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FRITZ THE CAT (1972)
Ralph Bakshi

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Ralph Bakshi fit un pari audacieux lorsqu'il choisit de réaliser une adaptation de la controversée bande dessinée de Robert Crumb, Fritz the Cat, en guise de premier film. Vulgaire, irrévérencieux et remarquablement explicite, son film eut en retour l'honneur d'être le premier long métrage animé à être classé X aux États-Unis. Mais bien plus qu'un choc gratuit et simpliste, Fritz the Cat demeure encore aujourd'hui un commentaire cinglant sur la société américaine, une critique virulente et enragée qui n'a aucunement perdu de son mordant malgré tous les South Park et autres Family Guy ayant suivis ses traces. Rien n'échappe aux griffes aiguisées de ce félin obsédé dont les pérégrinations d'un bout à l'autre du royaume de l'Oncle Sam peignent un portrait nihiliste et décapant d'une nation dont même la contre-culture est pourrie jusqu'à la moelle. Inutile de dire que le message est aussi clair maintenant qu'il ne l'était en 1972.

Le fameux Fritz est un jeune universitaire new-yorkais des plus branchés qui baise tout ce qui bouge et fume tout ce qu'il trouve. Intellectuel vide que les livres intéressent de moins en moins, le félin fêlé rêve de vivre sa vie à fond, de parcourir l'Amérique comme ses idoles de la Beat Generation à la recherche de sensations fortes et de nouvelles expériences. Or, voilà qu'après avoir mis le feu à son école, notre minet grivois doit prendre la poudre d'escampette afin d'échapper aux autorités qui le recherchent activement. Il se réfugie dans Harlem où il provoque une sanglante émeute raciale, puis se lance à plein gaz sur l'autoroute où il croisera un motard néo-nazi, lapin héroïnomane à fortes tendances révolutionnaires qui l'intègre à une cellule para-militaire radicale sur le point de passer à l'action. Bref, c'est toute la culture des années 60 qui est la cible de cette satire grinçante qui ne fait pas de quartier.

Le sombre road movie que nous offre ici Bakshi est exactement ce genre de film que l'on adore ou que l'on déteste sans aucuns compromis. Il faut dire que, par définition, la critique totale qu'il propose divise. Dans le monde de Fritz, les intellectuels ne manient la philosophie que pour mieux manipuler les collégiennes naïves, le message de paix et d'amour des hippies s'est transformé au fil des buvards en guérilla insensée contre le système et les Juifs célèbrent dans la joie et l'allégresse chaque nouvelle cargaison d'armes envoyée à Israël. Les policiers sont quant à eux des cochons brutaux et écervelés à la gâchette facile lorsque c'est un noir qui se trouve à l'extrémité de leur barillet. L'Amérique est un mutant, un croisement hideux entre le chaos et la misère urbaine et un désert industriel sans fin. Au beau milieu de ce délire se trouve Fritz, notre antihéros arriviste qui, pour sa part, ne cherche qu'à oublier son ennui et ne sait pas vraiment pourquoi la machine dont il est prisonnier le dégoute tant. Bref, le portrait n'est pas des plus guillerets...

Pourtant, Fritz the Cat évite d'être déprimant malgré la lourdeur de son propos. En fait, son nihilisme extrême est tempéré par le dynamisme explosif de sa charge ainsi que par l'énergie de sa forme. Une trame sonore remarquable à l'appui, Bakshi en fait véritablement voir de toutes les couleurs à son audience. Visuellement, le film est solidement ancré dans le courant psychédélique en vogue à l'époque, mais la violence crue et la sexualité graphique qui en sont la signature stylistique plongent le spectateur dans un climat réaliste sordide qui entre inconfortablement en conflit avec le caractère exagéré de l'ensemble.

Fritz the Cat demeure une pierre angulaire dans l'évolution de l'animation alternative aux États-Unis. Certes, l'humour noir de ce félin aux mauvaises manières ne plaira pas à tous et la vision acidulé de Bakshi et de Robert Crumb en offensera plusieurs, mais leur film est un véritable monument dont les répercussions sur l'animation actuelle est presque inimaginable. Fritz the Cat, c'est toute l'Amérique des années 60 qui se réveille dans les années 70 avec un sacré mal de tête... À voir.




Version française : Fritz le chat
Scénario : Ralph Bakshi, Robert Crumb (bandes dessinées)
Distribution : Skip Hinnant, Rosetta LeNoire, John McCurry, Phil Seuling
Durée : 78 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 4 Octobre 2004