que rarement de capitaliser sur l’une des frayeurs rongeant le plus l’âme humaine, la peur de l’inconnu. Dans ce genre d’efforts faisant plus souvent qu’autrement abstraction à la réalité, alors que sur pellicule les crimes les plus odieux et bizarres doivent avoir un motif pour qu’ainsi s’installe une certaine forme de mystère, pour qu’un raisonnement plus ou moins plausible soit tranquillement dévoilé, pour que les criminels finissent six pieds sous terre ou derrière les barreaux. Schéma qui donne du même coup une illusion de contrôle sur les évènements du film aux spectateurs. Pourtant, la réalité est tout autre. Des innocents sont victimes d’actes criminels sans raison et cela peut prendre des années avant qu’une affaire soit élucidée. Serait-ce par soucis de rationaliser illusoirement la réalité que le thriller tente si souvent d’être à ce point logique? C’est face à ce genre de requêtes que le Funny Games de Michael Haneke s’impose. Ce dernier fait ici pour le film à suspense ce que des films comme The Texas Chainsaw Massacre de Tobe Hooper et The Blair Witch Project ont pu faire pour l’horreur, nous laissant en bout de ligne ébranlés devant un spectacle aussi inhabituel, tentant en vain de recoller les morceaux d’une idée qui n’était pourtant pas fracassée. Les mots nous manquent. C’est tout à fait normal.

Tout commence lorsque deux individus, en apparence des serviteurs, débarquent à la maison de campagne d’une famille en vacance, prétextant avoir été envoyés par les occupants de la demeure voisine afin de leur emprunter quelques œufs, rien de bien dramatique. Mais l’attitude de ces derniers devient étrangement de plus en plus envahissante. Suite à une série de faux malentendus, la figure paternelle de la famille tentera de les mettre à la porte, mais en vain. Ce dernier se retrouve au tapis, la jambe fracturée. Les hostilités peuvent alors commencer. Le réalisateur Michael Haneke fait preuve au départ d’un savoir-faire impressionnant, ne cherchant aucunement à choquer son auditoire par le biais d’une quelconque violence gratuite. Son Funny Games mise à l’opposée sur l’installation graduelle d’un climat d’inconfort total, mené par une série de jeux psychologiques très minutieux introduits sournoisement par l’entremise de dialogues récités sur un ton tellement monotone qu’ils en deviennent agressants. L’acteur Arno Frisch vole d’ailleurs la vedette en incarnant la tête forte des deux intrus, livrant une prestation détendue qui n’augure rien de bon, le personnage de ce dernier n’ayant aucunement à faire ses preuves de manière physique, le plus à redouter se terrant derrière son regard trop passif pour ce contexte développé avec autant de lenteur et de retenue.

Une autre faille de bien des thrillers pris en considération ici par Haneke vise l’espèce de code moral non écrit entretenu par ce genre de film, les habituelles comportements détraqués du psychopathe prenant forme selon une certaine éthique qui n’existe tout simplement pas dans le cas présent. Funny Games se permet donc de ne faire aucun compromis, le cinéaste laissant même les commandes de son film à ses deux assaillants, sa caméra s’éloignant souvent de l’action, préférant suivre un des deux individus ailleurs dans la maison en nous laissant qu’une série de bruits sordides en arrière-plan pour que l’on imagine le pire. Et quand ces derniers décident tout bonnement de lâcher prise un moment, Haneke nous convit à de longs plans statiques qu’il étire parfois pendant dix minutes. La famille, ou du moins ce qu’il en reste, est alors complètement laissée à elle-même, le récit ne sachant plus trop où aller sans ses deux guides sadiques. Une idée de génie plongeant le spectateur déstabilisé dans un épais brouillard au même titre que les victimes du film.

Michael Haneke propose donc avec ce Funny Games un effort tenant plus que tout à déjouer les conventions et les attentes de son public. Défi relevé haut la main par ce dernier qui ne se contente jamais de simples revirements de situation grossiers pour rendre son film imprévisible à ce point. Le personnage d’Arno Frisch s’adressera en ce sens à quelques reprises à quiconque est en train de regarder, soulignant par exemple à 90 minutes pile, la durée moyenne d’un long-métrage, que le présent essai est loin d’avoir atteint son apogée, allant même jusqu’à rembobiner le film à un autre moment pour tourner les évènements en sa faveur. Un mélange d’idées tordus et provocatrices habilement manipulé qui fait part d’une arrogance exceptionnelle et de certains excès pouvant paraitre un tantinet prétentieux, mais dont la force des intentions ne peut aucunement être démentie. Funny Games parvient à exploiter un sujet plutôt délicat avec une férocité palpable dans un moule pourtant introverti, se jouant à nos dépends de la traditionnelle question que l’on déteste voir demeurer sans réponse: pourquoi?




Version française : -
Scénario : Michael Haneke
Distribution : Susanne Lothar, Ulrich Mühe, Arno Frisch, Frank Giering
Durée : 108 minutes
Origine : Autriche

Publiée le : 8 Mars 2005