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THE FOUNTAIN (2006)
Darren Aronofsky

Par Alexandre Fontaine Rousseau

La question se pose: Darren Aronofsky est-il un cinéaste controversé? Si le réalisateur américain a obtenu l'approbation d'un vaste public grâce au Requiem For A Dream de 2000, ses détracteurs de plus en plus nombreux l'accusent de privilégier la forme au profit du contenu. L'accusation est tout à fait valide: par leur montage rapide descendant du vidéoclip, les deux premiers long-métrages d'Aronofsky proposaient un cinéma au langage nouveau et éclaté se construisant autour d'audaces formelles efficaces et visuellement frappantes. Tout comme son contemporain Michel Gondry, Aronofsky propose un cinéma hybride qui outrepasse plusieurs conventions narratives sans pour autant quitter le cadre dramatique classique. Pourtant, les deux réalisateurs empruntent au niveau thématique des parcours diamétralement opposés. Gondry, éternel individualiste, contemple le monde selon l'intériorité de ses excentriques. Chez Aronofsky, les excentriques servent de catalyseurs à des préoccupations plus vastes: la société de consommation et l'hédonisme évasif du monde des narcotiques dans Requiem For A Dream mais, surtout, l'infini et la conception de l'univers dans le remarquable Pi de 1998. Il est intéressant que ces deux auteurs nous arrivent avec de nouvelles oeuvres à seulement quelques mois d'intervalle, d'autant plus qu'elles partagent cette fois une même préoccupation assez casse-cou: l'amour.

Dans sa Science des rêves, Gondry abordait le sujet selon le point de vue d'un sympathique ahuri vaguement narcoleptique dont la perception de la réalité était entachée par un riche univers onirique. Le film, truffé d'images auto-référentielles célébrant une oeuvre déjà dense et éclatée, prenait le parti pris de la jouissance sensorielle; à défaut d'être réellement profond, La Science des rêves mettait en scène l'imaginaire avec autant de ferveur que d'originalité. Fidèle à son habitude, Aronofsky privilégie pour sa part les grands thèmes universels et rassembleurs à ce nombrilisme exubérant et bien assumé. The Fountain, par conséquent, mijote sa banale affirmation romantique derrière un lourd voile de préoccupations métaphysiques abordées de manière clinquante et superficielle. Toutes les grandes énigmes de la vie se sont données rendez-vous pour l'occasion: la mort, la religion, l'infini et compagnie. Malheureusement, cet ambitieux buffet quantique n'a aucune consistance. Aronofsky, qui désirait de toute évidence orchestrer une sorte de Solaris ou de 2001: A Space Odyssey pour la génération MTV, a plutôt accouché d'une expérience psychédélique à laquelle il manque la drogue.

À grand renfort de dialogues mécaniques et purement utilitaires, The Fountain articule de manière bigarrée le combat d'un homme (Hugh Jackman) espérant sauver des griffes d'une mort certaine la femme qu'il aime (Rachel Weisz). Le film alterne entre trois sphères d'existences - trois espace-temps distincts - dont certaines seront, tout dépendant de l'interprétation qui est formulée du film, réelles ou imaginées. The Fountain est bel et bien le rêve d'une race nouvelle de cinéphiles croyant par-dessus tout que le récit atypique équivaut à une sorte de consécration de l'avant-gardisme dans le septième art. Sauf qu'ici, ce pari formel livré de manière approximative tient véritablement de la poudre aux yeux.

De par le passé, le parti pris d'Aronofsky de privilégier un cinéma des sens à un cinéma du sens était justifié parce qu'il permettait une symbiose avec des sujets précis. La paranoïa matérialisé du mathématicien schizophrène de Pi ainsi que l'euphorie exaltée - suivie d'un dérapage cauchemardesque - des drogués de Requiem For A Dream étaient des expériences qu'un cinéma purement physique était parfaitement en mesure d'appréhender. Face aux préoccupations moins viscérales de The Fountain, Aronofsky procède certes à une réévaluation de son style: il préconise une approche plus contemplative ainsi qu'un montage moins effréné. Mais cet exercice de renouvellement esthétique s'avère maladroit, car le film dérive par le fait même vers une certaine banalité formelle que tente en vain de voiler une construction dramatique biscornue. Les extravagances de son récit sont plus pénibles que pertinentes.

Qui plus est, Aronofsky mise ici sur un symbolisme simpliste et insipide même s'il est ponctué, il faut bien l'admettre, de quelques instants de verve visuelle authentique. Mélangeant allègrement imagerie bouddhiste et judéo-chrétienne, ce charabia abracadabrant ne dégage pas la moindre effluve de profondeur: les références religieuses gratuites et les clichés dignes d'un synopsis d'Indiana Jones servent à alimenter une critique vaguement puritaine et étonnamment conservatrice des dangereuses illusions païennes et scientifiques. À l'aide d'une quincaillerie visuelle tapageuse, The Fountain prône la même spiritualité libre que Pi. Malheureusement, l'élégance de ce petit thriller efficace s'est perdue dans une débauche d'effets spéciaux; c'est en vain que ce pur spectacle aspire à une quelconque éloquence métaphysique.

Sans contredit, The Fountain est un film ambitieux tentant tant bien que mal de réconcilier les vastes aspirations d'un cinéma d'auteur aux impératifs ludiques d'un cinéma grand public. Mais Aronofsky ne livre en bout de ligne qu'une supercherie tape-à-l'oeil: «My worst is making a film that people don't think is a good ride», a-t-il déjà affirmé en entrevue. The Fountain se déroule effectivement tel un ambitieux manège: il nous en met plein la vue mais nous ramène à notre point de départ avec, en prime, un étourdissement tout neuf. Une fois les vapeurs mystiques dissipées, que reste-t-il à glaner de cette aventure cosmique? La réaffirmation du fait que nous allons tous mourir, qu'il faut profiter de chaque instant que met la vie à notre disposition. Toutes sortes de conventions, bref, qui ne nécessitaient aucunement une si pompeuse orchestration astrale afin d'être répétées.




Version française : La Fontaine
Scénario : Darren Aronofsky, Ari Handel
Distribution : Hugh Jackman, Rachel Weisz, Ellen Burstyn, Mark Margolis
Durée : 96 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 7 Décembre 2006